Dans un rapport publié ce jeudi, Human Rights Watch (HRW) a une nouvelle fois dénoncé des “abus graves” commis par “les forces armées maliennes et le groupe Wagner”, depuis le retrait de la mission de maintien de la paix de l’ONU (MINUSMA) à la fin de l’année dernière. Selon l’ONG, ces forces auraient délibérément tué au moins 32 civils, dont sept lors d’une attaque de drone, kidnappé quatre autres, et incendié plus de 100 maisons dans plusieurs localités du centre et du nord du Mali, depuis le mois de mai 2024.
HRW a également attribué des exactions aux groupes djihadistes opérant dans la région, qui auraient exécuté sommairement au moins 47 civils et contraint des milliers de personnes à fuir. Ces groupes ont aussi détruit des milliers de maisons et pillé du bétail, essentiel à la survie des communautés nomades locales.
Ilaria Allegrozzi, chercheuse principale sur le Sahel à Human Rights Watch, a affirmé que ces actes, perpétrés par les forces maliennes, Wagner et les groupes djihadistes, constituaient des violations flagrantes des lois de la guerre. “L’armée malienne, le groupe Wagner et les groupes armés islamistes ont pris pour cible les civils et leurs biens, en violation des lois de la guerre”, a-t-elle déclaré.
Elle a par ailleurs souligné les difficultés d’obtenir des informations complètes sur la situation depuis le retrait de la MINUSMA, exprimant des inquiétudes sur la possibilité que la réalité des abus soit encore plus grave que ce qui a été rapporté. “Depuis que la MINUSMA a quitté le Mali il y a un an, il a été extrêmement difficile d’obtenir des informations complètes sur les abus, et nous sommes profondément préoccupés par le fait que la situation soit encore pire que ce qui a été rapporté”, a-t-elle ajouté.
Une situation complexe et des accusations sur fond de rivalités géopolitiques
Le Mali, tout comme ses voisins le Burkina Faso et le Niger, lutte depuis plus d’une décennie contre une insurrection djihadiste, alimentée par des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique. Ces dernières années, des coups d’État militaires ont conduit à l’expulsion des forces françaises et à un rapprochement avec la Russie pour renforcer la sécurité.
Depuis cette rupture avec la France, accusée de ne pas avoir réussi à endiguer la crise, les autorités maliennes ont fait appel à des “instructeurs” russes pour lutter contre les groupes armés. Si la présence active sur le terrain, de “mercenaires russes” est toujours niée par les autorités maliennes, le groupe Wagner a été accusé de mener des raids aériens et des frappes de drones, causant de nombreuses victimes civiles.
Les autorités du Mali face à des critiques paradoxales
La question qui se pose est celle de la légitimité des autorités maliennes, qui ont pris le pouvoir après avoir dénoncé l’incapacité des gouvernements précédents à contenir la crise sécuritaire. Est-il plausible que les militaires au pouvoir aujourd’hui commettent des abus aussi graves, voire pires, que ceux qu’ils reprochaient à leurs prédécesseurs ? Les rapports d’HRW soulèvent des doutes sur les motivations derrière ces violences, notamment après le départ des troupes françaises et des forces internationales.
Certains se demandent si les critiques émises par Human Rights Watch, en particulier après le retrait des forces françaises et onusiennes, ne visent pas à réhabiliter l’image de la France dans la région. Faut-il sous-entendre que les forces armées étrangères auraient “plus d’affection” pour les Maliens que les autorités de Transition actuelles ? Cette question reste ouverte, d’autant plus que la présence militaire française au Mali n’a pas permis de résoudre la crise sécuritaire, qui semble même se propager à d’autres pays voisins.
Ainsi, au-delà des accusations contre les autorités maliennes et les groupes armés, la situation en Afrique de l’Ouest soulève un véritable dilemme géopolitique. Comment concilier les impératifs sécuritaires avec les droits humains et les aspirations politiques des peuples concernés ? La question des responsabilités, des motivations et des solutions à apporter à cette crise complexe reste plus que jamais d’actualité, alors que les acteurs internationaux, à commencer par la France et la Russie, continuent de peser sur l’avenir de la région.