«Deux mandats, deux pas en avant, et Patrice Talon tire sa révérence calmement. Il dit: «j´ai servi, c´est le tour d´un autre». Il regarde à l´ouest, son regard est franc, un cousin s´accroche depuis vingt ans. Mais Talon part sans masque, ni peur; le pouvoir trop long perd sa saveur. Il a compris que la grandeur c´est aussi dire oui; oui à la relève, oui à la fin, oui à l´idée qu´on n´est pas divin… Ce n´est pas un adieu, c´est une leçon, pas un retrait, mais une révolution. Il n´a pas changé le texte pour durer, il a changé le temps pour inspirer. Patrice Talon, l´histoire retiendra qu´un homme peut régner sans devenir roi. Le vrai pouvoir c´est de savoir lâcher et d´ouvrir la voie à l´équité.» Serge Nonvignon
Le Bénin et le Togo sont deux pays voisins frères dont beaucoup de communautés éthniques soeurs se trouvent des deux côtés. N´eût été le tracé hasardeux des frontières dû à la colonisation, les deux peuples constitueraient aujourd´hui un même pays qui partagerait les mêmes richesses linguistiques et culturelles. Mais le destin des deux pays a basculé et est aujourd´hui ce qu´il est, à cause de la brutale intrusion du blanc et plus tard du partage du «gâteau» africain. Avant les années ´90, avant donc que le vent de l´est ne commença à souffler en Afrique, l´actualité politique sur le continent noir était en grande partie rythmée par la présence, ici et là, des régimes autoritaires ou de dictature, organisés autour des partis uniques. Le Bénin et le Togo durent subir chacun de son côté des dictateurs avec des fortunes diverses. Le «marxiste-léniniste» Mathieu Kérékou régna sur son pays d´une main de fer dès sa prise du pouvoir par un coup d´état militaire le 26 octobre 1972, avec toutes sortes de violations des droits de l´homme. Essoufflé sur le plan économique et isolé sur le plan diplomatique, le Bénin était le premier pays en Afrique à organiser une conférence nationale en janvier 1990 et à ouvrir la voie au multipartisme.
Mathieu Kérékou s´excusa auprès de son peuple et accepta les décisions de la conférence nationale. Battu en 1991 lors des premières élections démocratiques par Nicéphore Soglo, il sera élu en 1996 et en 2001. Depuis cette époque nos voisins de l´est ont connu, en dehors de Mathieu Kérékou, trois nouveaux visages à la tête de leur pays: Nicéphore Soglo, Yaya Boni et aujourd´hui Patrice Talon qui est presqu´à la fin de son deuxième mandat et partira bientôt.
S´agissant du voisin à l´ouest, le Togo, l´intrusion brutale et sanglante de Gnassingbé Éyadéma sur la scène politique togolaise, à travers l´assassinat du premier président démocratiquement élu, Sylvanius Olympio, le 13 janvier 1963, fit en sorte que l´histoire de ce petit pays resta comme figée depuis plus d´un demi-siècle. Pendant que beaucoup de pays africains, dont le Bénin, voient passer pendant la même période, plusieurs visages au sommet de leurs états, plusieurs générations de Togolais et de Togolaises ne connaissent que la famille Gnassingbé. Si au Bénin Mathieu Kérékou laissa faire la démocratie en acceptant les décisions de la conférence nationale, reconnut sa faute et s´excusa, la CNS (Conférence Nationale Souveraine) au Togo, qui s´était déroulée du 8 juillet au 28 août 1991, commença sous de mauvais auspices. En effet, la délégation des Forces Armées Togolaises (FAT) quitta les assises dès que la conférence avait annoncé son caractère souverain. Éyadéma qui avait accepté du bout des lèvres la tenue de la conférence, n´était pas du tout enthousiaste quant à l´idée d´une sincère ouverture démocratique qui lui ferait perdre son pouvoir absolu. Ainsi, pendant que les assises se tenaient, Gnassingbé Éyadéma préparait parallèlement ses tueurs pour mettre en oeuvre sa stratégie de la terreur. Le doyen Godwin Tété écrira plus tard à cet effet. «On comprend dès lors aisément que le Chef de l’Etat et son armada prétorienne et pléthorique, loin d’accueillir volontiers les décisions de la CNS, allaient plutôt leur réserver des carquois entiers de flèches bien empoisonnées.»
03 décembre 1991, finis l´hipocrisie et les faux-fuyants. Éyadéma laissa tomber le masque et décida d´attaquer par un contingent d´une armée togolaise aux allures tribalo-familiales, les bâtiments de la primature pour en déloger le premier ministre Joseph Koffigoh. L´opération était conduite par son demi-frère Toyi Gnassingbé qui y trouva la mort, bien que bardé de talismans. Ce que Godwin Tété qualifiera de «piteuse guerre éyadémaïenne de la primature» fera, selon des témoins qui avaient survécu, plus de victimes du côté des assaillants pro Éyadéma que de celui des fidéles au premier premier ministre de la transition. Koffigoh fut conduit manu militari chez le dictateur Éyadéma. C´était la fin de l´application des décisions de la conférence nationale. C´était aussi et surtout la fin des illusions démocratiques togolaises. La dictature, qui n´était en réalité jamais partie, reprit ses droits. Et la suite, tout le monde la connaît: la macabre série d´assassinats ciblés d´opposants commença par, entre autres, l´assassinat par balles de Tavio Amorin le 23 juillet 1992 au quartier Tokoin-Gbonvié à Lomé. Pour échapper aux tueurs entretenus et payés par Éyadéma et ses proches, des milliers de Togolais prirent le chemin de l´exil, vers le Bénin, le Ghana et vers des destinations plus lointaines. Les dramatiques circonstances dans lesquelles Faure Gnassingbé prit la relève de son père, décédé le 5 février 2005, n´auguraient pas des lendemains calmes pour le Togo. Et ce ne sont pas aujourd´hui le jusqu´au-boutisme dans le mensonge et la violence, la confiscation du pouvoir par la force, la répression tous azimuts, des emprisonnements politiques à tour de bras, pour un oui ou pour un non, qui nous démentiraient, hélas!
Voilà l´histoire politique récente du Bénin et du Togo qui nous montre, comme s´il en était encore besoin, que les deux peuples ne sont pas nés sous la même étoile. Les Béninois, grâce à la volonté et à l´amour pour son peuple d´un homme, Mathieu Kérékou, verront bientôt s´en aller leur 4e président de la république, démocratiquement élu. Oui, Patrice Talon partira et cédera sa place à un cinquième président au sommet de l´état béninois. Quant aux Togolais, les lendemains paraissent sombres et incertains. Faure Gnassingbé tiendra-t-il, vaille que vaille, à sa formule, «moi ou le chaos», ou sera-t-il assez raisonnable pour mettre de l´eau dans son vin et écouter son peuple? Et s´il refuse de voir l´évidence, y aura-t-il quelqu´un, comme ça se passe ailleurs, pour siffler la fin de la récréation et ramener le Togo sur les rails de la démocratie?
That is the question!
Samari Tchadjobo
Allemagne
Le Bénin et le Togo: deux trajectoires, deux destins opposés. L´alternance réussie et le «moi ou le chaos»
