C’est à travers une lettre ouverte que Professeur Pascal Kossivi ADJAMAGBO interpelle Faure Gnassingbé sur l’anticonstitutionnalité de la tentative de changement de République par une Assemblée nationale non qualifiée.
LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT DU TOGO
SUR L’ANTICONSTITUTIONALITE DE LA TENTATIVE DE CHANGEMENT DE REPUBLIQUE
PAR UNE ASSEMBLEE NATIONALE NON QUALIFIEE
Professeur Pascal Kossivi ADJAMAGBO
Son Excellence Monsieur le Président de la République,
Avec tout le respect républicain que je vous dois pour vos fonctions suprêmes à la tête de la République Togolaise, et au nom de la cordialité de nos relations malgré notre divergence cordiales sur l’impératif de l’alternance politique pacifique dans notre pays bien-aimé, notamment depuis la signature de l’accord historique RPT-UFC en mai 2010, permettez à un universitaire et à un responsable politique togolais d’apporter, à la suite de la Conférence des Evêques du Togo, sa contribution à l’actualité du débat public togolais, en projetant la lumière de la rigueur mathématique et juridique sur l’anti-constitutionalité indiscutable de la tentative, non pas d’une simple révision constitutionnelle, mais d’un véritable changement de république, par une assemblée nationale non qualifiée par la constitution en vigueur au Togo. Pour terminer, permettez-moi de revenir sur l’impératif de l’alternance politique pacifique au « pays de nos aïeux ».
Avec votre expérience personnelle de 19 ans d’exercice des fonctions de chef de l’Etat togolais, et votre expérience familiale de 38 ans d’exercice de ces fonctions par votre père, vous saviez mieux que tout autre togolais que lorsqu’un gouvernement a présenté sa démission au président de la république et qu’il est chargé d’expédier les affaires courantes en attendant la nomination et la prise de fonction du nouveau gouvernement, le gouvernement démissionnaire n’est pas habileté à prendre des décisions importantes qui engageront le nouveau gouvernement. Ce n’est que cette règle de bonne conduite avant la passation de pouvoir qui est commune à toutes les institutions respectables que l’article 52 de la constitution en vigueur au Togo a formalisé dans son dernier alinéa en les termes suivants que vous connaissez bien et que je rappelle à l’attention de tous les lecteurs : « Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sortants, par fin de mandat ou dissolution, restent en fonction jusqu’à̀ la prise de fonction effective de leurs successeurs ». Sous-entendu « pour expédier les affaires courantes, en s’abstenant de toute initiative importante engageant leurs successeurs, en s’abstenant en particulier de toute initiative de révision constitutionnelle, à fortiori de toute initiative de changement de république ».
Cette interprétation fidèle et rigoureuse du dernier alinéa de l’article 52 est confirmée par l’alinéa 5 de l’article 144 de la constitution en vigueur au Togo qui affirme sans équivoque : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacances (sous-entendu de l’Assemblée Nationale) ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Les députés de l’Assemblée Nationale togolaise issue des élections du 20 décembre 2018 ayant pris fonction le 23 janvier 2019 avec un mandat du peuple souverain togolais de 5 ans, pas plus, leur mandat a pris fin officiellement le 22 janvier 2024, selon les termes de la constitution togolaise, et cette assemblée est « en intérim » depuis le 23 janvier 2024. De plus, d’après l’alinéa cité de l’article 144 de la constitution en vigueur au Togo, l’Assemblée Nationale togolaise actuelle, non seulement n’est pas qualifiée pour faire une révision constitutionnelle, et encore moins un changement de régime, mais surtout est formellement interdite de telles initiatives.
En effet, la réforme constitutionnelle, votée en première lecture en catimini et nuitamment par l’Assemblée Nationale Togolaise le 25 mars 2024, en supprimant l’élection du président de la République au suffrage universel et en proposant l’élection par l’Assemblée Nationale pour un mandat unique de six ans du Président de la République dépouillé de ses prérogatives dans la constitution en vigueur, au profit du président du conseil des ministres, un équivalent de Premier Ministre d’un régime parlementaire, également élu par l’Assemblée Nationale, mais sans limitation de nombre de mandats, voudrait opérer beaucoup plus qu’une révision constitutionnelle, en fait un changement constitution, pour faire passer le Togo de la 4ème république actuelle à la 5ème république.
