Selon une étude panafricaine de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) sur les dynamiques familiales, le « célibat tardif » et la « stérilité volontaire » gagnent du terrain dans les trois capitales africaines visées.
À Lomé au Togo, Ouagadougou au Burkina Faso et Antananarivo à Madagascar, ces pratiques considérées comme marginales socialement ont connu une évolution importante : plus de femmes sont célibataires après 30 ans et celles de plus de 40 ans sont plus nombreuses à ne pas avoir d’enfant volontairement.
Dans leur étude panafricaine, les démographes et socio-anthropologues de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) se sont penchés sur les transformations des dynamiques familiales dans trois capitales du continent : Lomé au Togo, Ouagadougou au Burkina Faso et Antananarivo à Madagascar.
Alors que les études existantes portent dans l’immense majorité sur les pratiques dominantes autour de la famille, la fécondité et l’accouchement, les chercheurs se sont principalement intéressés aux pratiques considérées comme marginales d’un point de vue social.
L’un des sujets de l’étude était le « célibat tardif » et son évolution. Dans les capitales malgache et burkinabè, environ 5% des femmes de plus de 30 ans ne sont pas mariées. À Lomé, c’est 9%, et presque 20% si l’on observe uniquement les femmes entre 30 et 34 ans.
Comme le révèle Valérie Delauney, chercheuse démographe à l’IRD et au laboratoire « Population, environnement et développement » à Marseille, et son équipe, il s’agit d’une évolution très importante.
« D’abord, le célibat, c’est le fait de ne jamais avoir été mariée. Tardif, c’est au-delà de 30 ans, puisque l’âge moyen de mariage dans les trois pays est autour de 20 ans. Et donc ce qu’on observe dans les trois pays, au moins sur la dernière décennie, c’est que le célibat tardif est en augmentation, et plus particulièrement dans les capitales. Très fortement à Lomé, où là, on a des changements plus importants. On a des hypothèses sur Lomé, sur la question de la religion. Il y a des études qui vont se poursuivre sur notamment le pentecôtisme qui rendrait plus difficile et plus contraignant les conditions à réaliser pour arriver à se marier. Cela pourrait contribuer à cette évolution du célibat tardif. C’est sûr qu’il y a un lien [avec les accès aux études pour les femmes] : plus les femmes poursuivent tard leurs études, plus ça va repousser le mariage. Mais non, je pense que les causes sont à chercher ailleurs. Pour Antananarivo, cette évolution est un peu plus récente et on n’a pas encore d’explication particulière : je pense que c’est vraiment le début de quelque chose », a-t-elle indiqué.
Ne pas vouloir d’enfant, une décision stigmatisante mais qui croît dans la société
L’autre pratique « marginale socialement » à avoir évolué et à être étudiée est la « stérilité volontaire », soit la volonté de ne pas avoir d’enfant. Selon les chercheurs, son apparition est pratiquement similaire dans ces trois capitales : 7% à 8% des femmes de plus de 40 ans résidant à Antananarivo, Lomé ou Ouagadougou n’ont volontairement pas d’enfant.
Dans les deux pratiques, ces chemins de vie, qu’ils soient contraints ou choisis, peuvent s’accompagner quasi systématiquement d’une stigmatisation. Car à Madagascar, comme au Togo ou au Burkina Faso, la « norme socialement reconnue » est de se marier et d’avoir des enfants avant 21 ans. Alors, quand on sort de la norme, on s’expose au jugement de la société.
Kanto, 32 ans, est sage-femme. Depuis peu, elle a repris ses études et elle est la seule dans sa classe à ne cocher aucune de ces deux cases : « Aujourd’hui, j’assume mon statut de célibataire sans enfant, parce que je gagne un salaire qui me permet d’être autonome. Mais quand j’ai commencé à travailler, ça m’était insupportable : “Combien d’enfants as-tu ? que fait ton mari ?” Je réponds alors : “Je n’ai pas de mari, pas d’enfant”. Et là, les gens sont horrifiés, on parle de toi par derrière, on se questionne : “Qu’a-t-elle fait pour être dans cette situation ?”, on te traite comme une adolescente immature. »
Jugement des proches, honte, frustration et blessures
Ce sentiment est largement partagé par les différents témoins interrogés dans le cadre de l’étude par Frédérique Andriamaro, chercheure socio-démographe et doyenne de la faculté des sciences sociales à l’Université catholique de Madagascar (UCM).
« Les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête qualitative ont parlé d’un ressenti de honte, de frustration, par rapport à ce que l’entourage disait, aux médisances de la famille, surtout. Quand il y a des décisions à prendre, on ne les considère pas, on ne les intègre pas dans les discussions, parce que selon leurs proches, ils ont un regard, une attitude de personne non responsable qui n’entre pas dans les valeurs et les normes de la famille. »
Kanto a eu des opportunités de se mettre en couple, mais ne s’est pas sentie prête et « n’avait pas la sensation que c’était la bonne personne » : « J’ai eu des opportunités, mais je n’étais pas prête, je n’avais pas la sensation que c’était la bonne personne pour moi. Psychologiquement, je n’étais pas prête à fonder un foyer. C’est pour tout cela que j’ai préféré attendre. »
« À chaque fois qu’on veut me souhaiter quelque chose, à la nouvelle année, à mon anniversaire, c’est toujours : “On espère que cette année sera la bonne pour trouver un mari, pour avoir un enfant”. C’est vraiment blessant et frustrant », poursuit-elle.
D’après les chercheurs, ces phénomènes de célibat tardif et de stérilité volontaire ne sont pas forcément nouveaux, mais ils restent méconnus par manque de données. Avec cette étude panafricaine menée par l’IRD, ils espèrent rendre visibles des situations sociales stigmatisantes et interpeller les pouvoirs publics des trois pays dans lesquels elle a été réalisée.
Source: RFI