Tribune libre -Encore Kozah 1 et toujours: la Cour suprême face à son serment

Dans une tribune au ton grave, le sociologue Essodina E. interpelle la Cour suprême sur le scrutin municipal controversé de Kozah 1, qu’il qualifie de « symbole de la force contre le droit ». Dénonçant la violation flagrante d’un décret présidentiel et l’inaction des autorités locales, il appelle la plus haute juridiction du pays à rétablir la légalité républicaine et à « se souvenir de son serment ». Pour lui, l’enjeu dépasse une simple élection : c’est la crédibilité de la justice et la dignité de la République qui sont en jeu. Lecture.

Encore Kozah 1 et toujours: la Cour suprême face à son serment

Je prends la parole en tant que citoyen togolais épris de justice, à qui la loi reconnaît le droit de former un recours en annulation de l’élection du maire et des adjoints. L’article 127 de la loi n°2019-006 modifiée est clair :

« Un recours en annulation peut être introduit contre l’élection du maire et des adjoints devant la juridiction compétente par un conseiller municipal ou un citoyen de la commune… » Au lieu d’un recours, je préfère prendre ma plume. Car la Cour est déjà saisie par le conseiller municipal lui même.

Ce qui s’est produit dans la commune de Kozah 1 dépasse donc le simple cadre d’une élection municipale. C’est l’image même de l’État de droit qui vacille, et avec elle, la confiance des citoyens dans la justice de leur pays. C’est pourquoi j’ai pris la plume.

Le scrutin du 16 octobre 2025, consacré à l’élection du maire et de ses adjoints, aurait dû être une formalité démocratique. Il s’est transformé en un symbole de la force contre le droit.

Car la loi est sans ambiguïté. Le décret n°2019-087/PR du 17 juin 2019, signé par le président de la République aujourd’hui président du Conseil, dispose que lorsqu’une commune compte plus de deux adjoints, l’un d’eux doit obligatoirement être issu d’une sensibilité différente de celle de la majorité municipale.

A Kozah 1, cette disposition n’a pas été respectée. Les trois adjoints élus appartiennent au même parti, en violation flagrante du texte. Et ce n’est pas une première. En 2019 déjà, pour éviter l’application de cette règle, les autorités locales avaient préféré laisser le poste vacant pendant tout un mandat plutôt que de permettre à l’opposition d’exercer son droit légitime.

Cette obstination à contourner la loi est devenue une marque de fabrique, une sorte d’arrogance institutionnelle. Ce qui choque, ce n’est pas seulement la répétition de la faute, mais la désinvolture avec laquelle on foule aux pieds un décret présidentiel.
Comment peut-on, dans un État républicain, refuser d’appliquer un texte signé par le chef de l’État lui-même, sous prétexte que le rapport de force politique le permet ?
C’est toute la philosophie de la décentralisation qui s’effondre : celle d’un pouvoir partagé, d’un pluralisme assumé, d’une démocratie de proximité.

Le préfet, en tant qu’autorité de tutelle, avait pourtant la mission d’assurer la régularité de cette élection. Il ne l’a pas fait comme son prédécesseur. Et ce silence administratif, cette inaction volontaire, portent atteinte à la crédibilité même du contrôle de légalité. Lorsqu’un représentant de l’État se tait face à une illégalité manifeste, il cesse d’être gardien de la loi pour devenir complice de sa violation.

Aujourd’hui, la Chambre administrative de la Cour suprême est saisie. Et c’est à elle désormais de restaurer l’ordre républicain. La nation attend d’elle un sursaut d’indépendance, une décision qui dise clairement que la loi n’est pas un décor politique qu’on ajuste selon les circonstances. Les juges ont entre leurs mains plus qu’un dossier : ils portent la responsabilité de réconcilier les citoyens avec la justice. Ils savent que l’histoire se souviendra davantage de leur courage que de leurs silences.

Certes, le contexte politique n’est pas simple. Les pressions existent, les lignes sont fragiles, et certains voudraient que ce recours soit , étouffé. Mais chaque recul face à une illégalité renforce l’idée que la justice n’est qu’un prolongement du pouvoir. Or, la République ne repose pas sur les rapports de force , elle repose sur le respect de la loi. Et c’est précisément ce respect qui fonde la légitimité de la Cour suprême.

Les partenaires du Togo, ceux qui accompagnent la décentralisation, tels que la GIZ, l’Union européenne ou l’ambassade d’Allemagne ne peuvent pas rester indifférents. Ce qui se joue à Kozah 1 n’est pas un conflit local, mais une question de principe : la décentralisation est-elle un instrument de gouvernance partagée ou un simple habillage démocratique d’un pouvoir centralisé ?
Si les bailleurs ferment les yeux sur des violations aussi flagrantes, ils deviennent, malgré eux, les complices silencieux de la régression démocratique.

La vérité est simple : la loi a été violée. Le préfet n’a pas exercé son devoir de tutelle. Le ministère n’a pas corrigé la faute. Et la commune va fonctionner, une fois encore, dans l’illégalité. Ce désordre ne peut être corrigé que par une institution qui se souvient de son serment : celui de rendre la justice au nom du peuple togolais.

L’arrêt que rendra la Cour suprême sera plus qu’une décision : ce sera un signal
Si elle annule cette élection, elle prouvera que le droit demeure le rempart ultime contre l’arbitraire.
Si elle la valide, elle consacrera la victoire du rapport de force sur la loi, et portera un coup sévère à la confiance des citoyens envers la justice.

Les yeux du pays, et au-delà sont tournés vers la Cour.
L’histoire jugera ses juges. Car au fond, ce qui est en cause à Kozah 1, ce n’est pas seulement une élection : c’est la dignité de la République.

Essodina E,
Sociologue

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