Édito/Journaliste togolais : la ligne éditoriale n’est pas le déni de la réalité

Quand la presse confond blocage militaire et échec populaire, elle renonce à sa mission première : informer. En effet, le 30 août 2025, le Togo a offert au monde un spectacle pour le moins paradoxal. Des quartiers de la capitale étaient quadrillés par des forces armées, les domiciles de leaders politiques et de figures de la société civile encerclés par des camions militaires, comme si le pays vivait un état de siège. L’objectif était d’empêcher la manifestation publique lancée par les blogueurs. Pourtant, au lendemain de ces événements, certains journaux nationaux ont titré avec assurance : « Échec de la manifestation… ». Faut-il en rire ou en pleurer ?

Un blocage par la force publique n’est pas un échec populaire. C’est un empêchement. La nuance est capitale, mais elle semble échapper à une partie de la presse togolaise. Comment un journaliste, censé informer l’opinion, peut-il confondre un mouvement interdit par la répression avec un mouvement qui aurait échoué faute de participants ? Faut-il rappeler que l’information, dans son essence, consiste à décrire fidèlement les faits, et non à travestir la réalité pour coller à une ligne imposée ?

Certes, chaque média a sa ligne éditoriale. Mais cette ligne n’autorise jamais le déni de réalité. La vérité journalistique n’est pas optionnelle, elle est un devoir, un engagement éthique. Dire qu’il y a « échec » alors qu’il y a verrouillage n’est pas une analyse ; c’est une faute professionnelle lourde. Et quand le journaliste commet sciemment une telle faute, mérite-t-il encore ce titre ?

Le plus troublant est que l’armée, en bloquant les leaders, a montré qu’elle avait parfaitement compris le rôle central de ces figures dans la mobilisation. Les militaires ont saisi la réalité : sans leaders, il n’y a pas de foule. Mais le journaliste, lui, feint de ne pas le savoir. Serait-il donc moins lucide que le soldat ?

Cette confusion interroge. Elle révèle une crise profonde dans la profession, celle de la formation et de la vocation. Le code de la presse exige un niveau universitaire en journalisme pour exercer. Ce niveau devrait à tout le moins prémunir contre des analyses aussi bancales. Mais on assiste aujourd’hui à un journalisme qui se contente de sensations, qui s’aligne sur la communication officielle, et qui oublie sa mission première, celle de rapporter ce qui est.

Et que dire de ces pratiques qui consistent à montrer des images d’un quartier tranquille pour prouver que « rien ne s’est passé », alors que le quartier du journaliste lui-même était sous blocus et bien quadrillé par des hommes armés ? C’est oublier le b-a-ba du métier : l’équilibre et la véracité de l’information.

Si ma grand-mère, depuis son village à plus de 500 kilomètres de Lomé, a pu voir à travers des vidéos claires que la maison de l’artiste Amron était bouclée même si lui-même a tenté de marcher aux côtés de sa mère, que l’ancienne ministre des Armées du Togo, Madame Gnakadé, malgré la présence des militaires, a pu sortir avant d’être reconduite de force à son domicile, que Madame Adjamagbo et les responsables de la société civile de Togo Debout ont été étouffés, bloqués et placés en état de siège, alors comment expliquer que le journaliste vivant à Lomé prétende n’avoir rien vu ? Et s’il a osé dire le contraire, ce n’est pas seulement une faute professionnelle, c’est un danger pour la presse et, plus encore, pour la société elle-même.

Pendant ce temps, des journaux étrangers décrivent avec plus de justesse ce qui s’est déroulé sur notre sol que nos propres médias. Quelle ironie ! Quand le regard extérieur raconte mieux la réalité que ceux qui la vivent, n’est-ce pas le signe d’un journalisme à bout de souffle ?

Traditionnellement, le journaliste parle de tout sauf de lui-même ; il observe, rapporte, questionne. Mais lorsque la profession s’enfonce dans une telle décadence, il devient nécessaire de l’interroger à son tour. Car une presse, qu’on le veuille ou non, reflète le niveau de conscience d’un peuple et la qualité de sa gouvernance. La faiblesse du journalisme n’est donc jamais seulement celle des journalistes ; elle reflète la société qu’ils informent ou qu’ils désinforment.

Les jeunes qui rêvent de devenir journalistes regardent ce spectacle avec désarroi. Certains en viennent à regretter leur choix, voyant une profession noble diluée par des esprits faibles. Car un journaliste qui travestit l’information ne fait pas du journalisme, mais de la communication. Encore faut-il qu’il soit formé. Et le mélange des deux tue la fonction.

Au fond, le choix est simple. Soit le journaliste togolais retrouve le courage d’informer honnêtement, soit il change de métier. Mais qu’il cesse de brouiller les frontières, car à ce jeu, c’est toute une profession qui meurt et avec elle, la crédibilité de notre démocratie.
Heureusement que certains journalistes continuent de témoigner fidèlement des faits, rappelant que la profession peut encore se relever.

Ricardo Agouzou

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