Quinze jours après le début de sa grève de la faim, Abdoul Aziz Goma, détenu à la prison civile de Lomé et condamné à dix ans de prison sans preuves, interpelle le Président du Conseil, Faure Gnassingbé. Il dénonce tortures et traitements inhumains et réclame justice pour lui et les autres détenus politiques.
En effet, depuis le 27 août, Abdoul Aziz Goma observe une grève de la faim à la prison civile de Lomé pour protester contre sa détention et celle de ses codétenus dans des conditions qu’il qualifie d’ « inhumaines ».
Condamné à dix ans de prison par la cour d’assises le 3 février 2025, Goma affirme n’avoir été confronté à « aucune preuve concrète et dans des conditions judiciaires que je crois profondément injustes ». Il dénonce également des tortures ayant entraîné « la perte totale de l’usage de mes membres inférieurs » et des souffrances physiques constantes.
Il évoque la mort de son codétenu Karrou Wawim, hospitalisé mais condamné malgré son état critique : « Sa disparition tragique témoigne des conséquences humaines dramatiques de l’inaction et du mépris des droits humains ».
Dans sa lettre ouverte au président du Conseil, Goma demande « la révision immédiate de notre procès », « la libération immédiate de tous les détenus politiques » et « la mise en place de mesures urgentes pour garantir des conditions de détention humaines ».
Il conclut : « Je suis prêt à mourir pour défendre cette vérité, mais je suis encore plus prêt à vivre si cette vérité triomphe ».
Lire en intégralité la lettre ouverte.
LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DU CONSEIL LA RÉPUBLIQUE TOGOLAISE
À
Son Excellence Monsieur Faure Essozimna Gnassingbé
Président du conseil de la République Togolaise
Lomé – Togo
Objet :-Appel à la justice, à la vérité, à l’humanité et à la fin des traitements inhumains – 13ᵉ jour de ma grève de la faim
Prison civile de Lomé, le 8 septembre 2025
Excellence Monsieur le Président,
Je vous adresse cette lettre en tant que citoyen irlandais de nationalité et Togolais d’origine, détenu depuis le 21 décembre 2018, aujourd’hui condamné à 10 ans de prison par la cour d’assise depuis le 3 février 2025, et actuellement en grève de la faim depuis 13 jours, à la prison civile de Lomé.
Ma démarche n’est ni une provocation, ni un défi lancé à votre autorité. Elle est l’ultime appel d’un homme qui refuse de mourir en silence, condamné à une peine d’une extrême lourdeur en l’absence de toute preuve concrète et dans des conditions judiciaires que je crois profondément injustes.
J’ai été jugé avec d’autres compatriotes, dans un procès où aucun élément matériel, aucun indice sérieux, aucun témoignage cohérent n’a été présenté contre nous. Malgré cela, le verdict est tombé, implacable : 10 ans de prison. À ce jour, le jugement rendu contre moi et mes codétenus est manifestement arbitraire et contraire aux principes fondamentaux de la justice.
Mon état de santé :
Depuis mon incarcération, mon état de santé s’est gravement détérioré, principalement en raison des actes de torture dont j’ai été victime. Ces actes m’ont causé des blessures irréversibles, dont la perte totale de l’usage de mes membres inférieurs. Je suis désormais dans l’incapacité de marcher et suis soumis à une souffrance physique constante.
Les tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants auxquels j’ai été soumis, en plus des conditions de détention, ont exacerbé ma souffrance et m’ont condamné à une existence marquée par la douleur. Mon corps est un témoin vivant de ces atrocités. Mais, malgré tout, ma détermination reste intacte.
Pour attester de la gravité de ma situation, je joins à cette lettre un rapport médical détaillant l’étendue de mes blessures, la perte de l’usage de mes membres et les traitements inhumains dont j’ai été victime. Ce rapport a été rédigé par un médecin indépendant, et il est disponible pour toute autorité ou organisation souhaitant en prendre connaissance.
La perte d’un frère de lutte :
En plus des souffrances que je décris, je souhaite attirer votre attention sur un événement tragique qui a eu lieu durant le procès du 3 février 2025. L’un de mes codétenus, le nommé Karrou Wawim, n’a pas pu être présent lors de ce procès en raison de son état de santé gravement détérioré. Malgré son état, il a également été condamné à 10 ans de prison, sans preuves ni indices tangibles contre lui.
Karrou Wawim a été hospitalisé au CHU de Lomé, où il n’a malheureusement pas survécu. Le 7 février 2025, il a rendu l’âme, victime de la négligence et de l’injustice qui règnent dans nos établissements pénitentiaires. Sa mort est un symbole de l’injustice systémique que nous subissons. Un homme gravement malade, incapable de participer à son propre procès, a été condamné à une peine inique. Il est décédé, et ses aspirations à la justice n’ont jamais été entendues.
Sa disparition tragique témoigne des conséquences humaines dramatiques de l’inaction et du mépris des droits humains. Aujourd’hui, plusieurs autres de nos compagnons sont gravement malades, dans des conditions similaires de négligence et de traitement inhumain. Nombreux sont ceux qui ont subi des tortures, qui languissent depuis des années sans jugement et qui, malheureusement, sont dans un état de santé désastreux.
Ce que je demande :
Excellence, au regard des injustices flagrantes dont nous sommes victimes, et des violations répétées des droits humains dont nous souffrons, je vous demande avec la plus grande urgence :
1. La libération immédiate de tous les détenus politiques, y compris moi-même, conformément aux décisions de la Cour de justice de la CEDEAO et de l’ONU, qui ont ordonné notre libération immédiate. Leur non-respect constitue une violation manifeste de nos droits fondamentaux et des engagements internationaux du Togo.
2. La révision immédiate de notre procès dans le respect des principes fondamentaux du droit, de l’équité et de la justice. Il est impératif que notre affaire soit examinée de manière impartiale, sans parti pris et sur la base de preuves tangibles, et que la vérité soit recherchée.
3. La reconnaissance officielle des actes de torture et des traitements inhumains que nous avons subis, et la mise en place de mesures de réparation pour les victimes.
4. La mise en place de mesures urgentes pour garantir des conditions de détention humaines, mettre fin aux pratiques de torture et assurer une véritable justice pour tous les détenus politiques.
5. L’action urgente concernant les dizaines de personnes arrêtées lors des manifestations de juin et juillet 2025, qui sont de nouveau victimes de tortures et de traitements cruels, inhumains et dégradants. Ces personnes, qui attendent toujours d’être écoutées par le juge d’instruction, doivent être libérées ou jugées dans les plus brefs délais. Leur situation est une preuve supplémentaire de la violation des droits humains qui règne dans notre pays.
Pourquoi je vous écris :
Excellence, vous êtes le garant de la Constitution, le chef suprême de la justice, le dépositaire de la souveraineté nationale. C’est à vous que revient la responsabilité ultime de faire respecter les droits humains dans notre pays.
En ce 13ᵉ jour de grève de la faim, mon corps s’affaiblit, mais ma foi en la justice ne meurt pas.
Je vous implore d’agir pendant qu’il est encore temps.
Je vous demande :
1. La révision de mon procès dans les règles de droit ;
2. L’examen urgent des cas des détenus politiques en attente depuis 6 ans ou plus ;
3. L’accès médical indépendant pour les détenus en grève ou en danger, ainsi que pour ceux qui, comme moi, sont victimes de tortures et de traitements inhumains ;
4. La mise en place d’un cadre de suivi des procès politiques, garantissant leur équité et leur publicité ;
5. La fin immédiate des pratiques de torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants à l’encontre des détenus.
Mon dernier mot :
Je ne suis pas un ennemi de l’État. Je ne suis pas une menace. Je suis un Togolais, mais aussi un citoyen irlandais, qui demande que la justice de son pays le traite comme un homme, un citoyen, un être humain.
Je suis prêt à mourir pour défendre cette vérité, mais je suis encore plus prêt à vivre si cette vérité triomphe.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’expression de ma détermination pacifique et de mon respect républicain.
Abdoul Aziz Goma,
Détenu à la prison civile de Lomé,
Gréviste de la faim depuis le 27 août 2025
Condamné le 3 février 2025 – Procès d’assises sans preuves.