Traquer les internautes ne fera pas baisser le prix du pain

« Les gouvernements qui se conduisent le mieux sont ceux dont on parle le moins ». Jean-Jacques Rousseau, Émile. Cette phrase résume une vérité intemporelle : l’excellence d’un gouvernement réside dans son efficacité discrète, dans sa capacité à fonctionner si harmonieusement qu’il ne suscite ni peur ni polémique.

En matière de gouvernance, il existe une règle fondamentale : on reconnaît la solidité d’un État à la manière dont il hiérarchise ses priorités. Un État fort concentre son énergie sur la santé, l’éducation, la justice, la sécurité. Un État faible, lui, consacre ses efforts à défendre son image. C’est ce qu’on pourrait appeler la hiérarchie inversée des priorités.

Au lieu de protéger les citoyens, on protège le président. Au lieu de soigner les malades, on soigne la réputation du pouvoir. Et tout devient une question d’ego, non d’intérêt national.

Des exemples révélateurs : la Côte d’Ivoire et le Togo

Prenons des exemples récents. En Côte d’Ivoire, plusieurs vidéos circulent ces derniers jours sur les réseaux sociaux, montrant des citoyens insultant ou menaçant le président de la République, Alassane Ouattara. Comme on pouvait s’y attendre, le procureur de la République a réagi en lançant des avis de recherche et en promettant une récompense d’un million de francs CFA à toute personne susceptible d’aider à identifier les auteurs.

Certes, insulter un chef d’État est condamnable. Mais est-ce vraiment la menace la plus urgente pour la nation ?

Au Togo, un scénario similaire se dessine. Vendredi dernier, lors d’un point de presse dans un grand hôtel de Lomé, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lomé, Talaka Mawama, s’est livré au même exercice, dénonçant des « dérives numériques », brandissant des menaces à l’encontre des internautes indélicats. « Quiconque produira, reproduira, diffusera, publiera ou partagera un contenu en dehors du cadre légal sera l’objet de poursuites pénales sans compromis », a-t-il averti. Même ceux qui se contentent de commenter ou d’approuver (liker) une publication jugée illicite s’exposeraient à des poursuites.

Mais dans un pays où les jeunes peinent à trouver un emploi, où le coût de la vie explose, où la corruption gangrène les institutions, traquer les internautes est-elle une priorité nationale ?

Les États faibles confondent la critique avec la menace

Ce genre de réaction traduit une chose : les États faibles confondent la critique avec la menace. Ils croient que maintenir l’ordre, c’est faire taire le peuple. Mais en réalité, plus ils punissent la parole, plus ils fragilisent leur légitimité. Car un gouvernement fort ne cherche pas à se faire respecter par la peur, mais par les résultats.

Cette obsession de l’image vient d’une peur plus profonde : la peur du peuple qui pense, qui parle, qui ose critiquer. Or un peuple qui réfléchit est difficile à manipuler. Alors l’État faible préfère la diversion : il s’attaque aux « insultes » plutôt qu’aux « injustices ». Il pourchasse les « paroles insolentes », mais ferme les yeux sur les « détournements de fonds publics ».

La leçon est universelle : quand un État consacre plus de temps à punir qu’à construire, c’est qu’il a perdu le sens de sa mission. La vraie grandeur d’un pouvoir ne se mesure pas à sa capacité à se faire craindre, mais à sa capacité à servir sans craindre la critique.

Oui, les mots peuvent blesser. Mais dans une République, ce ne sont pas les mots qui détruisent une nation — ce sont les priorités mal placées.

À méditer.

One thought on “Traquer les internautes ne fera pas baisser le prix du pain

  1. La plupart des pays sous développés qui se sont construites ont une grand restriction sur les réseaux sociaux : UAE (Dubai), Rwanda, Chine, Corée, Russie. La liberté d’expression est sacrée… Permettez que l’utilisation des réseaux sociaux soit réglementée et disciplinée… Rien de politique. Aucun pays ne s’est construit dans la pagaille enseignée aux jeunes.

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