« Eriger Gnassingbé Eyadéma en héros togolais s’apparente fort à ériger Hitler en héros allemand » Godwin Tété, juillet 2016. Éyadéma Gnassingbé mérite-t-il le titre de père de la nation togolaise ? Une telle question, normalement, ne devrait plus se poser au Togo; car l’état actuel de notre pays, sur tous les plans, est à lui seul une réponse négative à une telle interrogation.
Dans un pays comme le Togo où le népotisme et le tribalisme semblent être devenus des lois non écrites dans l´administration, dans un pays où le repli tribal, régional ou ethnique reste encore la norme, dans un pays, comme le nôtre, où l´unité nationale est encore loin d´être une réalité, et ce, 65 ans après l´indépendance, dont 58 ans d´exercice du pouvoir politique par la famille Gnassingbé de père en fils, c´est que quelque chose semble n´avoir pas marché. Et qu´est-ce qui n´a pas fonctionné? Posons la question autrement: qui avait la responsabilité du pays pendant tout ce temps? La réponse va de soi: Gnassingbé Éyadéma pendant 38 ans et son fils Faure Gnassingbé prit la relève, il y a aujourd´hui 20 ans. Et une telle gouvernance familiale, autoritaire et dictatoriale ne pouvait que susciter des abus et violations des droits humains. Voici alors quelques-uns des différents crimes qui disqualifient Gnassingbé Éyadéma pour prétendre à un quelconque titre honorifique, malgré les vaines gesticulations de Faure Gnassingbé pour tenter d´imposer aux Togolais une impossible réhabilitation de la mémoire de son père.
Du 24 avril 1967 jusqu´en 1970 l´affaire Norbert Bokobosso de Kouméa va servir d´un des premiers crimes inauguraux de Gnassingbé Éyadéma. Celui que le dictateur de Pya a surnommé «le mauvais tireur» décède en catimini en 1970; et dieu seul sait de quoi et comment. Vraisemblablement de « collapsus circulatoire » éyadémaien. / Éyadéma prend lentement mais sûrement goût au crime et entre août 1970 et février 1971 il y eut l´affaire Marc Atidépé, Laurent Djagba, Chef Odanou Dobli, Jean Osséyi, Christophe Lanzo, Clément Kolor, Tchankoum etc. etc. Kolor, Osséyi, Lanzo, Tchakoum seront fusillés, Djagba fut torturé jusqu´à ce que mort s´ensuivit. Atidépé échappa de justesse au trépas. / Dans une supposée affaire de détournement de fonds, Boukari Kérim est emprisonné le 11 mars 1971 et libéré en avril 1978. Il décède en novembre de la même année d´ « une maladie de la colonne vertébrale ». / En août 1975 le commandant Paul Comlan se montre un peu trop proche de l´ambassade des USA. Mis aux arrêts de rigueur, il est assassiné le 31 août 1975, après qu´il ait été sauvagement torturé. / Encore une victime originaire de Kouméa. Accusé de « propos injurieux » à l’endroit de Gnassingbé Eyadéma, Georges Bayessem Pana, officier de gendarmerie de son état est arrêté le 23 janvier1974 et exécuté le lendemain. / Dans sa folie meurtrière Éyadéma n´épargne pas amis ou membres de la famille. C´est ainsi qu´une brouille entre lui et son beau-frère Gaston Gnéhou ne laissa aucune chance à ce dernier. C´était en juillet 1977; d’abord mitraillé à bout portant avec sa femme dans une voiture, Rue de l’OCAM à Lomé, Gaston Gnéhou sera achevé sur son lit d’hôpital par des individus déguisés en médecins. / Accusé de «saboter» le projet TOGO-GRAIN, Antoine Idrissou Méatchi est incarcéré en 1982 à Kara. Il décède le 25 mars 1984 de « diète noire ». (Laissé pendant longtemps sans nourriture jusqu´à ce que mort s’ensuive).
Encore une affaire de «sabotage» fait une victime, pas des moindres. Il s´agit de l´affaire Colonel Koffi Kongo. Mis aux arrêts de rigueur en février 1985, Koffi Kongo fut trouvé mort dans sa prison, un mois plus tard en mars, de « crise cardiaque » a-t-on annoncé aux Togolais. / De septembre à décembre 1985 l´affaire dite des bombes et tracts défraya la chronique et Aka Omer Adoté est torturé à l´électricité jusqu´à ce qu´il rende l´âme. / De 1985 à 1991, sous prétexte de «réinsertion sociale», des camps de concentration sont érigés à Agombio (Kazaboua), à Témédja et à Lamdja. Plus de 109 Togolais y périront. Des rescapés avaient fait des témoignages poignants à la conférence nationale en juillet-août 1991. / Le 10 avril 1991: un couvre-feu est décrété in extremis, à l’insu des Loméens… Le soir, sur le pont de la Lagune de Bè, des passants sont tués et jetés dans cette lagune. Le lendemain 11 avril, une trentaine de cadavres est retirée de ladite lagune, dont celui d’une femme avec un bébé au dos…/ Du 27 novembre au 3 décembre 1991, mise en œuvre systématique de la stratégie de la terreur: Gnassingbé Eyadéma donne l´ordre aux FAT (forces Armées Togolaises) d´attaquer, avec des armes lourdes de guerre, la primature basée dans les locaux du palais des gouverneurs allemands qui abritait le premier premier ministre de la transition après la conférence nationale, Joseph Koffi Kofigoh. C´était le 3 décembre 1991. Une véritable tragédie qui, de sources officieuses, fit 80 morts au bas mot, sans parler des blessés. / En tournée de sensibilisation à l´intérieur du pays, le leader de l´UFC (Union des Forces du Changement) Gilchrist Olympio et son équipe furent victimes d´un guet-apens. En effet, le 05 mai 1992 à Soudou, le cortège est attaqué à coups d’armes de guerre. On déplore des morts dont le Dr. Messan Marc Atidépé et des blessés graves dont Gilchrist Olympio, sauvé de justesse. On apprendra plus tard que le fils, aujourd´hui disparu, de Gnassingbé Éyadéma, Ernest Gnassingbé, un officier de l´armée togolaise, qui était la terreur elle-même surtout dans le nord, était le cerveau de l´attaque de Soudou. / Le 23 juillet 1992, Tavio Yao Amorin (33 ans) est mitraillé en pleine rue à Tokoin-Gbonvié. Il succombera à ses blessures le 29 juillet. Il venait d´être élu secrétaire général du CODII (un regroupement de l´opposition). Son tueur, un policier originaire de Pya répondant au nom de KAREWE Kossi, dont la carte professionnelle fut retrouvée sur les lieux de l´attentat, ne sera jamais inquiété. C´est aussi ça l´un des nombreux travers du drame togolais qui s’appelle impunité.
Les 22-23 octobre1992: Séquestration, tortures morales et physiques des membres du HCR (Haut Conseil de la République), pour récupération de 300 millions de FCFA du RPT, gelés par la CNS (Conférence Nationale Souveraine). En effet, le jeudi 22 octobre, dès l’ouverture des travaux de l’institution, un détachement des FAT débarque, encercle le Palais des Congrès et assiège le HCR. Le Président et les principaux ténors sont copieusement molestés par des militaires à cœur joie. Hormis les quelques dames qui sont relâchées à 16h30, le gros du corps législatif, une quarantaine de personnes, ne sera libéré que le lendemain 23 octobre, à midi, soit après 26h30 de séquestration, de tortures morales et physiques. À partir de cet instant, le HCR est, de facto, définitivement enterré. Cet épisode débouche sur la mémorable grève générale illimitée de huit mois et demi (16/11/1992 – 01/08/1993).
Il y eut également le 25 janvier 1993 le massacre de plus de 100 Togolais et Togolaises, dénommé les massacres de Fréau-jardin. En effet, à l´occasion de la visite au Togo du ministre français de la coopération, Marcel DEBARGE et du Secrétaire d´État allemand aux Affaires Étrangères, Helmut SCHAEFFER pour aider à la résolution de la crise togolaise, le CODII (regroupement de l´opposition) appelle à manifester pacifiquement pour soutenir la démarche des deux personnalités européennes. L´esplanade du Palais des Congrès où devait se terminer cette marche ayant été bouclée par les forces de l´ordre, celle-ci fut réorientée sur le Jardin Fréau. Là, ce fut un génocide parfaitement planifié qui fut conjointement perpétré par les forces de l´ordre, des militaires en civil et des miliciens du HACAME qui avaient quadrillé toute la ville. Le bilan des tués fut d´autant plus lourd qu´à ceux qui sont tombés sous les balles, il faut ajouter les assassinés par flèches, piqûres empoisonnées et gourdins cloutés. Rappelons pour l´histoire que le HACAME (Haut Conseil de coordination des associations et mouvements estudiantins), qui se disait au départ un regroupement de mouvements estudiantins, finit par faire découvrir son vrai visage qui n´était autre qu´un véritable nid tribal truffé de miliciens très dangereux qui se battaient pour le maintien de Gnassingbé Éyadéma au pouvoir, et dont un certain Pascal Bodjona fut l´un des responsables.
La nuit du 24 au 25 mars 1993 fut la nuit des longs couteaux au camp RIT de Tokoin. En effet, une petite poignée d´assaillants réussit à pénétrer ce camp… Les sbires de Gnassingbé Eyadéma exécutent, à coups de gourdin, le général Eugène Koffi Tépé, deux de ses fils et un neveu. Avant que le Colonel Tépé ne fût tué dans des circonstances, dont nous épargnons au lecteur les détails insoutenables et révoltants, le Général Mawulikplimi Améyi fut le premier à être victime de la folie meurtrière des militaires kabyè sûrement décidée depuis l´entourage immédiat du dictateur Gnassingbé Éyadéma. Une rafale d´arme automatique qui l´atteignit en plein ventre, ne lui laissa aucune chance. / Le 26 août 1993: Nous sommes au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle; Vingt-et-un jeunes gens contestataires d’Agbandi et de Diguina sont enfermés ensemble dans un même cachot et y meurent d’asphyxie à Blitta…/ Les 5, 6 et 7 janvier 1994 : un petit groupe de jeunes Togolais venus du Ghana font une démonstration de force à Lomé. Selon Amnesty International, près de 48 soldats des FAT auraient été, à cette occasion, passés par les armes. / Le premier tour des élections législatives vient d’avoir lieu le 06/02/1994. Le candidat du CAR Gaston Edeh Aziandouvor, et ses amis Martin Agbénou et Prosper Hillah sont retrouvés tués et brûlés dans une voiture le 13/02/1994. Le peuple togolais ignore toujours ce que l’on reprochait au juste à David Ahlonko Bruce. Ce cadre togolais, agent du Ministère des Affaires Étrangères, secrétaire administratif du HCR, est kidnappé aux premières heures du 06 septembre 1994 par des élémens des FAT. On ne l’a plus jamais revu à ce jour.
Le 15 novembre 1997 Boukari Abu DJOBO est assassiné par empoisonnement à Sokodé. Personnalité politique ayant servi comme ministre sous les régimes du feu Sylvanius Olympio et de Gnassingbé Éyadéma, Monsieur Djobo se brouille ave ce dernier. Sentant sa vie menacée, il quitte le pays en 1974 et occupa différentes fonctions dans les organisations du système des Nations-Unies et ne revint au Togo qu´en 1991, à l´occasion de la conférence nationale. Pour avoir pris différentes initiatives visant à surmonter les divisions de l’opposition démocratique togolaise cette année 1997, il fut mis à l´index par le régime RPT qui chercha à l´éliminer physiquement. Ce fut à travers un de ses proches parents qu´on réussit à empoisonner sa nourriture, le faisant mourir subitement. Des informations révéleront plus tard qu´Ernest Gnassingbé, encore lui, était régulièrement aperçu quelques jours avant le drame, en compagnie d´un des proches parents accusés d´avoir empoisonné Djobo Boukari.
Et comme pour rester fidèle à la saga criminelle de son père, Faure Gnassingbé inaugura son illégale prise de pouvoir dans le sang. Plus de 500 Togolais sont massacrés. Et depuis, la litanie des assassinats politiques ne fait que continuer, comme malheureusemnt c´est le cas des régimes autoritaires, donc impopulaires, qui n´ont que la violence et la terreur pour s´imposer à leurs peuples. Et sans négliger les autres victimes de la dictature de l´ère Faure, nous mentionnons le révoltant assassinat de l´historien Kokouvi Joachim Atsutsè. Enlevé d´une clinique de la place à Lomé où il suivait des soins, son cadavre, qui portait des traces d´atroces séances de torture, fut retrouvé à la plage le 15 août 2008.
Cette liste de crimes, oh combien macabre et révoltante, ne peut naturellement pas être exhaustive dans le cadre d´un article de presse. Gnassingbé Éyadéma et son régime en portent l´entière responsabilité. Ce triste rappel n´est-il pas assez éloquent pour que Faure Gnassingbé et son entourage reviennent à la raison, en cessant de continuer à falsifier l´histoire de notre pays, à insulter et à humilier les Togolais et les Togolaises, surtout que depuis la sanglante prise de pouvoir par le fils à papa en 2005, la liste des crimes humains, économiques et autres ne fait que s´allonger? Élever aujourd´hui Éyadéma Gnassingbé à un rang qu´il ne mérite aucunement, décorer sa belle-mère Madame Badagnaki Éyadéma est un abus de pouvoir, une escroquerie politique, comme le souligne à juste titre notre compatriote François Xavier Assogbavi: «…Faure Gnassingbé a décoré des grands insignes de la République sa belle mère Mme Badagnaki. Cela pose un problème de principe et de ce que représente ces symboles de l’Etat… Les décorations sont en principe réservées à ceux qui ont fait une action héroïque ou ceux qui ont apporté quelque chose d’unique ou de spécial pour le rayonnement du Togo… Mme Badagnaki a apporté quoi de particulier au Togo, en dehors d’avoir supporté pendant des années, les humiliations, la violence, les tromperies d’un dictateur qui n’a cessé de la tromper publiquement avec tout ce qu’il trouvait comme femme? Après tout ce qui précède, nous sommes en droit de nous poser la question suivante: où s´arrêtera, ou, qui arrêtera Faure Gnassingbé dans sa course folle en insultant et en humiliant ses compatriotes, et surtout en persistant dans le rabaissement des valeurs sacrées de la république?
Samari Tchadjobo
Allemagne
Bibliographie: Godwin Tété, dans «Le Togolais.com», 17 juillet 2016. / «Livre noir contre l´impunité au Togo» du Parti des Travailleurs du Togo.
Ces crimes qui disqualifient Gnassingbé Éyadéma pour être le père de la nation togolaise
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