Togo- Serge Akakpo: « J’ai pris deux balles dans le dos, j’ai encore des marques. Quand mon fils sera grand, je lui dirai la vérité »

Janvier 2010 – Janvier 2025. Cela fait déjà 15 ans que le bus des Éperviers, l’équipe nationale de football du Togo, a été victime d’une attaque terroriste. Alors qu’il se rendait à Cabinda, une enclave angolaise située entre le Congo-Brazzaville et la République démocratique du Congo (RDC), pour participer à la Coupe d’Afrique des Nations, le véhicule a été pris pour cible et mitraillé. Pendant une demi-heure, il a essuyé les tirs du FLEC, le Front de libération de l’enclave de Cabinda, un mouvement séparatiste armé. Le bilan fut tragique. 15 ans après, Serge Akakpo, ancien international togolais et ex-défenseur des Éperviers, qui se trouvait à bord du bus ce jour-là, raconte l’histoire de cet événement marquant.

C’était le 8 janvier 2010. Le matin même, l’entraîneur du FC Vaslui, le club où je jouais en Roumanie, m’avait appelé pour me souhaiter bonne chance, en me demandant de faire attention à ne pas me blesser. Si j’avais su ce qui allait se passer quelques heures plus tard…

Nous étions au Congo pour y disputer des matches amicaux et devions rejoindre la ville de Cabinda, distante d’une soixantaine de kilomètres, pour les rencontres du premier tour de la CAN 2010 contre le Ghana, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. C’est ainsi que nous avons passé la frontière angolaise, impressionnés par la taille de l’escorte – plusieurs 4×4, des soldats armés jusqu’aux dents – qui nous accompagnait. On a pensé que c’était normal pour ce type de compétition. Ce n’est qu’après que j’ai compris que les Angolais savaient que le risque était réel.

« Ça a été long, très long »

Nous avons roulé quelques minutes, au milieu de la forêt. Moi-même, j’écoutais de la musique dans mon casque. Et puis j’ai entendu des sifflements, sans parvenir à les identifier immédiatement. C’était des tirs de roquette. Il y a eu des bruits de vitre aussi et, pendant quelques instants, j’ai pensé que des supporters étaient venus pour caillasser notre bus. Et puis tout est allé très vite. Une première personne a été touchée, il y a eu des cris, notre escorte a riposté… Notre bus a d’abord continué à avancer en zigzaguant, avant de s’arrêter quand le chauffeur a été mortellement touché. On a tenté de se coucher au sol, mais il n’y avait pas assez de place. C’est à ce moment-là que j’ai pris deux balles dans le dos.

Je ne suis pas le seul à avoir été touché. Kodjovi Obilalé, l’un de nos gardiens de but, a été atteint. Le docteur aussi, ainsi qu’un membre du staff et que notre attaché de presse. Les tirs étaient nourris, ils voulaient en finir avec nous. Ça a été long, très long. Effrayant aussi.

À quoi pense-t-on dans ces cas-là ? On prie, on se demande si on va s’en sortir vivants. Un de mes coéquipiers, Alaixys Romao, me donnait des claques pour me maintenir éveillé. Je me souviens qu’un homme est monté dans le bus, sans que l’on sache tout de suite s’il faisait partie de l’escorte ou des assaillants. Je me rappelle ses rangers. Il nous a fait signe de ne pas bouger, a brisé une vitre et a commencé à tirer sur les terroristes.

« Le foot m’a empêché de sombrer »

Quand tout s’est arrêté, nous avons été pris en charge. J’ai été conduit dans un dispensaire, puis dans un hôpital angolais. J’y suis resté plusieurs jours. C’est là que j’ai appris que plusieurs membres de notre délégation étaient décédés, dont notre sélectionneur adjoint, Abalo Amélété, et Stanislas Ocloo, l’attaché de presse. Là aussi que j’ai su qu’Obilalé ne pourrait plus jamais rejouer au football. Plus tard, j’ai été transféré à Lomé puis en France, où j’ai fini ma rééducation. J’ai pu rejouer dès le mois d’avril suivant.

Je n’ai jamais suivi de thérapie. Je parle assez facilement de ce qui nous est arrivé, mais on ne me pose jamais de questions. C’est comme si les gens avaient peur de me déranger. Parfois, je me demande comment j’ai fait pour tenir. La vérité, c’est que le foot m’a empêché de sombrer. Je m’y suis accroché. Quinze ans plus tard, je n’ai rien oublié. J’ai du mal à assister à un feu d’artifice, j’évite de trop me mêler à la foule, d’aller à un concert… Et quand mon fils aîné me demande pourquoi j’ai des marques dans le dos, je lui réponds que ce sont des blessures dues au foot. Quand il sera plus grand, je lui dirai la vérité.

Source : Jeune Afrique

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *