Togo- Katanga, marginalisé mais debout face aux vagues (reportage)

À l’est de Lomé, coincé entre le port en expansion et la plage rongée par l’érosion, Katanga incarne à la fois l’exclusion et la résilience. Dans ce quartier de pêcheurs qualifié de « ghetto », près de 3 000 âmes, issues du Togo, du Ghana, du Bénin ou du Nigeria, affrontent la pauvreté, la stigmatisation et les drames quotidiens. Mais au milieu des cabanes de fortune, la solidarité continue de faire tenir debout une communauté que la mer façonne et menace à la fois.

Une communauté plurielle et stigmatisée

Les cabanes de fortune, faites de palmes et de bâches, contrastent avec les hôtels et villas environnants. L’accès au quartier se fait par une piste sablonneuse ou en longeant la plage. Cette mise à l’écart nourrit la stigmatisation d’une population perçue comme marginale. « Le paradoxe de l’invisibilité de l’identité étrangère », explique Amandine Spire, chercheuse spécialiste des dynamiques migratoires, souligne combien Katanga incarne une marginalité à la fois sociale et politique.

Malgré cette exclusion, la diversité culturelle est manifeste. « Les langues les plus parlées à Katanga sont l’akan, l’adan, l’ashanti et le kabiyè », raconte Jacques, pêcheur de 37 ans. Dans les ruelles, l’activité est continue : femmes au fumage de poisson, hommes réparant les filets, enfants courant derrière un ballon usé.

Drogues et violences policières

Le cœur du quartier reste une place circulaire où se croisent habitants, musique et parfois trafic de stupéfiants. « On aime porter le pantalon comme ça, comme Tupac », lance Khalifa, joint de cannabis à la main, assis non loin de son ami Jacques. La consommation de tramadol, très répandue, accentue la réputation sombre du lieu.

Les drames s’accumulent. Patricia, vendeuse ambulante, a vu sa maison disparaître dans les flammes en décembre 2024, quelques semaines après la mort de son frère Modcho, abattu à 27 ans lors d’une intervention policière. « Nous n’avons pas les moyens de reconstruire », confie-t-elle, visiblement éprouvée.

Une pêche en crise

Au-delà des drames humains, la pêche, activité vitale du quartier, traverse une crise profonde. « On constate une réduction des stocks de poissons », déplore Pascal, ancien pêcheur. David, un autre habitant, accuse la surpêche industrielle : « Il y a cinquante ans, on pêchait deux fois plus de poissons. Des navires chinois viennent capturer nos espèces avec des filets trop serrés. »

Les pêcheurs artisanaux, déjà fragilisés par les coûts élevés, peinent à rivaliser avec les flottes étrangères ou ghanéennes. « Le gouvernement permet cette situation en acceptant l’argent des Ghanéens », accuse Kossivi, qui a dû abandonner son activité après la casse de sa pirogue.

La mémoire du déplacement forcé

La mémoire du déplacement lors de la construction du troisième quai en 2002 reste vive. « On nous a forcés à partir avec la construction du port », rappelle Cécile, une septuagénaire du quartier. Depuis, les habitants vivent avec la crainte d’un nouvel évincement.

La pauvreté, le manque de perspectives et la stigmatisation alimentent la délinquance et la réputation dangereuse du quartier. Pourtant, derrière l’image du « ghetto », Katanga s’organise : hiérarchies coutumières, entraide entre familles, figures respectées comme Jeanne, surnommée « la maman », qui finance la scolarité d’enfants grâce à la vente de cannabis et de repas.

Entre survie et dignité

La violence, la drogue et l’insalubrité sont une réalité. Mais elles ne suffisent pas à résumer Katanga. Au milieu des cabanes de fortune et du sable noir, les habitants tissent chaque jour des solidarités pour faire face à l’exclusion, entre survie et dignité.

Source: Afriquexxi.info/Togo. Katanga, le « ghetto » des pêcheurs délogés puis délaissés

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