Dans cette tribune libre, Ricardo Agouzou, conseiller municipal de la commune Kozah 1, examine le rôle crucial de la presse dans la communication avec la population. Alors que l’opposition au Togo néglige cet outil essentiel, le pouvoir en profite largement depuis le putsch constitutionnel. Agouzou appelle la classe politique de l’opposition à revoir sa stratégie de communication afin de regagner la confiance du peuple et de relancer la mobilisation. Lecture.
Tribune Libre
Ricardo Agouzou
Les médias, un levier de rapport de force : Quand l’opposition néglige, le pouvoir en profite
Depuis la formation du nouveau gouvernement Dogbé 2 et la présentation de la politique générale à l’Assemblée nationale, le pouvoir togolais a lancé une offensive médiatique inédite, marquant un tournant depuis la révision de la Constitution. Cette stratégie suscite des interrogations, alors que presque tous les ministres, parmi lesquels des anciens opposants, sont mobilisés pour occuper les médias et défendre les orientations de la cheffe du gouvernement.
Une véritable bataille médiatique qui ne dit pas son nom. L’objectif est de préparer les esprits pour asseoir les institutions de la 5e République. Une pédagogie pour agir sur la psychologie des Togolais est mise en branle !
Jadis négligée et non sollicitée par les gouvernants, la presse privée est restée dans les mains de l’opposition qui en fait ce qu’elle veut. Fantaisie et ingratitude sont la monnaie rendue aux médias qui courent derrière les leaders à la recherche de l’information. Considérés pour la plupart comme des mendiants, c’est sur les réseaux sociaux que certains leaders choisissent de s’exprimer. Quitte aux “pauvres” journalistes d’aller chercher l’information pour la traiter. “Il faut les éviter sinon on va trop dépenser. Il suffit de partager sur les plateformes et ils seront obligés d’en parler”, tels sont les murmures des leaders dans les couloirs. Même aux conférences de presse, le traitement des journalistes s’apparente à l’aumône. Ces derniers, qui attendent le “communiqué final” (jargon utilisé pour désigner les frais de déplacement), sont traités comme des bons à rien. “C’est 5000 F à prendre ou à laisser. Ceux qui ne sont pas invités n’ont rien.” C’est avec ce ton menaçant et humiliant que l’on traite nos journalistes dans les conférences de presse. Et pourtant, c’est ce “maigre” et “chétif” journaliste qui crée l’actualité. C’est lui qui fait des leaders ce qu’ils sont. Il peut construire et déconstruire s’il le veut. Sa puissance, c’est sa plume et les informations vérifiables qu’il détient.
Cette opportunité offerte gratuitement aux acteurs de l’opposition n’a pas été bénéfique pour le Togo. Pour cause, la communication et l’importance des médias sont méconnues par les formations politiques de l’opposition. Presque tous les partis politiques de l’opposition n’ont pas véritablement une cellule de communication dirigée par des experts qui s’y connaissent en communication politique. Si, pour certains, ce rôle est légué à certains journalistes qui ne sont pas forcément des communicants ou n’en ont pas la compétence, pour d’autres, c’est le comble. Ce sont les responsables du parti eux-mêmes qui gèrent leur communication sans aucune qualification. Que de la catastrophe !
Dans ces conditions, il est normal de voir l’opposition peiner à trouver de la matière dans ses analyses et à scruter à la loupe le comportement du pouvoir pour anticiper les événements. En tombant dans la routine, les mêmes discours servis dans les conférences et dans la presse finissent par dégoûter la masse. Il n’y a rien qui justifie la démobilisation si ce n’est la faute à la communication. Et quand on parle de communiquer, ce n’est pas seulement parler !
Si le pouvoir a choisi de communiquer sur les médias étrangers dans le passé, c’était pour redorer son image à l’extérieur, multiplier l’offensive diplomatique et obtenir le soutien des partenaires. L’actualité démontre qu’il a réussi son pari. Aujourd’hui, la communication interne est tournée vers les médias locaux, publics comme privés. On compte plusieurs experts pour gérer les cellules de communication du pouvoir, sans parler des centaines de jeunes communicants recrutés pour animer les réseaux sociaux. Et c’est ça, la com !
Le pouvoir aurait compris que, face au blocage, la voie du salut pour le politique est la communication, et qu’il faut s’y investir. Visiblement, la 5e République est en marche. En suivant les réactions de quelques rares Togolais, préparés par les cellules de communication des gouvernants pour intervenir et apporter leur soutien aux ministres dans les émissions, il est évident que le putsch constitutionnel est consommé. Pendant ce temps, l’opposition se livre une guerre interne et s’en prend aux journalistes. Les rares qui prennent la parole dans les médias le font pour présenter des excuses au peuple togolais, martyrisé par des brimades et des tortures d’un pouvoir de presque 60 ans. Une mauvaise communication récupérée par le pouvoir pour annoncer la mort de l’opposition.
Les autres, comme le leader de l’UDS-Togo, M. Antoine Foly, appellent malencontreusement leurs collègues de l’opposition à accepter l’effectivité de la 5e République.
On se demande si les leaders sont préparés pour communiquer ou si c’est la communication qui les prépare.
Dans le contexte actuel, faut-il parler de la démission de l’opposition ou d’un manque de stratégie ? Si la première est perceptible, la deuxième est un échec. Tous les acteurs politiques devraient multiplier l’offensive médiatique pour permettre au peuple, seul détenteur du pouvoir, de décider. Laisser l’adversaire manipuler les consciences pour ensuite venir pleurnicher n’est qu’hypocrisie. Pour être efficace, la communication doit être offensive et non défensive.
Les journalistes doivent profiter du contexte actuel pour se repositionner et redorer leur image en évitant la manipulation et les traitements indignes, car, dit-on, “toute situation est une opportunité”. Si la presse a pour rôle d’informer, elle doit aussi vivre pour informer.