Dans l’ambiance actuelle de ralliements faciles, le Tchad va avoir grand besoin d’une réelle vigilance citoyenne, afin que l’avenir de ce peuple soit fait d’un peu plus d’évolutions concrètes.
Au Tchad, l’opposant historique Saleh Kebzabo est désormais Premier ministre, et Gali Ngothé Gatta, qui a présidé le Dialogue national inclusif et souverain, est Secrétaire général de la présidence de la République. Comment comprendre que les critiques les plus acerbes viennent de l’opposition, alors que ces deux personnalités promues sont extérieures au régime de Déby-père ?
Davantage que de critiques, il s’agit, en fait de perplexité et d’embarras. Que Saleh Kebzabo et Gali Ngothé Gatta soient les bénéficiaires des premières nominations d’importance décidées par Mahamat Idriss Déby laisse une impression de promotions à volonté, comme dans un échange de bons procédés. D’abord, la consécration de Mahamat Idriss Déby dans ses fonctions de chef d’État, symboliquement validée par Gali Ngothé Gatta, en sa qualité de président du Dialogue national inclusif et souverain. Aussitôt après son investiture, le président de la Transition choisit comme Secrétaire général de « sa » présidence, Gali Ngothé Gatta. Puis, il nomme comme Premier ministre Saleh Kebzabo, « numéro deux » de l’organe qui a préparé le même Dialogue national. Ainsi donc, le nouveau président Déby recrute deux de ses principaux collaborateurs (et potentiels acteurs majeurs de « sa » présidence) parmi les arbitres de ce Dialogue qui lui aura voulu tant de bien.
L’idée que les uns seraient redevables aux autres, dans ce que vous qualifiez de promotion à volonté, ne risque-t-elle pas de jeter la confusion dans l’esprit des Tchadiens ?
C’est qu’il y a matière à confusion. D’autant qu’une partie de l’opinion n’a cessé de suspecter ce dialogue d’avoir été biaisé, aussi bien dans le choix des participants que dans la sincérité de l’agenda, du contenu. Tant et si bien que certains, parmi ceux qui ont choisi d’y participer, ont fini par se retirer, confirmant ouvertement les craintes émises sur sa sincérité par la coalition citoyenne Wakit Tama, et par l’opposant Succès Masra, pour qui ce Dialogue ne visait qu’à perpétuer un système, au profit d’un seul homme.
Mais, pour certains réalistes professionnels, un Mahamat Idriss Déby secondé par Saleh Kebzabo et Gali Ngothé Gatta est, de loin, préférable à un Mahamat Idriss Déby otage du même entourage de médiocrité qui a tant contribué aux dérives du régime du défunt maréchal.
Nul ne reprocherait à ces deux hommes de s’être ralliés au jeune président… Si reproche il devait y avoir, il tiendrait surtout au fait qu’entre les précédentes responsabilités, dans lesquelles on les voulait impartiaux, et les nouvelles, au service de Mahamat Idriss Déby, ils n’ont pas marqué ce que l’on qualifierait de délai de décence, sinon de veuvage.
Passer ainsi des fonctions de neutralité théorique – dans lesquelles on les suspectait de « travailler » secrètement pour le président – à des fonctions dans lesquelles ils travaillent ouvertement pour celui-ci, dans une telle proximité, suscite des interrogations quant à l’impartialité des décisions qu’ils ont pu prendre dans leurs attributions antérieures.
Pourquoi ne pas scruter l’avenir, plutôt que de ressasser ce passé récent ?
Il faut avancer, en effet. Mais, ces ralliements faciles indiquent que le Tchad, plus que jamais, va avoir besoin de la vigilance citoyenne de Wakit Tama, et même de l’intransigeance de Succès Masra. À condition, évidemment, que ses petits camarades lui laissent la vie, au propre comme au figuré. Car, dans cet environnement cruel, certains ne reculent devant rien, pour faire taire les voix qu’ils perçoivent comme une menace pour leurs intérêts. Or, Succès Masra est audible. Sa voix sait porter les espérances de ce peuple désabusé. Et, s’il reste fidèle à ses convictions, il pourrait devenir de plus en plus gênant pour certains. Mais, utile pour le Tchad, si rien de fâcheux ne lui arrive.
Jean-Baptiste Placca