« La plus grande faiblesse de l’opposition togolaise, c’est le manque de moyens ; elle n’a pas d’argent, sinon il y a longtemps qu’elle aurait mis fin à ce régime. » Auteur anonyme, groupe de discussions politiques sur WhatsApp.
En lisant ces lignes, nul doute que plus d’un Togolais retrouveraient leur propre analyse des raisons pour lesquelles l’opposition togolaise (c’est-à-dire l’ensemble des opposants togolais) est devenue de plus en plus inaudible, incapable d’inquiéter le régime militaire et de peser dans le débat politique aussi bien national qu’africain. De même, un grand nombre de Togolais, sourire au coin des lèvres, diraient : que nenni, tout l’argent du monde ne rendrait pas notre opposition meilleure que ce qu’elle est, car la cause de ses déboires est ailleurs.
Dans les deux cas, l’analyse aurait ses mérites, car les causes sont multiples si on se donne la peine de les identifier, mais celle portant sur le manque d’argent me parait être un raccourci et occulte un ensemble de facteurs sous-jacents qui sont bien plus importants. L’un des facteurs les plus puissants de cette faiblesse de l’opposition est justement ce que l’argent ne peut pas acheter ; il s’agit des qualités personnelles ou du « leadership » de ceux qui sont en première ligne de cette opposition, les responsables de partis politiques et leurs lieutenants regroupés dans les « états-majors ». Qui dit leadership dit état d’esprit, ou dans le langage courant, la mentalité du leader.
Lorsqu’on jette un regard critique sur le parcours de l’opposition togolaise, on peut réaliser que ses périples ont en toile de fond le leadership de ceux qui l’animent. De l’opposition multipolaire du début des années 90 au leadership unique et incontesté de Gilchrist Olympio entre 1998 et 2010, jusqu’au leadership bicéphale si cher à l’homme du 19 Août, on peut tourner sa langue mille fois avant de parler, mais on aboutira à la conclusion que c’est la qualité des hommes et des femmes qui est le problème principal de notre opposition. Les opposants ont beau avoir le niveau d’instruction idéal, les diplômes pertinents et l’expérience politique nécessaire, mais la mentalité qu’il faut semble faire défaut, notamment lorsqu’il s’agit de nouer les alliances avec leurs pairs, de les gérer ou d’en acter la fin lorsque nécessaire.
Ceci étant dit, comment l’opposition peut-elle résoudre cet épineux problème de la qualité du leadership dans ses rangs ? Plusieurs solutions s’offrent, mais celle qui me parait adaptée serait celle qu’emprunterait une entreprise en difficulté. En d’autres termes, si l’opposition dans son ensemble était une entreprise et que les responsables de partis étaient des chefs de divisions/départements minés par des rivalités et plombant la rentabilité de l’entreprise, comment une tierce partie peut-elle les aider à atteindre l’objectif commun qui est de faire prospérer l’entreprise ?
Eh bien soit tous les chefs seraient virés ou mis en observation, soit certains chefs de division seraient virés, d’autres seraient mis sur une liste d’observation des performances, et une partie des responsables sera confirmée dans ses rôles. Dans notre réalité politique, la tierce partie c’est le peuple, si et seulement s’il pouvait se prononcer. Mais non, il ne peut pas, en partie à cause des manquements, contradictions et errances de l’opposition.
Pour sortir l’opposition de sa léthargie sans l’arbitrage du peuple, sans l’intervention d’une tierce partie, je vois donc les options suivantes :
- Mêmes acteurs, mêmes mentalités : C’est la pire des solutions. Au regard de l’état actuel de l’opposition, cette option permettrait au régime de s’éterniser, alors que les responsables de partis continueraient les jeux mesquins qui désespèrent tant les Togolais.
- Mêmes acteurs, changement de mentalités : Quoique cela relèverait d’un miracle, cela est possible. Depuis la libéralisation politique intervenue en 1991, l’une des choses dont on ne peut être fier par rapport aux opposants au régime togolais, c’est que les mentalités des acteurs de l’opposition n’ont pas changé, aussi bien vis-à-vis de leurs militants (leur principal atout), de leurs pairs (leurs précieux leviers), de la lutte contre le régime militaire et des grandes thématiques qui façonnent le monde.
Prenons par exemple les élections auxquelles l’opposition aime participer en laissant des plumes à chaque fois : les opposants ne commencent par s’y préparer que quelques 2 – 3 mois avant l’échéance, parce qu’ils passent des années dans l’hésitation, à parler de candidatures uniques et à guetter les faits et gestes de leurs pairs qui sont susceptibles de présenter aussi leurs propres candidatures. Lorsque l’élection arrive, l’on s’aperçoit que le message vis-à-vis des électeurs est le même que celui de l’échéance électorale précédente, parce qu’on n’a pas eu le temps de définir un nouveau message. Un changement de mentalités suppose qu’à deux ans au moins de l’échéance l’on ait une idée des potentiels candidats et que l’on commence par définir les différents messages qui vont meubler leur campagne. Par candidats je veux dire les candidats et leurs (multiples) remplaçants au cas où les titulaires cédaient aux sirènes du régime militaire.
