« Il n’est pas bon que les mêmes personnes exercent trop longtemps le pouvoir, elles vont manquer d’efficacité. On n’est pas savant tout seul. Les choses changent, le temps change.» (Patrice Talon, le président du Bénin qui va quitter le pouvoir dans moins de 10 mois, face à la jeunesse de son pays le 31 juillet 2025)
Monsieur Alassane Ouattara, 83 ans, président de la Côte d´Ivoire, a annoncé le mardi 29 juillet dernier qu´il sera candidat pour les élections présidentielles d´octobre 2025, pour briguer un quatrième mandat; et ce malgré les nombreuses annonces qu´il avait faites et qui laissaient espérer que le vieil homme se retirerait à la fin de son mandat actuel. «…Comme vous le savez, en mars 2020, j’avais décidé de transférer le pouvoir à une jeune génération. Je l’ai dit parce que je crois en l’alternance et à la transmission générationnelle. Je tiens aussi à la parole donnée. …Toutefois, les années passées à la tête de notre pays m’ont fait comprendre que le devoir peut parfois transcender la parole donnée de bonne foi. En effet, à l’occasion de ma prestation de serment, j’ai pris l’engagement de servir la Côte d’Ivoire, de la protéger, de veiller à l’unité nationale, à l’intégrité du territoire et de travailler au bien-être du peuple ivoirien. C’est pourquoi, après mûre réflexion et en toute conscience, je vous annonce aujourd’hui que j’ai décidé d’être candidat à l’élection présidentielle du 25 octobre 2025. Oui, je suis candidat parce que la Constitution de notre pays m’autorise à faire un autre mandat et ma santé le permet. Je suis candidat parce que notre pays fait face à des défis sécuritaires, économiques et monétaires sans précédent, dont la gestion exige de l’expérience.» Monsieur Ouattara explique les raisons qui l´auraient poussé à revenir sur sa parole en décidant d´être candidat, en insistant sur le fait que le devoir peut parfois transcender la parole donnée de bonne foi et en parlant des défis sécuritaires, économiques et monétaires sans précédent dont la gestion exigerait, selon ses termes, de l´expérience.
Comme on le voit, il n´a pas été du tout aisé pour le papi de 83 ans de justifier par des arguments convaincants l´annonce de sa candidature à l´élection présidentielle d´octobre 2025. En réalité, Alassane Ouattara n´avait plus aucun argument plausible pour refuser de prendre sa retraite. C´est pourquoi les raisons qu´il tente de faire passer ne sont que tirées par les cheveux. Et tout le monde savait que l´exercice ne serait pas aisé pour lui, car, il y a cinq ans, il justifiait déjà son maintien au pouvoir par un „sacrifice“ nécessaire. C´était en 2020, où, malgré la contestation de l´opposition, Alassane Ouattara avait parlé d´un „cas de force majeure“ pour briguer un troisième mandat, après avoir été élu en 2010 et 2015. En prononçant son discours mardi dernier, le président ivoirien, encore en exercice, pouvait à peine cacher un certain embarras. Mais comme c´est l´habitude chez la plupart de nos dirigeants africains, il avait préféré faire fi de tout cela, quitte à exposer son pays à des lendemains incertains. En effet, Alassane Ouattara n´aura pas appris des leçons douloureuses du passé pour éviter un avenir tumultueux à son peuple. Et personne n´a oublié que l´arrivée d´Alassane Ouattara au pouvoir en 2011 n´avait pas été un fleuve tranquille. Son «élection» d´alors, contestée par le président sortant Laurent Gbabo, donna lieu à une crise post-électorale qui fit environ 3000 morts.
L´entrée triomphale des FRCI (Forces Républicaines de Côte-d´Ivoire) pro Ouattara, avec à leur tête Guillaume Soro, à Abidjan, sonna le glas pour Laurent Gbagbo qui fut arrêté et transféré à La Haye. Et nous n´avons pas le droit d´omettre le coup de main précieux d´un certain Nicolas Sarkozy, alors président de la France, à son ami Alassane Ouattara. C´est pourquoi «certaines mauvaises langues» murmurent jusqu´à aujourd´hui que Monsieur Ouattara fut installé au pouvoir à Abidjan par la France. Et ce n´est donc pas exagéré si nous qualifions, dans le titre de notre texte, l´actuel président ivoirien de l´homme de Paris. Et tout semble indiquer que Monsieur Ouattara n´a pas l´intention de plaisanter en faisant son volte-face du 29 juillet 2025. Car il avait bien pris soin de faire rayer des listes électorales les poids lourds de l´opposition comme Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé. On se rappelle que c´était justement l´exclusion d´Alassane Ouattara pour «ivoirité» qui avait été à la base des troubles sanglants de 2010-2011. Un des ténors de l´opposition ivoirienne, Charles Blé Goudé ne mâche pas ses mots pour rappeler le triste passé récent de son pays et insister sur ce dont la Côte d´Ivoire a besoin aujourd´hui pour ne plus devoir avoir à flirter avec les vieux démons d´il n´y a pas longtemps: «Mon pays, on ne peut pas le comparer à d´autres pays, parce qu´ils n´ont pas la même histoire récente. Je sors de prison, des Ivoiriens reviennent d´exil. Des Ivoiriens sortent à peine d´une crise meurtrière. Ils ont besoin de quelqu´un qui peut les rassembler…. Celui dont la Côte d´Ivoire a besoin aujourd´hui, ce n´est pas seulement un chef d´état, c´est un leader…»
«La Constitution de notre pays m’autorise à faire un autre mandat et ma santé le permet.» Voilà justement la phrase de discorde contenue dans le message d´Alassane Ouattara. En 2016 la constitution ivoirienne avait été modifiée donnant ainsi lieu à une troisième république et à un nouveau régime; permettant d´ailleurs à Ouattara de concourir pour un troisième mandat en 2020. Pour le régime ivoirien il s´agirait du second mandat de la troisième république si Alassane Ouattara était élu en octobre prochain. L´opposition ivoirienne, quant à elle, ne veut pas l´entendre de cette oreille. En 2020 celle-ci avait déjà véhément dénoncé la «modification illégitime» de la constitution, et aujourd´hui encore, après l´allocution de mardi dernier du président ivoirien, ses opposants continuent à fustiger ce changement de république de 2020 et parlent d´une attaque contre la démocratie. Pour eux,
n´est valable qu´une seule constitution, celle de la deuxième république qui n´autorise que deux mandats successifs.
Alassane Ouattara restera-t-il sur sa position? Que fera l´opposition ivoirienne alors? Des interrogations cruciales qui méritent d´être posées dans un pays habitué aux bruits de bottes et où les vieux démons de la violence ne sont malheureusement pas loin. Vivement que le président ivoirien mette de l´eau dans son vin et revienne à la raison en pensant au passé douloureux de son pays. Car, non seulement il laisse planer des lendemains incertains sur la Côte d´Ivoire, mais surtout une telle attitude de sa part risque d´encourager d´autres à persister dans le mal, comme Faure Gnassingbé au Togo par exemple, et à faire des émules dans une Afrique, déjà largement mal en point dans ce domaine de la bonne gouvernance et de la démocratie.
Bibliographie: presse ivoirienne en ligne
Samari Tchadjobo
Allemagne
Le jusqu´au-boutisme d´Alassane Ouattara ou le pari fou de l´homme de Paris
