Togo – Rechercher des alliés chez l’adversaire… pour conclure la lutte

« Une révolution ne prend de l’ampleur qu’à partir du moment où des groupes qui n’ont rien en commun décident de se rassembler pour leur profit commun. Pour réussir, un mouvement de résistance civile doit donc chercher continuellement à atteindre de nouveaux groupes, y compris les partisans de son adversaire. Car dans un combat non-violent, le nombre est le seul moyen de l’emporter. » Gnimdéwa Atakpama, « La nuit est longue. Mais la révolution vient ! » Page 114.

L’histoire de la lutte pour les droits civiques et la fin de la ségrégation raciale aux États-Unis nous apprend que le Dr Martin Luther King avait réussi son combat non seulement en faisant sortir les masses dans les rues, en organisant des sit-in, des grèves, en s’attirant la sympathie et des soutiens à travers le monde, mais aussi en s’alliant ceux qui aux Etats-Unis même avaient le capital politique ou l’influence pour faire changer la donne: les Blancs, c’est-à-dire la communauté blanche. Pourtant, ces Blancs étaient, qu’ils le veuillent ou non, les héritiers des privilèges garantis par la ségrégation raciale. Pour replacer les choses dans leur contexte, ces Blancs étaient « l’adversaire », car c’était en leur nom et pour leur « bien-être » que la ségrégation raciale était appliquée avec son corollaire de déni des droits civiques aux Noirs et autres minorités. C’était parmi eux qu’on retrouve ceux qui s’opposaient avec une férocité incroyable aux droits égaux pour tous les Américains. Mais pour réussir sa lutte, plutôt que de se mettre à dos les Blancs, Martin Luther King et ses camarades avaient tenu à obtenir leur soutien. Et ils l’ont eu, et cela a changé le cours de l’histoire.

Au lendemain de leur défaite électorale historique de 2008 marquée par l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, les Républicains s’étaient lancés dans une introspection afin d’éviter une répétition de ce scénario, en menant un vaste examen de conscience. L’une des conclusions auxquelles ils étaient parvenus, c’était que leur parti tient exclusivement compte des préoccupations de la communauté blanche et qu’ils ont abandonné depuis longtemps tout effort visant à attirer les Noirs Américains dans le parti Républicain, quoiqu’il y ait beaucoup de Noirs qui sont séduits par les valeurs conservatrices que défend ce parti (c’est après tout un Président Républicain, Abraham Lincoln qui avait affranchi les Noirs et mis fin à l’esclavage). L’une des remarques du rapport est que les responsables du parti tant au niveau fédéral que local avaient “démissionné” face à la tâche d’attirer les Noirs dans le parti Républicain, jugeant cette tâche comme une « mission impossible » du fait d’un attachement presque émotionnel des Noirs au parti Démocrate. La suite, c’est l’élection d’un Noir, Michael Steele, comme chef du Parti Républicain, une première dans l’histoire. L’autre conséquence est que les stratèges républicains ont réussi à personnaliser leur message de manière à rendre les Noirs sensibles à ce message des Républicains, au point qu’en 2024, Donald Trump parvint à doubler le nombre de voix qu’il avait obtenues dans l’électorat noir.

Sans entrer dans un parallélisme exact des formes, et bien que les contextes politiques soient diamétralement opposés (démocratie américaine comparée à la dictature militaire au Togo), on peut tirer des leçons de ces alliances inédites que certains ont su former dans l’histoire afin de faire le dernier pas vers le changement politique au Togo. La politique, dit-on, est la continuation de la guerre par d’autres moyens.

Pour présenter la situation de manière caricaturale, dans chaque lutte, les groupes d’individus gravitent dans des cercles, entre autres le cercle de ceux qui luttent pour une cause ou la situation désirée (ici le changement), le cercle de ceux qui s’y opposent (les adversaires), et le cercle de la majorité silencieuse. Pour remporter la bataille, le cercle de ceux qui luttent pour le changement doit réussir à s’élargir, à tirer et intégrer en son sein les individus d’un autre cercle, notamment ceux du cercle des adversaires. Pour reprendre Gnimdéwa dans son ouvrage ci-dessus référencé, « les mouvements non-violents ayant réussi […] tendent également continuellement la main aux partisans de leurs opposants afin de provoquer des changements de loyauté et des défections dans les rangs de l’adversaire ».

Au regard du parcours de la lutte pour le changement politique au Togo, il apparaît qu’au sein de la mouvance opposition, nous n’avons pas pu agrandir le cercle dans lequel nous prêchons la nécessité du changement ; les raisons sont diverses, donc je m’en tiens au résultat. En d’autres termes, notre message en faveur du changement n’a pas créé des défections au sein du cercle des partisans du régime militaire de manière à agrandir le cercle de l’opposition, mais le cercle du régime s’est lui élargi avec les dissidents de l’opposition et ceci à plusieurs reprises.

La mouvance opposition n’a pas réussi à attirer dans son cercle ceux qui, dès les années 90, avaient fait le choix de résister au changement politique ou ceux qui ont commencé par résister au changement politique au fil du temps, soit pour obtenir des faveurs du régime, soit parce qu’ils sont désabusés par les échecs de l’opposition. Ce figement du cercle de l’opposition n’est pas uniquement dû à la crainte des représailles et à l’intimidation du régime pour garder les résistants au changement dans son cercle; c’est aussi dû au fait qu’au sein de la mouvance opposition au régime, nous n’avons pas su cadrer nos messages et nos tactiques pour faire sortir les résistants au changement (aussi bien au sein de la population civile que de l’armée) du cercle du régime.

Au lieu donc de continuer par prêcher uniquement à ceux qui sont déjà réceptifs et mobilisés pour la lutte pour le changement, notre approche devrait désormais consister à nous tourner vers les résistants au changement sur la valeur du changement pour eux-mêmes, car on ne peut amener quelqu’un à changer si on ne lui montre en quoi le changement lui sera bénéfique. Au Togo nous aimons penser que cela n’en vaut pas la peine car comme on aime répéter, « eux-mêmes savent que le changement c’est pour nous tous. » Mais le savent-ils vraiment ? Le savent-ils assez ? La répétition étant pédagogique, ne gagnerons-nous pas à le répéter au point d’en faire un véritable chantier ? La balle est donc dans notre camp, nous la mouvance opposition, et chaque petit effort comptera face à ce qui s’apparente à un essoufflement de la lutte pour le changement au Togo.

Je termine cette analyse en paraphrasant Malcom X, l’un des activistes les plus connus de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis : « nous ne sommes pas de moins en moins nombreux dans cette lutte pour le changement au Togo, nous sommes simplement de moins en moins organisés ». Il est temps de s’organiser mieux, en ajoutant à notre arc une nouvelle flèche : celle de nos alliés dans le camp de l’adversaire, d’autant plus que les lignes ont commencé par bouger avec tour à tour les sorties de dame Gnakadè, ainsi que le refus des braves Evalas de danser pour le simple plaisir du prince.

A. Ben Yaya
New York, 24 Août 2025

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