Le Togo, petit pays côtier d’Afrique de l’Ouest, ne cache plus sa volonté de rejoindre l’Alliance des États du Sahel (AES), une confédération regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, gouvernés par des juntes militaires qui assument une politique souverainiste.
C’est par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, que le Togo multiplie les appels du pied en direction de l’AES.
Après avoir dit en janvier qu’une telle adhésion n’était “pas impossible”, il est allé plus loin la semaine dernière en déclarant sur les réseaux sociaux que “le Togo envisage de rejoindre l’AES, une décision stratégique qui pourrait renforcer la coopération régionale et offrir un accès à la mer aux pays membres”.
Cette dernière question est cruciale pour l’approvisionnement des trois pays sahéliens enclavés.
Leurs relations tendues avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, accusés d’être trop pro-Occidentaux, ont déjà poussé l’AES à se tourner davantage vers les ports de Lomé ou de Tema au Ghana.
“Il y a l’espoir d’une solidarité économique : un accès au pétrole nigérien, des routes commerciales renouvelées”, pointe l’analyste politique togolais Madi Djabakate.
“Le Togo pourrait aussi y gagner une coopération militaire plus agile, des renseignements partagés avec des voisins”, ajoute-t-il auprès de l’AFP.
Le nord du Togo, frontalier du Burkina Faso, est de plus en plus exposé aux attaques meurtrières des groupes djihadistes qui ravagent le Sahel central depuis dix ans.
Si les juntes militaires de l’AES peinent, depuis leurs prises de pouvoir par des putschs entre 2020 et 2023, à reprendre le dessus sur les djihadistes, elles ont annoncé la création prochaine d’une force commune de 5.000 hommes.
Et le Togo voit aussi d’un bon œil la politique souverainiste revendiquée par les juntes sahéliennes.
Toutes ont tourné le dos à la France, voire plus globalement à l’Occident, et se sont rapprochées de partenaires comme la Russie.
“En s’engageant avec l’AES, le Togo s’inscrit dans un récit panafricain où les nations, longtemps divisées, apprennent à se tenir debout ensemble”, estime M. Djabakate.
Pour lui, le président togolais Faure Gnassingbé, en poste depuis 2005, “peut s’éterniser au pouvoir tant qu’il proclame son panafricanisme”, doctrine de plus en plus populaire au sein de l’opinion.
Les régimes militaires sahéliens ont renoncé à organiser rapidement des élections et étendu leurs transitions pour plusieurs années.
Quid de la Cedeao ?
Le politologue Madi Djabakate voit dans cet appel du pied togolais “un bon moyen pour faire diversion”, alors qu’une nouvelle Constitution, adoptée il y a un an, est critiquée par l’opposition et la société civile qui y voient une porte ouverte pour le président Gnassingbé pour se maintenir indéfiniment au pouvoir.
“On est face à une logique de conservation durable du pouvoir, du refus de transition, que partage le Togo avec les trois pays de l’AES”, abonde Francis Akindès, sociologue et professeur à l’université de Bouaké (Côte d’Ivoire).
Le régime continue de forcer la main aux Togolais avec des velléités d’adhésion à l’AES. Cette adhésion mettrait son régime à l’abri des contraintes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), sur le respect de l’Etat de droit et des libertés publiques”, estime pour sa part l’un des principaux opposants togolais, Nathaniel Olympio.
Les pays de l’AES ont quitté en début d’année la Cedeao, l’accusant notamment d’être inféodée à la France et inefficace dans la lutte antidjihadiste.
“Le Togo a toujours entretenu une relation chaleureuse et cordiale avec ces différents régimes militaires et il a été même un médiateur entre la Cedeao et eux”, rappelle Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel.
Alors le Togo peut-il être à la fois membre de l’AES et de la Cedeao? “Les alliances ne sont pas des mariages, mais des partenariats. Le Togo ne tourne pas le dos à la Cedeao. Comment le pourrait-il, alors que le port de Lomé est une artère vitale pour toute une région ? Il s’agit plutôt d’une stratégie de ‘en-même-temps’ : rester ancré dans une institution historique tout en explorant de nouvelles voies”, pointe Madi Djabakate.
“Pour la Cedeao, l’adhésion du Togo à l’AES serait une accélération de sa désintégration. En tout cas, cela aggraverait sa situation déjà précaire”, note Seidik Abba.
Source: TV5 Monde