Arrêté à Sokodé pour s’être exprimé sur l’affaire de chefferie entre Tem et Kabyè à Kpario, le conseiller municipal est libéré

Doit-on pour autant baisser la garde?
«Je suis Ayéva Aboudou Hihione, conseiller municipal de Tchaoudjo 3, et c’est avec une profonde conviction et un grand respect que je m’adresse à vous aujourd’hui. Je viens devant vous non seulement en tant que représentant des citoyens de Tchaoudjo 3, mais aussi en tant que défenseur de la justice et de la préservation de nos traditions. Nous vivons une situation d’injustice grave dans la préfecture de Tchaoudjo, précisément à Kpario, où le titre de chef canton a été usurpé par nos frères Kabyès, alors que ce titre revient légitimement aux Tems. Cette situation ne relève pas simplement d’un conflit local, mais touche le cœur même de notre identité, de nos coutumes et de notre droit historique…»

Voilà un extrait de la lettre ouverte du conseiller municipal de Tchaoudjo 3 envoyée au chef de l´état Faure Gnassingbé en décembre 2024; lettre ouverte qui conduisit à son arrestation, trois mois plus tard, à sa brève détention et à sa libération samedi dans l´après-midi.

Monsieur Ayéva Aboudou Hihione revenait dans son adresse au président de la république sur les problèmes fonciers et de chefferie à Kpario, dans la préfecture de Tchaoudjo, opposant les populations immigrées, dites allogènes, Kabyé, aux populations autochtones Tem. Une histoire qui ressemble à cette anecdote, où un homme charitable ayant le sens de l´hospitalité offre logis et lopin de terre à un étranger en détresse, pour dormir, cultiver et se nourrir. L´étranger, après quelques années de séjour et bien installé, oublie tout à coup qu´il était venu d´ ailleurs à la recherche de terres cultivables. Il se met à réclamer des droits sur des terres qui ne sont pas les siennes. C´est l´affaire qui fait des vagues depuis plusieurs années, à plusieurs reprises thématisée par la presse togolaise écrite et en ligne, depuis au moins 2017.


Les chefs traditionnels Tem entrèrent dans la danse pour faire entendre leur voix. La diaspora Tem en Europe, surtout celle d´Allemagne, exprima, par des déclarations et des articles de presse sa déception face à l´injustice et demanda que justice soit rendue et interpella même la sagesse du chef de l´état à cet effet. Mais rien n´y fit. Au lieu de prendre le problème au sérieux et d´essayer de le résoudre pour que le calme revienne dans la région afin que toutes les communautés puissent continuer à vivre en symbiose, la revendication des populations spoliées sur leurs propres terres tombe la plupart du temps dans les oreilles de sourds ou se heurte à beaucoup de résistance. Et comme si toutes ces injustices ne suffisaient pas, le Président de fait du Togo, Faure Gnassingbé se rend samedi, 18 Novembre 2017 dans la localité d´Abatcham sur les terres du Canton de Kadambara, où il pose la première pierre d´une ferme agricole qui sera exploitée par des Égyptiens. Des terres cédées par les autorités togolaises à des étrangers pour exploitation, sans que les populations ayant-droit n´aient leur mot à dire.

En écrivant sa lettre ouverte au chef de l´état en décembre 2024, le jeune conseiller municipal cherchait à attirer l´attention des uns et des autres, et surtout du président togolais auquel sa missive était adressée, sur cette affaire, entre deux communautés ethniques soeurs, qui n´a toujours pas trouvé de solutions satisfaisantes et qui peut à tout moment mener à une explosion aux conséquences incalculables.
Invité poliment par le préfet de Tchaoudjo à venir le voir vendredi 14 mars 2025, ce dernier le remet à la gendarmerie où il passera une nuit; puisqu´il est libéré samedi dans l´après-midi. Entre-temps, selon les dires du Commandant de Brigade (CB) de Sokodé, l´état togolais reprocherait au Conseiller municipal trois choses: 1-Troubles à l´ordre public. 2-Incitation à la haine tribale. 3-Incitation à la violence. «Tout est bien qui finit bien», dit-on. Monsieur Ayéva Aboudou Hihione est désormais libre de ses mouvements et a retrouvé sa famille, certes. Mais l´affaire pour laquelle il a écrit sa lettre ouverte au président Faure Gnassingbé demeure et reste plus que d´actualité. Même si ça ne se voit pas, le torchon brûle toujours entre communautés autochtones Tem et allogènes Kabyè dans la préfecture de Tchaoudjo à Kpario, pour les raisons que tout le monde connait et que nous avons largement évoquées plus haut.
Depuis décembre 2024, mois dans lequel Monsieur Ayéva a écrit la lettre ouverte au chef de l´état pour remuer le baobab et réveiller tous ceux qui dorment, nous remarquons malheureusement qu´il fut laissé seul et abandonné. Si la communauté concernée par cette affaire de terres et de chefferie à Kpario, dont font partie les chefs de canton, les notables, les populations de Tchaoudjo, voire la diaspora Tem à travers le monde, avait réagi après la publication de la lettre ouverte, en organisant, par exemple, des actions pour soutenir leur fils et frère, son sort n´aurait peut-être pas été celui qu´il vient de subir il y a quelques jours; et cette affaire de Kpario aurait sûrement commencé à intéresser de nouveau les autorités togolaises de premier plan pour sa résolution définitive. C´est pourquoi la libération du Conseiller municipal Ayéva Aboudou Hihione ne doit, en aucun cas, signifier baisser la garde dans ce casse-tête chinois qu´est l´affaire des terres et de chefferie, opposant autochtones Tem et leurs frères immigrés Kabyè, bien au contraire!
Et même si avant sa libération, les autorités lui ont extorqué un engagement de ne plus jamais évoquer le sujet, le problème, bien réel, reste entier et revient forcément, de temps en temps, à la “Une” de l’actualité en pays Tem. La balle est maintenant dans le camp des Chefs traditionnels, des cadres et des populations de la localité.

Samari Tchadjobo
Allemagne

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *