Dans « La poétesse de Dieu », son dernier roman, David Kpelly passe par le polar pour décrire les maux du Mali avec ses mots et ses phrases parfois cinglants.
Si le titre vous a fait penser au Rêve de mon père de Barack Obama, c’est gagné. Car, en effet, il s’agit de l’histoire d’un rêve. Mais à l’opposé du récit d’une quête identitaire de l’ancien président américain, La poétesse de Dieu porte sur l’histoire de trois générations de femmes : Maman Rokia, Aminata et Alima, la petite fille et l’ « héroïne » de l’histoire.
Dans ce roman plein d’innombrables et passionnants rebondissements, David Kpelly décrit, dans un style simple et plein d’humour, des situations qui empruntent toujours aux réalités sous nos cieux, conformant que tout écrivain est un voleur de vies.
Dans les premières pages, David Kpelly décrit une rencontre, celle de Yao Aziawowovivina, le professeur de français, et de son élève, Alima Sallaye, brillante jeune lycéenne dont la vie finira par basculer. Au commencement donc était une relation, un lien qui unit un enseignant à un(e) élève brillant(e).
Devenir comme Aoua Keïta
Il suffit, des fois, d’un moment, d’une rencontre pour faire tout basculer dans une vie. Ce fut le cas pour Maman Rokia lors d’une visite du premier président du Mali, Modibo Keïta, et sa délégation à Koulikoro. Fascinée par l’éloquence et le charisme de Aoua Keïta, sage-femme, écrivaine mais également première femme députée du Mali indépendant, Roukiatou Coulibaly prit une décision : aller à l’école, écrire des livres et parler en public.
Mais que vaut le rêve d’une jeune fille dans une société où il est établi que « La plus noble aspiration d’une jeune fille est le foyer […], un mari et des enfants », comme l’a écrit Seydou Badian dans Sous l’orage ?
Le rêve s’est effondré un mois après quand elle est mariée, âgée à peine de 15 ans, à Salim Sow, un commerçant quinquagénaire pour devenir la quatrième épouse. Roukiatou Coulibaly, après avoir souffert des interminables rivalités entre coépouses et de nombreuses fausses couches, donna naissance à une fille : Aminata, qu’elle inscrivit à l’école pour réaliser le rêve de « devenir comme Aoua Keïta ». Une fois de plus, le rêve sera reporté sur Alima.
Début de la série noire
Intelligente, courageuse et passionnée de littérature, Alima voulait devenir poétesse. Si elle donnait ainsi l’espoir à Maman Rokia de réaliser le rêve, une soudaine et surprenante disparition suscite la curiosité et l’inquiétude. Une enquête de Bamako à Ouagadougou va réunir trois hommes : Yao, le prof de littérature d’Alima devenu journaliste, Zopiro, le Chevalier du Christ ou le Charognard et Targui, le jeune policier touareg. S’il existait un prix de « Meilleur personnage de roman », il serait attribué à Zopiro, l’homme aux multiples noms et talents. Rusé, cynique, drôle, Zopiro a un sport favori : sortir à tout bout de champ des citations tirées de la Bible.
En filigrane dans cette enquête, Kpelly ne manque pas de dresser le tableau de certains maux gangrenant les sociétés ouest-africaines, particulièrement celle du Mali : la drogue ; le laxisme dans les administrations publiques ; des fonctionnaires déçus et aigris dont certains ne trouvent consolation que dans l’alcool ; les contradictions d’un certain panafricanisme 2.0 ; les rackets aux frontières dans une communauté économique et monétaire ; le terrorisme et la radicalisation des jeunes. Ces derniers maux eurent raison d’Alima, la « Poétesse de Dieu ». C’est sa relation avec Salif Touré, jeune étudiant en médecine, beau et riche, qui marque le début de la série noire pour Alima. Ce dernier est impliqué dans un cruel business : le trafic de drogue.
« Alima, le djihadisme n’est plus une question d’instruction. Il touche désormais à toutes les couches de la société. Cette affaire, Dieu seul sait pourquoi, est en train de devenir comme un phénomène de mode séduisant de plus en plus de jeunes. » Malgré ces conseils de son amie Timfa, Alima, en quête de rédemption, se laisse entraîner dans une association de jeunes « chargée de diffuser à l’endroit des jeunes la parole de Dieu ».
Maman Rokia avait-elle raison lorsqu’elle s’inquiétait de laisser sa petite fille dans une grande ville comme Bamako ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne verra jamais son rêve se réaliser : devenir comme Aoua Keïta. La poétesse de Dieu, jusqu’à la dernière page, ne finit pas de surprendre.
Source: Benbere.org