Gabon- Nouveau code électoral : Vers une légitimation des militaires en politique ?

L’Afrique traverse une période de bouleversements politiques marquée par une recrudescence des coups d’État militaires et une remise en question des normes démocratiques traditionnelles. Dans ce contexte, le Gabon, sous un régime de transition depuis le renversement d’Ali Bongo en août 2023, se prépare à des élections prévues pour avril 2025. Cependant, un sujet controversé monopolise les débats; le nouveau code électoral, adopté en janvier 2024, qui autorise désormais les militaires à briguer des mandats politiques. Cette réforme soulève des interrogations quant à son impact sur l’évolution démocratique du pays et, plus largement, sur le continent.

 Panafricanisme ou militarisme ?

Depuis les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, une tendance semble se dessiner. Celle d’un panafricanisme actif prôné par des régimes militaires. Ces derniers, portés par un discours souverainiste et anti-impérialiste, bénéficient d’un large soutien populaire, notamment auprès des jeunes. Des réformes prometteuses, comme la lutte contre la corruption, l’investissement dans les projets sociaux et l’engagement pour la sécurité nationale, renforcent leur légitimité.

Cependant, derrière cette popularité se cache une inquiétude persistante: La  pérennisation des militaires au sommet de l’État. Des exemples comme l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi, le Togo sous Gnassingbé Eyadéma, le Tchad avec Mahamat Idriss Déby ou encore la Guinée de Mamadi Doumbouya montrent que les régimes militaires, une fois installés, tendent souvent à prolonger leur mandat, au mépris des engagements initiaux de transition rapide.

Le Gabon, dirigé par le général Brice Oligui Nguema, semble suivre cette tendance. Le nouveau code électoral autorise désormais les militaires à se présenter aux élections, une mesure inédite dans l’histoire du pays. Cette disposition  combinée à des critères restrictifs pour les autres candidats inscrits dans  l’article 11 du code électoral révisé (la résidence obligatoire de dix ans sur le territoire, l’exigence d’un casier judiciaire vierge et un niveau de revenus minimum etc.,) est perçue par les opposants comme une tentative de verrouillage du jeu politique. Des figures de l’opposition gabonaise, telles que Jean Ping et Paulette Missambo, ont dénoncé ces réformes. Pour Jean Ping, “le nouveau code est un outil pour pérenniser le pouvoir militaire”. Paulette Missambo a ajouté que “ces mesures écartent sciemment les opposants en exil et limitent l’accès des citoyens ordinaires aux fonctions électives”.

 Panafricanisme ou militarisme ?

Ce virage institutionnel pose une question fondamentale. l’Afrique avance-t-elle réellement vers une souveraineté accrue ou replonge-t-elle dans un cycle où les militaires détiennent un pouvoir disproportionné ? Historiquement, les constitutions africaines ont maintenu une stricte séparation entre les forces armées et le pouvoir civil, justement pour prévenir tout abus.

Dans ce contexte, l’exemple du Mali est édifiant. Le limogeage récent de Choguel Maïga, perçu comme un potentiel concurrent du régime de transition, a exacerbé les tensions politiques. Des partis maliens, dénonçant un calendrier électoral flou, menacent de mobiliser pour exiger un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Cette situation illustre le dilemme de nombreuses transitions dirigées par des militaires, répondre aux attentes populaires tout en évitant de s’accrocher au pouvoir.

Les inquiétudes ne se limitent pas à la question électorale. Dans les pays sous régimes militaires, les restrictions sur les libertés fondamentales se multiplient. Les journalistes et organisations de la société civile, déjà sous pression, redoutent une régression des droits humains et des libertés publiques. Au Gabon, certains médias locaux signalent une surveillance accrue des critiques du régime, alimentant les craintes d’un recul démocratique.

Si le Gabon institutionnalise la participation des militaires aux élections, il pourrait ouvrir une jurisprudence dangereuse. Cette décision pourrait inspirer d’autres régimes militaires à travers le continent, légitimant les prises de pouvoir par la force et affaiblissant les transitions démocratiques dans les pays où les militaires peinent déjà à céder le pouvoir.

Le débat autour du nouveau code électoral dépasse largement les frontières du Gabon. Il interroge l’avenir des démocraties africaines et la place des militaires dans les processus politiques. Faut-il applaudir les discours panafricanistes, même au risque d’un retour à une ère de gouvernements autoritaires ? Ou faut-il réaffirmer la primauté des principes démocratiques, quitte à critiquer les excès de ce nouvel ordre souverainiste ?

Pour l’Afrique, l’enjeu est clair, trouver un équilibre entre souveraineté nationale et respect des institutions démocratiques. Le Gabon, en avril prochain, pourrait bien offrir une réponse ou ouvrir une nouvelle boîte de Pandore.

Ricardo A.

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