- De nouveaux acteurs, mêmes mentalités : C’est la deuxième plus mauvaise solution, mais c’est une éventualité. Au cours des 30 dernières années, l’on a enregistré de nouveaux acteurs de première ligne, très souvent suite à l’éclatement des formations politiques existantes, des dissidences souvent liées au partage des dividendes. Parce que les nouveaux acteurs ont été formés sur le tas par leurs mentors dont ils se sont séparés pour des raisons pécuniaires, leurs choix politiques ne se sont que très timidement démarqués de ceux de leurs anciens mentors. Conséquence, l’offre politique n’est visible nulle part, car ce sont de nouvelles figures pour le même message.
- De nouveaux acteurs, de nouvelles mentalités : Il y a deux certitudes concernant tout nouvel acteur politique venant sur le terrain politique avec une nouvelle mentalité: c’est qu’il sera combattu à la fois par les « doyens » qui pataugent dans la boue glissante de la gouvernance RPT-UNIR, et par le régime lui-même, réticent à s’engager dans de nouveaux terrains que ceux qu’il maîtrise depuis 30 ans. Cette éventualité d’avoir à affronter deux Goliath intimide et rend la réalisation de ce scenario peu probable, parce que les potentiels nouveaux acteurs préfèreraient ne pas se mettre « les doyens » à dos.
Cette solution est fondamentalement une solution de défiance vis-à-vis du statut quo, et le prix à payer est assez élevé surtout lorsque le nouvel acteur est seul contre tous. Mais ce risque peut être mitigé si l’on a simultanément affaire à un groupe de nouveaux acteurs (pas forcement dans une seul mouvement politique) partageant une même et nouvelle vision de la politique dans un régime militaire, des objectifs à atteindre tenant compte de la nature de l’adversaire, et conscients de la position stratégique du Togo dans la mesure où ce qui s’y passe finit par devenir une norme politique au niveau régional.
Le changement de mentalité ici suppose qu’il faut sortir des carcans de la simple « lutte pour l’alternance », c’est-à-dire le simple remplacement du chef de l’État, pour inscrire la lutte pour le changement au Togo dans le grand ensemble de la lutte contre la domination des Africains, sous toutes ses formes. Cette nouvelle mentalité par de nouveaux acteurs pourrait avoir un effet d’entrainement dans la mesure où les acteurs déjà existants préfèreraient s’aligner plutôt que de demeurer dans les startingblocks. Dans ce sens, cette solution pourrait muter pour devenir celle dans laquelle on aurait un mélange de nouveaux et d’anciens acteurs, avec de nouvelles mentalités. Ce serait là un parfait alignement des étoiles, et c’est le principal défi que tous les mouvements en lutte pour le changement devraient favoriser, de toutes leurs forces.
A. Ben Yaya
New York, 15 novembre 2022
C’est en regardant ce qui n’a pas marché autre fois qu’on peut s’améliorer pour les fois futures
Oui tout le monde reconnait que le nerf de la guerre c’est sans nul doute l’argent. L’opposition togolaise n’a peut-être pas assez de moyens financiers, mais l’on peut se demander qu’est-ce que c’est seulement les moyens financier et autres qui permettent à d’autres oppositions dans le monde d’assoir l’alternance politique dans leurs pays? On peut sans risque de se tromper répondre par la négation. A bien voir, c’est le leadership qui permet aux uns et autres de prendre le pouvoir et de l’exerce. On ne le dit pas beaucoup, l’opposition togolaise a eu plusieurs fois l’opportunité de d’assoir l’alternance politique au Togo. Dans un premier temps, après la conférence nationale souveraine, elle avait la main mise sur un certain nombre d’institution comme le Haut Conseil de la République (HCR), la Primature. Qu’est ce qu’elle a pu faire pour assoir définitivement l’alternance au Togo? Beaucoup peuvent le dire: elle a commencé une chasse à l’homme qui ne dit pas son nom, pensant que le régime était aux abois malheureusement pour les opposants de cette époque, le Général Eyadèma Gnassingbé en fin stratège a retourner les choses en sa faveur. Aussi en 1994, alors que l’opposition avait reporté les législatives devant le RPT, le CAR de Yaovi Agboyibor et l’UTD d’Edem Kodjo n’ont pas pu s’entendre pour constituer un gouvernement. Que dire de la C14 ? Une analyse lucide permet de dire que le grand problème de l’opposition togolaise c’est le leadership, c’est-à-dire les opposants n’arrivent pas a s’entendre sur l’essentiel pour mettre en place un programme politique qui puisse leur permettre de prendre le pouvoir et l’exercer. L’unité de cette opposition est entravée par l’ego démesuré et les intérêts personnels de certains leaders des formations politiques.