L’apocalypse n’a pas eu lieu : ou les lettres africaines de Fodjo Kadjo Abo

« Si on ne s’estime pas investi d’une mission, exister est difficile ; agir, impossible. » (Emil Michel Cioran). L’écrivain naît investi d’un devoir d’honnêteté envers l’Histoire. Témoin vivant de son époque, il se doit de laisser des écrits fiables pour éclairer la lanterne des générations postérieures sur les évènements et les faits majeurs qui auront émaillé le monde de son temps. Ce devoir, certains auteurs s’en acquittent en toute âme et conscience, d’autres avec plus ou moins de volonté.

Fodjo Kadjo Abo est du premier groupe. Il suit dans cette voie des magisters comme Sénèque le Rhéteur, ou Plutarque, Harriet Beecher Stowe (La case de l’oncle Tom), Émile Zola (Germinal), Mongo Beti (Ville cruelle), mais aussi les maîtres de la littérature orale qui de génération en génération nous ont transmis de bouche à oreille l’Histoire, qui est aussi la connaissance du passé par… les mots dits.

Telle une guerre d’envergure mondiale, la Covid-19 a semé la mort et la désolation aux quatre coins de la planète. Et telle une guerre mondiale, cette pandémie a suscité des réflexions sur la condition humaine (comme l’entendait André Malraux), elle a stimulé le génie des hommes et inspiré bien des auteurs. Parmi ces derniers, l’écrivain ivoirien Fodjo Kadjo Abo a le mérite de notre attention à plus d’un titre. L’apocalypse n’a pas eu lieu, tel est le grave intitulé de l’ouvrage que Fodjo Kadjo Abo vient de commettre à l’intention de ses contemporains et en particulier de ses frères et sœurs africains, mais aussi des générations à venir. Car, oui, à l’avenir les gens pourront se poser beaucoup de questions. Comment, en plein XXIème siècle, imbue des acquis scientifiques et des savoirs spéculatifs assimilés depuis des millénaires, l’humanité a-t-elle pu se laisser surprendre et terrasser par une maladie infectieuse, comme dans les temps moyenâgeux ? Voyons à ce propos si nous avons des chiffres dans l’ouvrage de Fodjo Kadjo Abo… Voilà, page 180, dans une lettre de Justin Yéboua adressée à son cousin Koffi Ban,  (précisons que Koffi Ban est le personnage central de l’œuvre résidant en Europe et très préoccupé par la manière dont son pays et son village en particulier font face à la pandémie), il est écrit noir sur blanc : « Selon des statistiques publiées dans certains médias à la mi-mars 2021, le nombre de décès liés au Covid-19 dans le monde était de 2 880 290 ainsi répartis : 1 517 994 en Amérique, 886 000 en Europe, 368 634 en Asie, 106 706 en Afrique, et 958 en Océanie. »

Enfer et Belzébuth ! Aucune exclamation même la plus chtonienne ne pourrait paraître exagérée devant une telle hécatombe. L’espèce la plus intelligente et la plus aboutie de la race humaine depuis Toumaï succombe et tombe comme des mouches devant ce que d’aucuns ont pourtant appelé, et l’auteur n’a pas manqué de le rappeler dans son livre à la page 111, une variation de paludisme ; une quelque-chose de pathologie dont on aurait pu venir à bout avec une simple tisane ou une décoction de grand-mère comme on sait les concocter en Afrique. Fodjo Kadjo Abo fait d’ailleurs mention dans son livre du médicament qui avait été proposé par la plus haute autorité de Madagascar, le Covid Organics en l’occurrence qui avait fait ses preuves dans ce pays, mais qui s’était heurté au scepticisme de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ce qui n’avait d’ailleurs pas manqué de raviver le débat sur l’indifférence caractérisée des Occidentaux à l’endroit de la médecine et des croyances africaines en général.

À ce propos, le cas de Koffi Ban, le héros pour ainsi dire du roman épistolaire de Fodjo Kadjo Abo est assez édifiant. Éminent intellectuel d’origine ivoirienne résidant à Paris depuis une trentaine d’années, on se serait attendu à une certaine inconsidération de sa part, si ce n’est un désaveu catégorique des rites et pratiques ancestrales de son continent d’origine. Pourtant, tout au contraire, à la grande surprise de ses parentés et amis restés au pays avec lesquels il entretient une correspondance nourrie et animée de débats divers et passionnés, Koffi recommande mordicus le retour aux sources. RACINES. Pour lui, le bel exemple de résistance de l’Afrique face à la pandémie du Coronavirus, alors que l’OMS et d’autres agences de notations divinatoires de l’Occident lui avaient prédit l’apocalypse, est une preuve empirique de ce que les Africains gagneraient à affronter le monde et ses défis avec des moyens qui sont garants de leur authenticité. Ils doivent arrêter de suivre aveuglément l’Occident et ses médias, résolument engagés qu’ils sont dans la voie de la diabolisation insidieuse de l’Afrique et de tout ce qui lui est propre. « En matière de lutte contre les épidémies et les désastres, nos ancêtres avaient des recettes auxquelles nous pouvons avoir utilement recours. », peut-on lire à la page 22 de L’apocalypse n’a pas eu lieu.

Depuis son Adoumkrom natal, village du Nord-Est de la Côte d’Ivoire dont il préside aux destinées d’un millier d’habitants (On peut comprendre la pression psychologique qui fut la sienne alors que soufflait l’ouragan Covid, qui n’a heureusement pas fait de victime dans cette petite localité) ; depuis son Adoumkrom natal, disions-nous, Fodjo Kadjo Abo signe ici un nouvel ouvrage remarquable qui ne devrait pas manquer de servir de référence aux chercheurs et aux historiens, tant les données qui s’y trouvent sont scientifiquement crédibles. Homme de pensée, passionné du débat sociétal et de la dialectique constructive comme on a pu le voir dans ses précédents ouvrages, l’écrivain et magistrat ivoirien laboure dans L’apocalypse n’a pas eu lieu un vaste champ de réflexion sur les déséquilibres parfois factices entre l’Occident et l’Afrique, tout en ouvrant une fenêtre sur les possibles voies et moyens qui pourraient permettre de rétablir justement un tant soit peu l’équilibre, plutôt que de se laisser phagocyter dans un univers étranger où nous ne serions plus que des aliens. Fodjo Kadjo Abo cite à ce sujet des exemples de réussite comme la Chine ou encore le Japon, des pays aujourd’hui développés qui ont assimilé avec maestria la science de l’Occident, sans pour autant y sacrifier leur authenticité et leur civilisation. Comme pour dire, puisque nous aimons copier, autant copier le bon exemple. 

Fodjo Kadjo Abo est aussi l’auteur du livre intitulé Que ne ferait-on pas pour du pognon, finaliste du GPAL 2015 dans la catégorie Recherche (Grands Prix des Associations Littéraires).

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