Or, une réforme constitutionnelle de cette ampleur, même par une Assemblée Nationale dont le mandat n’est pas encore terminé, est formellement interdite à l’Assemblée Nationale par l’article 59 de la constitution en vigueur au Togo dont les deux premiers alinéas affirment sans laisser aucune marge de manœuvre pour trafiquer la constitution : « Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire ».
Ce privilège exclusif accordé par la constitution togolaise en cours au peuple togolais, à l’exclusion de l’Assemblée Nationale togolaise, n’est qu’une conséquence logique de l’article 4 de la constitution en vigueur au Togo dont le premier alinéa déclare solennellement : « La souveraineté appartient au peuple. Il l’exerce par ses représentants et par voie de référendum. Aucune section du peuple, aucun corps de l’Etat ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».
En particulier, ni le Président de la République réellement élu au suffrage universel, ni l’Assemblée Nationale, dont les députés ont été réellement élus par le peuple souverain, et non « nommés » par le pouvoir exécutif, ni les chefs traditionnels, qui ne sont pas élus par leurs peuples, mais nommés et payés par le pouvoir exécutif, ni « les corps organisés » par le pouvoir exécutif, ne peuvent s’attribuer l’exercice de la souveraineté du peuple.
Cet article 4 de la constitution en vigueur au Togo dénie toute valeur constitutionnelle à la « consultation de la base » des députés de l’Assemblée Nationale « par intérim » demandée par le Chef de l’Etat togolais à cette Assemblée Nationale avant un hypothétique « vote en deuxième lecture » de la « réforme constitutionnelle » votée en première lecture par cette Assemblée Nationale « par intérim » le 25 mars 2024.
Malgré votre jeune âge, en comparaison du mien, vous avez déjà vous-même, à quatre reprises en 2005, 2010, 2015 et 2020, solennellement proclamé la souveraineté exclusive du peuple togolais lors de vos prestations de serment comme Président de la République, en reprenant les mots de l’article 64 de la constitution en vigueur au Togo, pour déclarer : « Devant Dieu et devant le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté populaire, Nous…, élu Président de la République conformément aux lois de la République, jurons solennellement de respecter et de défendre la Constitution que le Peuple togolais s’est librement donnée ».
Cet article 4 de la constitution en vigueur, rappelé par son article 64, n’est en fait que la formulation juridique du « principe général de la représentation », originellement formulé par l’adage « le territoire n’est pas la carte », et qui implique en particulier que « les représentants du peuple, en particulier le président élu au suffrage universel, ou les députés, ne sont pas le peuple », contrairement à la pratique du pouvoir même dans les démocraties les plus avancées du monde, comme la démocratie des Etats-Unis d’Amérique, la plus ancienne démocratie du monde, ou les démocraties européennes, ou la démocratie indienne, la plus grande démocratie du monde du point de vue démographique.
A la lumière de ces citations et explications fidèles et rigoureuses de plusieurs articles de la constitution en vigueur au Togo, il est clair et indiscutable, comme devant une preuve irréfutable d’un théorème, que les diverses tentatives de reforme constitutionnelles, en première ou deuxième lecture, par l’Assemblée Nationale togolaise « par intérim », constituent des violations flagrantes et graves des articles 4, 52, 59, 64 et 144 de la constitution en vigueur au Togo.
La flagrance et la gravité de ces violations de la constitution en vigueur au Togo par son Assemblée Nationale « par intérim » fait déjà de ces violations de véritables tentatives de « coup d’état constitutionnel », qui tombent donc sous le coup de l’article 150 de la constitution en vigueur au Togo stipulant dans son intégralité : « En cas de coup d’Etat, ou de coup de force quelconque, tout membre du Gouvernement ou de l’Assemblée nationale a le droit et le devoir de faire appel à̀ tous les moyens pour rétablir là légitimité constitutionnelle, y compris le recours aux accords de coopération militaire ou de défense existants. Dans ces circonstances, pour tout Togolais, désobéir et s’organiser pour faire échec à l’autorité illégitime constituent le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs. Tout renversement du régime constitutionnel est considéré comme un crime imprescriptible contre la nation et sanctionné conformément aux lois de la République ».
Toujours à la lumière des citations et explications fidèles et rigoureuses précédentes des articles 4, 52, 59, 64, 144 et 150 de la constitution en vigueur au Togo, et du premier alinéa de son article 144, affirmant : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et à un cinquième (1/5) au moins des députés composant l’Assemblée nationale », il est tout aussi clair et indiscutable qu’une éventuelle promulgation par le Président de la République de la réforme constitutionnelle votée en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale togolaise « par intérim », ferait du Président de la République le commanditaire du « coup d’état constitutionnel » exécuté par l’Assemblée National togolais « par intérim », en vue de la perpétuation du régime héréditaire togolais. Dans ce cas, le Président de la république, en plus d’être accusé du quadruple parjure de ses serments constitutionnels conformément à l’article 64, tomberait de lui-même sous le coup des alinéas 2 et 3 de l’article 150 de la constitution en vigueur au Togo.
Cette éventuelle promulgation de la réforme constitutionnelle adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale togolais « par intérim », achevant « le coup d’état constitutionnel » exécuté par cette assemblée, serait également une violation fragrante et grave l’article 1er, alinéa c, section I (des principes de convergence constitutionnelle) du traité de la CEDEAO signé par le Togo et intitulé « Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ». Cet alinéa affirme : « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». Cette violation attirerait alors sûrement sur le régime héréditaire togolais les foudres de la CEDEAO sous l’impulsion du nouveau pouvoir révolutionnaire et panafricain sénégalais, compte tenu de la singularité du Togo dans toute l’Afrique de l’Ouest en matière d’alternance politique.
Puisque la réforme constitutionnelle débattu à l’Assemblée Nationale togolaise « par intérim » voudrait changer radicalement les mandats des nouveaux députés à quelques jours des imminentes élections législatives togolaises, cette réforme constituent indéniablement une réforme électorale majeure pour des imminentes élections.
Cette éventuelle promulgation serait également une violation fragrante et grave l’article 2, alinéa 1, section II (des élections) du traité de la CEDEAO signé par le Togo et intitulé « Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ». L’alinéa cité énonce clairement : « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Cette nouvelle violation des articles de la CEDEAO accentuerait sûrement la pression sur le pouvoir togolais créée par la violation précédente des lois de la CEDEAO.
Monsieur le Président de la République, en conclusion de la longue mais rigoureuse démonstration de l’anti-constitutionalité de la réforme constitutionnelle en cours de discussion à l’Assemblée Nationale togolaise « par intérim » et des conséquences incontrôlables de sa promulgation éventuelle, permettez-moi de vous affirmer que cette éventuelle promulgation a toutes les chances de vous créer beaucoup plus de problèmes tant sur le plan national qu’international qu’elle ne pourrait résoudre.
Monsieur le Président de la République, puisque la démonstration est faite que la réforme constitutionnelle en cours par une Assemblée Nationale togolaise non qualifiée est pour le peuple souverain togolais un « faux problème » politique, qui peut cependant vous créer de « vrais problèmes » politiques, comme annoncé au début de la présente lettre, permettez-moi de terminer, conformément à mes convictions politiques, humanitaires et religieuses que vous connaissez bien, sur « le vrai problème » politique qui préoccupe le peuple souverain togolais, et dont il attend impatiemment la solution depuis des décennies, sachant que « l’alternance et la bonne gouvernance sont aussi nécessaire à la démocratie et à la prospérité que l’oxygène l’est aux coureurs » : « l’alternance politique pacifique en vue de la bonne gouvernance au service du bien-être du peuple souverain togolais, en vue de liberté totale, de ABLODE GBADJA, pour faire enfin du Togo l’or de l’humanité », et surtout pour relever le Togo de la faillite économique et morale du régime héréditaire sexagénaire togolais sur les exigences de l’alternance politique et de la bonne gouvernance, tristement illustrée par les récents scandales d’état étouffés du pétrole-gate et du covid-gate.
Je vous remercie de tout mon cœur pour votre attention.