« La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des
élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire; c’est un code moral » Pierre Mendès France
Au Togo, les élections régionales et législatives sont annoncées. Et comme toujours dans ce pays, l’évocation d’un scrutin électoral provoque séismes et éruptions dans le Landerneau politique. On peut en concevoir de la perplexité, de la colère et même de tristesse. L’historien Fernand Braudel a écrit de belles pages sur les redondances de l’histoire qui ne suffisent pourtant pas à expliquer son bégaiement au Togo. Il s’agit en réalité d’un choix délibéré, nourri par l’amnésie sélective des leaders de l’opposition. Le réflexe pavlovien de politiciens, alléchés par les sinécures, ne doit plus interroger. Ceux qui font profession de porter les aspirations du peuple, ont également choisi de ne point s’élever au-delà de la conscience de leur ventre. Nul besoin de vaticiner : ils n’atteindront jamais la gravita qui fait les vrais hommes d’État.
La nation doit se résoudre à subir, une fois encore, la fièvre électoraliste qui s’est saisie des crypto-leaders de l’opposition que la longue dictature des Gnassingbé a fini de décérébrer et de lobotomiser. Le politicien togolais ne voit dans le partenaire, dès lors que l’os électoral est jeté dans l’arène, qu’un adversaire à pourfendre. Les philippiques du même contre le même voltigent, prélude de charrettes entières d’exclusions pour incompatibilité d’analyse politique. C’est affligeant.
Et pourtant, le moindre observateur voit bien les fils blancs dont sont toujours cousus leur défaite. La cécité est profonde. Triste sort d’un peuple martyrisé qui ne peut compter sur la ferme et lucide détermination de ses hérauts. Occupés à fourbir les armes d’une abjecte course échevelée aux prébendes, ils sont incapables de faire une lecture adéquate de la situation géopolitique mondiale. Que nous proposent-ils pour solliciter nos suffrages ? Quel est le programme ?
Et pourtant, s’ils avaient levé le front, ils auraient fait une lecture « glocale » de la situation du Togo. Ils auraient opéré la nécessaire trouée intellectuelle qui fonde l’action. Ils auraient mesuré la vacuité d’une participation à une joute électoraliste qui ne résout aucun problème au Togo et en Afrique francophone en général. Au contraire. Ils auraient compris, en trente années d’errance, l’iniquité de la reconduite des mêmes méthodes, prônées par les mêmes écuries et pour les mêmes échecs. Ils auraient identifié enfin la folie dans laquelle ils s’ingénient à entraîner le Togo.
Comment font-ils pour ne pas discerner dans le maelström international que Faure Gnassingbé est le seul bénéficiaire des élections annoncées ? Le régime de Lomé 2 est vacillant et fortement secoué sur ses bases. Ses soutiens internationaux sont de plus en plus défaillants. Il a toutes les peines du monde à faire face au terrorisme qui sévit au nord du pays. M. Gnassingbé est encore plus démuni pour résister aux chocs des intérêts exogènes qu’il a toujours servis. Il sait ne pas pouvoir compter sur un peuple que des décennies de maltraitance ont éloigné de lui. L’armée n’est pas formée contre les menaces extérieures. C’est une milice tournée contre le peuple, au service d’un pouvoir familial. La quadrature du cercle. Lomé 2 ne voit son salut que dans ce qu’il sait faire le mieux : les élections, avec des participants stipendiés, pour redorer son blason. La tentative d’une hypothétique union du peuple, autour d’un chef putatif est en cours. L’objectif étant de pouvoir brandir en trophée le caractère « démocratique » d’un régime usé jusqu’à la corde.
Jean-Pierre Fabre et l’engeance maffieuse des pseudo-opposants ont fait le choix délibéré du soutien de la dictature, contre le peuple togolais. Qu’il en soit donné acte. L’alliance nationale pour le changement (ANC) a porté au niveau du « dogme » sa participation à toutes les consultations électorales. À droit électoral positif constant, il est clair que la victoire n’est pas le but recherché. L’intérêt est ailleurs.
Pourquoi faudrait-il, pour la Dynamique pour la Majorité du Peuple (DMP) et les partis qui se veulent sérieux, accompagner cette forfaiture ? Quel intérêt a le peuple à voler au secours d’un régime moribond ? Pourquoi en définitive prendre le risque de se briser le cou à la cime d’un arbre pour un fruit mûr, sur le point de tomber ? Qu’espèrent-ils en participant aux prochaines élections ? La victoire ? Nous l’avons dit, ce n’est pas le but. L’issue de toutes les élections au Togo nous renseigne que jamais Lomé 2 ne permettra ni la vérité des urnes ni la dévolution pacifique du pouvoir à une force de changement. M. Gnassingbé nous a averti : « papa a dit de ne jamais céder le pouvoir ? ». Oublier cette doctrine fondatrice de la dynastie des Gnassingbé est suicidaire. L’opposition nous y invite.
