Togo – Répression des manifestations : François Boko accuse le régime, appelle les soldats à réagir et dénonce le silence complice de la communauté internationale

Dans une déclaration poignante depuis Paris, l’ancien ministre de l’Intérieur, François Boko, dénonce les violences meurtrières survenues les 26, 27 et 28 juin 2025 au Togo. Il accuse le régime de Faure Gnassingbé de crimes prémédités, s’interroge sur la faillite de l’État togolais, et exhorte les forces armées à rompre avec la logique de la répression pour retrouver l’honneur de servir la nation. Il appelle également les partenaires internationaux du Togo à sortir du silence face à la dérive autoritaire. Lisez!

Evénements sanglants des 26 ,27,28 juin 2025 : Déclaration de François Boko, Ancien Ministre de l’Intérieur (2002-2005)

1. Hommage aux victimes

Je salue la mémoire de toutes les victimes du régime dictatorial togolais, celles d’hier et celles d’aujourd’hui à qui je rends hommage. Il y en aura d’autres hélas, si rien n’est fait pour faire partir ce clan et ses affidés, au pouvoir depuis 60 ans. J’adresse mes condoléances aux familles éplorées. Je pense à la jeunesse togolaise frappée dans sa chair, son cœur et sa dignité, qui vent debout et sans arme réclame sur sa terre natale la possibilité d’y construire son avenir et éviter de le chercher dans des aventures méditerranéennes périlleuses. Elle a compris que son avenir se trouve au Togo et que « la liberté ne s’octroie pas, elle s’arrache ». Elle a mon soutien plein et entier.

2. Une violence cyclique jamais soldée

Les 26, 27 et 28 juin 2025, des citoyens togolais exprimant pacifiquement leur soif de liberté ont subi des violences lors des opérations de maintien de l’ordre. Le bilan est lourd ; sept morts et des corps dont celui d’un mineur ont été retrouvés dans la lagune de Lomé. Une centaine de blessés graves a été enregistrée tandis que des arrestations et des enlèvements se sont poursuivis jusqu’aux domiciles supposés des manifestants.

Ces événements rappellent hélas ceux du 11 avril 1991 au cours desquels vingt-deux corps avaient été repêchés de la lagune de Bé après les violences orchestrées par le régime sur les populations lors des manifestations pacifiques. Ces événements ravivent également le triste souvenir des événements de 2005. Ceux-ci ont été marqués par une succession dynastique sanglante au cours de laquelle Monsieur Faure Gnassingbé accéda au pouvoir d’Etat avec à la clé 400 morts selon une enquête indépendante des Nations-Unies. Enfin, les événements des 26, 27 et 28 juin résonnent en écho de ceux d’août 2017. Les mêmes méthodes ont permis au régime de se maintenir en noyant dans le sang les légitimes revendications populaires de la jeunesse togolaise réclamant de meilleures conditions de vie et une alternance politique.

Ce cycle de violence permanent avait été audité par la CVJR en 2012. Financée à hauteur de trois millions d’euros par le PNUD, l’Union européenne, la France et l’Allemagne, la CVJR avait formulé 68 recommandations pour que ces actes de barbarie ne se renouvellent pas. Le rapport n’a jamais été mis en œuvre par les gouvernements successifs de Monsieur Faure     GNASSINGBE et les mêmes faits reviennent. Ce cycle de violences perpétrées par des soldats  et des milices du régime s’arrêtera-t-il un jour ?

3. Le caractère prémédité et perfide des événements des 26, 27 et 28 juin 2025

Les rues de Lomé ont été le théâtre de courses poursuites assorties de chasses à l’homme avec  un usage excessif et disproportionné de la force. La répression particulièrement sanglante a été orchestrée par des hommes cagoulés vêtus d’uniformes des forces de sécurité avec l’appui des supplétifs en tenue civile agissant telles des milices encadrées.

