Pour commémorer le 20e anniversaire du décès du général Eyadéma Gnassingbé (1935-2005) qui a dirigé le pays pendant 38 ans, le gouvernement togolais a demandé la célébration d’offices religieux à sa mémoire. Demande légitime ou instrumentalisation de la religion ? La question fait débat au Togo.
Un colloque international en « Hommages au général Eyadéma Gnassingbé, père de la Nation togolaise » le 3 février à Lomé et de nombreux offices religieux : les manifestations publiques marquant la commémoration du 20e anniversaire du décès de celui qui a dirigé le Togo pendant près de quatre décennies ont été particulièrement grandioses.
Ainsi, si chaque année depuis son décès en 2005 son fils Faure – désormais à la tête de l’Etat togolais – et sa famille marquent cet anniversaire, cette année le ministre togolais de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la chefferie coutumière, le colonel Awaté Hodabalo, a « invité » les responsables religieux « à organiser dans tous les temples, paroisses, couvents traditionnels et mosquées, des séances de prières pour le repos de l’âme » du « père de la Nation ».
La demande formulée par lettre du 28 janvier, fait mention des dates des offices pour chacune de ces trois confessions religieuses majeures du pays, le 31 janvier, 2 et 4 février. Ainsi, les religions chrétienne et musulmane, de même que les religions traditionnelles, ont formulé des prières pour le repos éternel du disparu. De plus, une prière œcuménique a été dite au Palais des congrès de Kara, à environ 414 km de la capitale Lomé, en présence de son fils, l’actuel chef de l’Etat, au pouvoir depuis la mort de son père.
Injonction
Mais dans le pays, la demande formulée par les autorités a suscité des commentaires mitigés et de vives critiques. « La demande du gouvernement à dire des offices religieux ressemble à une injonction plutôt qu’à une exhortation », confie Théodore, un fidèle chrétien à Lomé. En effet, dans l’esprit de nombreux Togolais qui s’en offusquent, cette demande ressemble davantage à « un décret » ou une « instruction » comme l’ont exprimé des médias en ligne, ce qui ne laisserait aucune possibilité de refus pour les guides religieux sollicités.
D’autres y voient une forme d’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, alors que le président, Faure Gnassingbé est critiqué pour les récentes réformes constitutionnelles, considérées comme visant à s’assurer une longévité au pouvoir similaire à celle de son défunt père.
Une demande de messe en bonne et due forme
Face à ces critiques, les responsables des cultes n’ont pas officiellement réagi. « Parfois, il y a des heurts entre le pouvoir politique et les religieux, mais l’autorité publique est consciente du principe de la liberté religieuse au Togo et y fait attention dans son approche », assure, sous anonymat, un prêtre. Il assure en outre qu’une demande de messe en bonne et due forme a été faite dans les paroisses de sa localité par le préfet.
Pour marquer cette liberté de l’Église catholique face aux demandes du pouvoir, un autre prêtre, liturgiste, rappelle que sous le régime président Eyadéma, l’Église catholique avait exprimé l’impossibilité d’aller célébrer les messes demandées au Palais des congrès.
Dans les années 1970 et 1990, en effet, des tensions avaient marqué les relations entre le christianisme et le pouvoir politique. Mgr André Dupuy, alors nonce apostolique au Togo, avait déclaré en 1996 lors des obsèques l’évêque de Kara Mgr Ernest Assih : « Laissons l’Église écrire sa propre histoire. Je le demande à tous ceux qui, à quelque niveau que ce soit, exercent une responsabilité civile dans ce pays ».
Source: La Croix Internationale/ Charles Ayetan