Chaque année depuis 1977, les fonctionnaires du Département d’Etat américain dans les missions américaines à l’étranger et à Washington examinent, suivent et documentent scrupuleusement la situation des droits de l’homme dans près de 200 pays et territoires du monde entier. Ces fonctionnaires s’appuient sur diverses sources crédibles et factuelles, notamment des rapports d’agences gouvernementales, d’organisations non gouvernementales et des médias. Et depuis avril 2024, le rapport sur la situation des droits de l’homme dans le monde au cours de l’année 2023 est disponible sur le site du Département d’Etat.
Si sur le plan mondial, le rapport met en lumière une détérioration des droits due aux guerres, conflits armés et au terrorisme, il note qu’« il n’y a pas eu de changement notable dans la situation des droits de l’homme au Togo ». Ce qui contraste avec les déclarations enthousiastes des autorités togolaises.
Respect de l’intégrité de la personne. Selon le rapport, des informations non vérifiées ont fait état d’exécutions arbitraires ou illégales commises par le gouvernement ou ses agents. Par exemple, des organisations de défense des droits humains et des leaders de l’opposition ont affirmé que Kossi Bamoibe était mort à la prison civile de Lomé le 6 juin, des suites de violences physiques et de soins de santé inadéquats. En 2020, les autorités ont arrêté Bamoibe dans le cadre de l’affaire de « Tiger Révolution ».
Bien qu’interdits par la Constitution, la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, et autres sévices connexes sont courants au Togo. Le 7 juin, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a demandé au gouvernement d’enquêter sur les actes de torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants subis par les 10 détenus arrêtés dans l’affaire de « Tiger Révolution » et de poursuivre les auteurs de ces actes. Ce qui n’a jamais été fait, car l’impunité « demeure un problème au sein des forces de sécurité, notamment de la police, de la gendarmerie et des forces armées ».
Les conditions de détention dans les prisons du Togo sont exécrables : surpopulation (elles sont plus de 180% de leur capacité d’accueil), structures sanitaires et médicales, nourriture, ventilation et éclairage inadéquats.
La Constitution et la loi interdisaient les arrestations et détentions arbitraires et garantissaient le droit de toute personne de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention devant un tribunal. Le gouvernement n’a pas toujours respecté ces exigences. Le rapport revient sur le cas de Djagoundi Rekyata, arrêtée en juillet 2022 pour avoir diffusé des messages audio sur les vraies raisons qui justifieraient selon elle les premières attaques terroristes au nord du Togo dans la région des savanes, et qui a été libérée le 7 juin 2023 après une grâce présidentielle.
Un procès public équitable reste un luxe au Togo. « La Constitution et la loi prévoient l’indépendance de la justice, mais le gouvernement ne respecte pas toujours l’indépendance et l’impartialité de la justice. Le pouvoir exécutif exerce un contrôle sur le pouvoir judiciaire et la corruption de la justice constitue un problème. L’opinion publique est largement convaincue que les avocats et les parties à un litige corrompent les juges pour influencer l’issue des affaires. Le système judiciaire reste surchargé et manque de personnel », précise le rapport.
Bien que les autorités togolaises proclament qu’il n’y a pas de détenus politiques dans les prisons, le Département d’Etat en parle et fait remarquer que « ces personnes n’ont pas bénéficié des mêmes protections que les autres prisonniers et détenus ». « Le 26 avril, des organisations de défense des droits humains ont rendu publique la détention arbitraire depuis janvier 2022 de Tchassanti Nouridine Sebabe-Gueffe, Ibrahim Alfa et Abdou-Razakou Boukari. Les organisations considèrent les détenus comme des prisonniers politiques et soulignent que leur détention se poursuit malgré une décision de la Cour d’appel d’août 2022 ordonnant leur libération », poursuit le rapport.
Il est également fait état de l’ingérence arbitraire ou illégale dans la vie privée, la famille, le domicile ou la correspondance des citoyens. En vertu de l’état d’urgence instauré dans la région des Savanes, dans le nord du pays, en juin 2022, les forces de sécurité peuvent procéder à des perquisitions sans mandat et fouiller les maisons à tout moment et pour n’importe quelle raison. Elles peuvent également arrêter toute personne soupçonnée d’appartenance ou de complicité à des groupes extrémistes et la détenir au-delà des délais légaux de garde à vue.
Concernant les abus liés conflits, le rapport a abordé les incursions et les exactions fréquentes d’organisations extrémistes violentes (OEV) externes dans le nord du pays ainsi que les initiatives prises par le gouvernement dans la lutte contre le terrorisme.
Respect des libertés civiles. La liberté d’expression est en péril au Togo avec l’arrestation et l’emprisonnement des journalistes. « Le 15 mars, le tribunal de Lomé a condamné les journalistes Ferdinand Ayité et Isidore Kouwonou à trois ans de prison pour injure et publication de fausses nouvelles. Après leur fuite du pays, les autorités ont émis un mandat d’arrêt international. Ils travaillaient tous deux pour le journal L’Alternative », rappelle le Département d’Etat. La censure et les restrictions liées à la diffusion d’information sur Internet sont également indexées dans le rapport : « Le gouvernement a parfois restreint ou perturbé l’accès à Internet ou censuré des contenus en ligne. Amnesty International Togo et d’autres organisations de défense des droits humains ont signalé que le gouvernement bloquait fréquemment l’accès à leurs plateformes en ligne, qu’il lançait des cyberattaques pour saper leur travail et qu’il recourait à des trolls pour manipuler leur engagement sur les réseaux sociaux en matière de droits humains ».