Des véhicules militaires peints aux couleurs et aux sceaux de la police et de la gendarmerie pour simuler les forces régulières de maintien de l’ordre, ont été utilisés pour déverser dans les rues des soldats exécutant sans ménagement des actes de tortures sur les manifestants aux mains nus. Ces actes sont interdits par le droit togolais et le droit international dans les opérations de maintien de l’ordre. Ils ont été pourtant planifiés et conduits sous l’autorité de la hiérarchie militaire. Le gouvernement de Monsieur Faure GNASSINGBE a d’ailleurs salué le professionnalisme des opérations et félicité les unités engagées.

Fait troublant, la veille, le 25 juin 2025, lors d’une intervention sur New World TV, Monsieur Gilbert BAWARA, ministre de la fonction publique et du travail, prophétisait, la possibilité pour les jeunes « de s’organiser pour défendre la paix dans leurs quartiers » Il prenait ainsi le  contre-pied du journaliste, qui, à juste titre, lui rappelait le caractère irrégulier et potentiellement dangereux d’une telle opération.

Le caractère prémédité de ces crimes est sans l’ombre d’un doute. Les témoignages sont documentés et permettront d’engager des poursuites en responsabilité pénale des exécutants, de  la hiérarchie militaire ainsi que celle des donneurs d’ordres politiques et institutionnels.

Le sang d’un enfant, les cadavres jetés dans les eaux, les cris étouffés sous la matraque, ne  doivent pas devenir des notes de bas de page de notre histoire. Ces actes sont imprescriptibles au regard du droit international et ne doivent pas restés impunis.

4. Un Etat failli en dépit d’énormes moyens financiers mobilisés par les partenaires du Togo

Les circonstances de la commission de ces crimes sont marquées par la préméditation et la  perfidie des moyens utilisés. Elles mettent en évidence les prémices d’un État failli, incapable  de mettre le monopole de la puissance publique au service de l’intérêt général et de la protection des citoyens.

Il est particulièrement inquiétant de constater qu’après 20 ans de règne et en dépit d’énormes moyens financiers mobilisés par nos partenaires techniques et financiers au profit de la sensibilisation et la formation civilo-militaire sur la gestion des foules dans un contexte de maintien et de rétablissement de l’ordre républicain, l’Etat togolais n’arrive pas à encadrer une manifestation publique pacifique portée par sa propre jeunesse. Une telle incapacité met en évidence un Etat failli qui a délibérément choisi de sous-traiter la violence à des milices pour réprimer les citoyens qui ne partagent pas les convictions politiques du clan au pouvoir.

5. Que peuvent à présent faire les amis et partenaires traditionnels du Togo ?

Une fois encore les autorités togolaises vont tenter d’expliquer que la situation n’est pas de leur   fait. Elles vont faire les écrans de fumée habituels pendant que, par leurs mauvais exemples,  elles affaiblissent la coopération, les avancées démocratiques et le développement sous régional. La dernière réforme institutionnelle foule aux pieds tous les engagements démocratiques pris par Monsieur Faure GNASSINGBE devant son peuple et la communauté internationale.

Chers amis et partenaires traditionnels du Togo, il est des moments ou le silence, même diplomatique, devient une dérobade, une faute et une caution à l’injustice et au désordre. Il est des moments où le devoir commande de dire, de nommer, de dénoncer et d’agir. Comme avec le Gambien Yahya JAMMEH en janvier 2017, quand la pression diplomatique du Nigéria et la pression militaire du Sénégal ont forcé le dictateur à quitter le pays, ce moment n’est-il pas arrivé ? Le peuple togolais dans son irrésistible quête de sa liberté, saura apprécier ce que vous avez fait pour l’accompagner.

6. Adresse aux soldats togolais

Soldats togolais, sachez-le, aucune dictature n’a jamais eu éternellement raison sur un peuple. Il est de votre impérieux devoir de protéger le peuple duquel vous êtes l’émanation. Vous avez rendez-vous avec ce peuple qui vous attend pour vous chérir de toutes ses forces et retrouver ensemble la cohésion l’unité, l’honneur que vous méritez et que vous n’auriez jamais dû perdre.

Fait à Paris, le 3 juillet 2025

François Boko

Ancien ministre de l’Intérieur (2002 – 2005)

Avocat au Barreau de Paris

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *