À l’occasion du jubilé du monde éducatif qui s’ouvre ce 27 octobre à Rome, la spécialiste des sciences de l’éducation et retraitée de l’enseignement supérieur, Maryse Adjo Mawutowou Quashie, adresse un vibrant appel aux acteurs catholiques. Dans une tribune inspirée, elle plaide pour une mobilisation de l’Église afin de relever le système éducatif africain, miné par les inégalités, le manque d’enseignants et la faiblesse des résultats scolaires. Selon elle, l’Église, forte de son héritage pédagogique et de son indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, détient les clés d’une véritable renaissance éducative fondée sur la foi, la solidarité et la dignité humaine.
APPEL AUX ACTEURS CATHOLIQUES DU MONDE ÉDUCATIF
Spécialiste des Sciences de l’Éducation – Retraitée de l’Enseignement supérieur
Le 27 octobre 2025 s’ouvre à Rome le jubilé du monde éducatif. Cela m’interpelle, même si je sais que je ne pourrai pas m’y rendre – ou plutôt, devrais-je dire, parce que je sais que je ne serai pas à Rome – alors que l’éducation me semble d’une importance inouïe.
Une remarque s’impose : au cours des siècles, l’Église a développé à la fois une pensée et des pratiques pédagogiques qui ont profondément marqué l’histoire de l’éducation. On peut ainsi décrire l’œuvre de nombreuses personnes et communautés, depuis le Moyen Âge, des monastères où, après l’effondrement de l’Empire romain d’Occident, furent copiés et sauvegardés les manuscrits de Sénèque, Platon, Cicéron, Augustin, etc., jusqu’aux temps modernes qui ont vu fleurir les œuvres éducatives des Jésuites, Salésiens, Lassalliens, Frères de Ploërmel, Ursulines, Marianistes, Maristes, Assomptionnistes, Frères du Sacré-Cœur, et bien d’autres.
Le Concile Vatican II n’a pas manqué de rappeler cette vision de l’Église en affirmant que « la véritable éducation est de former la personne humaine dans la perspective de sa fin la plus haute, et du bien des groupes dont l’homme est membre et au service desquels s’exercera son activité d’adulte » (Déclaration Gravissimum Educationis).
Dans cette perspective, nous qui sommes à la recherche du développement depuis plus d’un demi-siècle, reconnaissons volontiers avec le pape Paul VI que « l’éducation constitue une condition essentielle du développement des peuples, tout particulièrement de ceux qui s’efforcent d’échapper à la faim, à la misère, aux maladies endémiques et à l’ignorance, et qui cherchent une participation plus large aux fruits de la civilisation ainsi qu’une mise en valeur de leurs qualités humaines » (Populorum Progressio).
Or, en Afrique, les systèmes scolaires rencontrent des problèmes de divers ordres. D’abord des problèmes d’accès : bien que les taux de scolarisation officiels oscillent entre 50 % et 90 %, l’UNESCO rappelle que l’Afrique subsaharienne demeure la région où l’exclusion éducative est la plus forte. Sur les 236 millions d’enfants et de jeunes non scolarisés dans le monde, près du quart se trouvent en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, soit environ 57 millions.
Viennent ensuite les problèmes de rendement :
- au primaire, un enfant sur trois n’achève pas le cycle ;
- dans le secondaire, seuls 41 % achèvent le premier cycle, et 23 % le second ;
- à dix ans, près de 87 % des élèves ne savent pas lire ni comprendre un texte simple (UNICEF, Transformer l’éducation en Afrique, 2020).
À cela s’ajoute la question de la qualité : infrastructures insuffisantes, manque d’enseignants qualifiés, équipements inadaptés. L’Afrique devra recruter 17 millions d’enseignants supplémentaires d’ici 2030 pour espérer une éducation universelle (UNICEF).
Enfin, les inégalités persistent : selon le PASEC 2019, les écarts de performances entre élèves et entre écoles s’accentuent, et les filles demeurent désavantagées.
Pourtant, l’Église, qui a été à l’origine de l’implantation de l’école sur le continent, demeure un acteur majeur de l’éducation. C’est pourquoi, même absente physiquement de Rome, je souhaite confier mes attentes à ceux qui s’y rendront.
Ces attentes se résument en une phrase : l’Église peut contribuer à faire sortir les systèmes éducatifs africains du désastre où ils se trouvent.
Cette conviction repose sur trois raisons essentielles :
- L’Église porte une pensée pédagogique centrée sur les plus pauvres, et peut parler avec autorité au nom de l’équité entre les élèves et les établissements.
- L’Église promeut une éducation intégrale, qui forme la personne sur les plans intellectuel, professionnel et spirituel.
- L’Église est libre, moins dépendante des pouvoirs politiques et des subventions étatiques, donc capable d’innover et de proposer de nouveaux dispositifs éducatifs.
Mon assurance est confortée par les mots du Cardinal Pietro Parolin :
« Dans son engagement pour l’édification d’une société juste et pacifique, l’université catholique […] se distingue par sa libre recherche de toute la vérité relative au monde, à l’homme et à Dieu. Notre époque a un urgent besoin de cette forme de service désintéressé qui consiste à proclamer le sens de la vérité, valeur fondamentale sans laquelle la liberté, la justice et la dignité de l’homme sont étouffées. »
Ainsi, parce que l’Église veut transmettre à ses élèves des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, elle doit proposer des dispositifs pédagogiques inspirés à la fois des valeurs universelles et des cultures africaines, notamment la solidarité et la communauté.
En Afrique, les administrations catholiques peuvent se libérer du système des subventions étatiques et s’appuyer sur la solidarité internationale de l’Église pour oser des réformes audacieuses. Face au désastre du système éducatif public, l’enseignement confessionnel catholique apparaît comme le plus à même de proposer des innovations profondes et libératrices.
Je souhaite que les acteurs catholiques réunis à Rome portent haut le concept d’Église-famille de Dieu, dans une pédagogie fondée sur la relation humaine, vécue comme lieu de construction personnelle et communautaire — une pédagogie trinitaire où chacun peut dire : « Je suis unique, mais je ne deviens moi que par l’autre. »
Certes, l’Église n’est pas exempte de fautes. Les abus et maltraitances commis par certains éducateurs catholiques doivent être reconnus, regrettés et réparés. Mais ces dérives, aussi graves soient-elles, ne doivent pas faire oublier la lumière de Dieu qui continue de rayonner à travers les éducateurs sincères.
Comme le dit Saint Paul : « Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin qu’il soit manifeste que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous. » (2 Corinthiens 4, 6-7).
Ainsi, éducateurs catholiques, clercs ou laïcs, nous sommes à la fois fragiles et porteurs de lumière. Cette lumière peut, encore aujourd’hui, guider les peuples africains vers une nouvelle civilisation éducative, fondée sur la vérité, la justice, la solidarité et la foi.
Que cette année jubilaire marque une étape importante vers ce projet qui, en définitive, ne nous appartient pas, mais au Christ Éducateur.
Lomé, le 21 octobre 2025
Maryse Adjo Mawutowou Quashie

