[Edito] Togo- Qui fait la République ? L’homme ou les institutions ?

Depuis plusieurs mois, le peuple togolais assiste, impuissant, à une mise en scène politique dont les acteurs eux-mêmes semblent parfois ignorer le script. Au cœur du décor, une question fondamentale et brûlante : qui fait la République ? L’homme ou les institutions ?

Le changement constitutionnel de mai 2024, ayant consacré le passage à une Cinquième République fondée sur un régime parlementaire, a été défendue avec vigueur par d’éminents juristes. Ils l’ont présentée comme un tournant historique, un dépassement des pratiques présidentialistes, un retour à l’orthodoxie institutionnelle.

Et pourtant, à ce jour, où sont ces institutions censées incarner cette nouvelle ère ? Que sont devenues ces belles promesses d’équilibre, de collégialité et de responsabilité politique partagée ?

Car enfin, peut-on sérieusement parler de Cinquième République quand la seule concrétisation observable de ce nouveau régime est la prestation de serment de Faure Gnassingbé ?

Si le fondement du régime parlementaire repose sur la primauté des institutions, sur la désignation d’un Président du Conseil issu de la majorité, sur un gouvernement responsable devant les députés, où sont donc ces étapes ? Où est la continuité républicaine ? Où est la nouvelle architecture institutionnelle ?

Les institutions telles que la Cour constitutionnelle, la Cour suprême, la HAAC, le Médiateur de la République, la HAPLUCIA, etc., censées garantir le contrôle de la légalité et la régulation de la vie publique, n’ont pas été renouvelées conformément aux dispositions transitoires de la nouvelle Constitution en son article 95 :

« Les institutions de la République prévues par la présente Constitution sont mises en place dans un délai n’excédant pas douze (12) mois à compter de la date de son entrée en vigueur . »

On a beaucoup crié. Puis, silence radio. Comme si leur existence dépendait de la seule volonté présidentielle.

En ce mois de juin 2025, une seule tête est visible : celle du président du Conseil. Le reste demeure dans l’ombre. Les institutions végètent dans l’illégalité, pendant que le gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes, sans réelle marge d’action.

Seul le Sénat, dont l’installation était indispensable pour permettre au président sortant de revenir par une autre porte, a été mis en place dans l’urgence, puis abandonné dans un vide fonctionnel. Depuis la désignation du président de la République, plus rien. Aucun débat, aucune production législative, aucun signal de vie. Mais les salaires et indemnités coulent. On comprend alors que ce Sénat n’a pas été créé pour servir la République, mais pour servir un homme. S’il n’avait pas été utile à cette transition personnelle, il serait, comme les autres institutions, resté dans les tiroirs.

Faut-il dès lors conclure que la Cinquième République ne repose que sur un simple changement de veste ? Doit-on admettre, sans détour, que le serment d’un seul homme supplée, à lui seul, l’édifice complet d’un régime institutionnel ? Faut-il croire que la République se résume désormais à la seule personne de Faure Gnassingbé, qui concentre tous les leviers du pouvoir sans contrepoids institutionnel ?

Quelle insulte au droit, à l’intelligence, aux principes ! Quelle honte pour ceux qui croient encore à la République.

Il faut avoir le courage de dire que la République est aujourd’hui paralysée. Et ceux-là mêmes qui ont jadis enseigné l’impersonnalité de la loi, la sacralité du droit, se retrouvent silencieux dans leur confort face à ce détournement manifeste de l’esprit constitutionnel. Où sont-ils, ces professeurs, ces experts, ces gardiens du dogme républicain qui ont défendu, bec et ongles, le changement de régime ? Que disent-ils aujourd’hui ? La République, c’est l’homme ou les institutions ?

Et que dire de M. Jean-Lucien Kwassi Lanyo Savi de Tové, choisi comme président de la République par le Parlement conformément aux nouvelles dispositions ? Depuis sa désignation, plus aucune trace, aucune adresse à la Nation, aucun acte présidentiel, aucune visibilité institutionnelle. Le silence qui entoure cette fonction pourtant centrale dans l’architecture du régime parlementaire soulève une interrogation légitime. L’a-t-on nommé pour incarner la République ou pour servir une mise en scène institutionnelle de transition ?

Il serait utile, dans un esprit de transparence et de respect de l’intelligence collective, que le Président de la République lui-même éclaire les citoyens sur les conditions de son acceptation, sur les contours de son rôle, sur les raisons de son effacement. Non pas par curiosité politique, mais par exigence républicaine. Une République ne peut fonctionner à visage caché. Une fonction aussi élevée ne peut exister sans responsabilité. La République ne peut être réduite à un simple artifice.

Le Togo mérite mieux. Il mérite une République réelle, active, structurée. Il mérite des institutions fortes et indépendantes. Il mérite un droit qui ne soit pas un simple prétexte pour justifier le maintien du pouvoir, mais un outil d’émancipation, de justice, de contrôle.

La conscience des juristes togolais, des constitutionnalistes, des universitaires et des anciens ministres est interpellée.

À ceux qui ont prêté leur plume et leur autorité morale pour faire croire à la naissance d’un ordre nouveau, votre silence, aujourd’hui, ressemble à une abdication. Reprenez la parole. Dites la vérité. Ou bien assumez d’avoir été les architectes d’une illusion.

La République attend d’être incarnée par ses institutions, pas par l’ombre d’un seul homme.

L’histoire jugera. Mais le peuple, lui, regarde. Il souffre. Et il attend le bon moment.

Ricardo Agouzou

One thought on “[Edito] Togo- Qui fait la République ? L’homme ou les institutions ?

  1. Des très bonnes questions… On se demande les raisons de ce ralentissement après l’élan du départ.

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