En outre, le gouvernement a continué d’interdire les réunions et rassemblements des organisations de la société civile ou des partis d’opposition contre la corruption au sein du gouvernement, invoquant des risques pour la sécurité et le non-respect des exigences administratives. La réglementation impose aux organisations de demander l’autorisation des préfets et des maires locaux pour organiser une réunion ou toute activité dans une zone spécifique. Dans certains cas, les autorités locales ont exigé des responsables d’organisations qu’ils fournissent des informations personnelles détaillées, notamment leurs revenus, en plus d’une lettre de demande d’autorisation.
S’agissant de la liberté d’association, on relève l’existence d’une réglementation qui encadrait étroitement la gestion des organisations de la société civile et des ONG, en exigeant notamment qu’elles se réenregistrent avant le milieu de l’année. Un décret exécutif a imposé des restrictions de programmation aux ONG internationales et a mis fin à certains privilèges fiscaux. Des arrêtés ministériels ont accordé de larges pouvoirs aux administrations locales concernant la suspension et l’autorisation des activités des ONG au nord de Lomé, la capitale côtière.
Selon le Département d’Etat, le gouvernement a surveillé les déplacements à l’étranger des leaders de l’opposition, des militants de la société civile et des dirigeants syndicaux. Les autorités leur ont demandé une autorisation pour se déplacer à l’étranger et ont retardé leurs demandes de renouvellement de leur carte nationale d’identité et de leur passeport.
Liberté de participer au processus politique. « Abus ou irrégularités lors des récentes élections : Les délégations d’observation internationales de la CEDEAO et de l’Union africaine ont déclaré que les élections présidentielles de 2020 avaient été globalement libres et équitables, malgré quelques irrégularités. Le gouvernement a exclu certains groupes de l’observation du scrutin, notamment le Conseil épiscopal pour la justice et la paix », poursuit le rapport.
Par ailleurs, il est indiqué que l’Union pour la République (UNIR), parti au pouvoir, dominait la vie politique et exerçait un contrôle ferme à tous les niveaux de gouvernement. L’adhésion à l’UNIR conférait des avantages tels qu’un meilleur accès aux emplois et aux contrats gouvernementaux.
A propos de la participation des femmes et des membres des groupes marginalisés ou vulnérables à la vie politique, le Département d’Etat se base sur l’avis de certains observateurs estimant que « la violence sexiste, la discrimination sociale et les ressources financières limitées empêchent les femmes, les personnes handicapées et les lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTQI+) de voter, de se présenter aux élections, de servir d’observateurs électoraux ou de participer de toute autre manière à la vie politique. Les organisations LGBTQI+ peuvent s’enregistrer en tant qu’associations de santé, mais pas pour défendre les droits humains des personnes LGBTQI+. Les membres des groupes ethniques du Sud restent sous-représentés dans la fonction publique et l’armée ».
Corruption dans le gouvernement. Il y a eu de nombreuses allégations de corruption du gouvernement. Selon le Département d’Etat, « Le 1er février 2023, la Cour des Comptes a publié un rapport faisant état d’irrégularités importantes dans la gestion des fonds de la lutte contre la COVID-19. Le rapport a pointé du doigt la Primature, les ministères de l’Economie numérique, de la Santé, de la Communication, du Développement local, de l’Education et du Commerce, ainsi que le Comité national de coordination pour la gestion de la riposte à la COVID-19, pour la mauvaise gestion de la riposte à la COVID-19. Ce rapport a notamment identifié le ministre de l’Economie numérique comme responsable de la mauvaise gestion de 13 169 951 746 francs CFA (21,8 millions de dollars) et a critiqué le refus du ministre de coopérer avec les auditeurs ».
Le 9 février, le président de la Cour suprême et président du Conseil de la magistrature, le professeur Abdoulaye Yaya, a déclaré que « la corruption est le deuxième sport le plus pratiqué dans le pays après le football ».
Le 18 juillet, la Coalition Lidaw, un groupe d’organisations de la société civile, a publié une analyse du budget du ministère du Développement local de 2009 à 2023. Cette étude a révélé d’importantes irrégularités dans l’allocation des fonds, les dépenses, les procédures, l’attribution des contrats, ainsi qu’un suivi et une évaluation médiocres des programmes.
Le rapport a également traité la position du gouvernement à l’égard de la surveillance et des enquêtes internationales et non gouvernementales sur les violations présumées des droits de l’homme ; la discrimination et les abus sociétaux comme les violences faites aux femmes, les mutilations génitales féminines ; les violence et discrimination raciales ou ethniques systémiques notamment les mariages précoces et/ou forcés, l’exploitation sexuelle des enfants, le trafic de personnes ; les actes de violence, de criminalisation et d’autres abus fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles : et les droits des travailleurs.
Ben Latévi
Source: libertetogo.tg