Qu’est-ce qui peut alors justifier la ruée participative à une élection que l’on sait ne pas pouvoir gagner ? Les tartuffes tentent de nous convaincre de la nécessité de ne pas laisser un boulevard à la dictature. Comme s’ils en avaient les moyens ! C’est un argument fallacieux. Faure Gnassingbé est le maître du jeu électoraliste. Il aménage à sa guise des sentiers aux accompagnateurs de son choix.
D’autres évoquent benoîtement une révolution électorale. Le peuple, sait que « ses leaders » manquent de constance et de cohérence. Nombreux sont les défenseurs de cette théorie qui ont refusé le moindre soutien à la légitime revendication de la DMK de la victoire de 2020. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Voire… Toute révolution électorale qui ne sera pas précédée d’une révolution interne à l’opposition, en nettoyant les écuries d’Augias, n’aura aucune chance d’aboutir. Il s’agit là encore d’une chimère destinée à justifier une honteuse compromission.
Les vaines rodomontades unionistes sont l’habituel habillage des trahisons à venir. La dictature a produit une classe politique médiocre et vicieuse, affairiste et structurellement dressée contre toute véritable opposition à Lomé 2. Ils ne peuvent tolérer un leadership qui crédibilise l’action. Seul compte le mantra d’une union acéphale et hétéroclite qui fait les défaites de demain.
Le peuple doit ployer jusqu’à terre et vivre à genoux pour être mieux pillé. Ses propres fils participent activement à ce dessein funeste de leurs maîtres de la Françafrique, cette maffia qui régente les esprits et distribue les rôles des acteurs à travers notamment leur commune appartenance maçonnique. Les intérêts de l’ordre surpassent ceux de la nation. Comme disait Chateaubriand de Napoléon : « un moucheron qui volait sans son ordre, était à ses yeux un insecte révolté ». Ces esclaves, soumis à un ordre d’airain, sont chargés de remettre continuellement le tyran en selle. Fabre, Apéro, Gogué et consorts n’ont cure d’une élection à laquelle ils ne croient guère. Ils ne croient qu’en leurs loges. Ils n’ont foi qu’en l’épaisseur de leur porte-monnaie. Toute libération du Togo passe par la mise à l’écart sans ménagement de ces individus véreux, qui ne s’appartiennent plus et qui, jamais ne défendront prioritairement les intérêts de la nation.
Il n’y a, en définitive, aucune bonne raison d’accompagner un président de fait à des élections conçues comme la légitimation de la forfaiture du 22 février 2020. Les politiciens sérieux savent cultiver opportunément l’art de ne rien faire. Mieux, ceux de l’étoffe de Mandela ou de Gbagbo, savent travailler souterrainement, opiniâtrement à l’avènement du kaïros. Avec pour seule boussole la justesse du combat, ils sont prêts à en embrasser les nuits et les déserts, les parts d’ombre et l’éclat lumineux de la victoire. Ils savent, dans une totale oblation, dire avec Henri de La Rochejaquelein : Si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ; si je recule, tuez-moi. ». Le sort d’une nation ne se joue qu’à ce niveau d’engagement des acteurs. La politique n’est ni un jeu, ni un gagne-pain.
La cassure de la DMK est l’illustration de l’incapacité des politiques à penser le réel, à situer les enjeux et à créer des synapses qui fondent une stratégie cohérente. Les trois années de contestation électorale de la DMK, ont fortement ébranlé le dictateur. L’impatience de la branche interne de ce mouvement n’en gaspillera que les bénéfices. Ce schisme est le résultat de la proverbiale cupidité de l’homme politique togolais. Il va offrir les leviers du détricotage de la victoire de la dynamique du prélat. Il y a fort à parier que l’aventure schismatique de la DMP ne s’enlise sous les 19 % « octroyés » à la DMK en 2020. L’argument d’une participation victorieuse, en vue d’accéder aux manettes du pouvoir pour réhabiliter la DMK est une galéjade. Il n’est ni réaliste ni recevable en régime dictatorial. A Lomé 2 on ne perd pas le nord. Il faut absolument avaliser le forfait de 2020. Faure Gnassingbé a la possibilité, suprême cynisme, d’inverser les scores de la DMK et de l’ANC de 2020 et de refaire de Jean-Pierre Fabre le chef de file de l’opposition. Clap de fin. L’aventure de la DMP est un naufrage.
L’opposition togolaise n’est pas sérieuse. La médiocrité et la cupidité n’ont jamais renversé une dictature et assuré le bonheur d’un peuple.
Jean-Baptiste K.