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Au cœur de la première micro-nation du Togo : immersion à la Principauté des Baobabs (Reportage)

Longtemps cantonnée à l’Europe et à l’Amérique du Nord, l’idée de micro-nation – ces « États » non reconnus qui fonctionnent pourtant comme de véritables communautés politiques – s’implante désormais en Afrique. Et le Togo abrite depuis trois ans déjà sa toute première : la Principauté des Baobabs. Située à une dizaine de kilomètres de Bolougan, dans la préfecture de Zio, elle cherche à la fois à cultiver un folklore assumé et à bâtir des projets sociaux très concrets.

Ce dimanche 7 décembre, nous avons été invités par le prince Max-Savi Carmel pour une immersion exclusive sur le site, situé à une dizaine de kilomètres du village de Bolougan, dans la préfecture de Zio (Tsévié). Après un trajet poussiéreux, s’ouvre soudain un décor inattendu : de larges espaces agricoles, des bâtiments en train de naître, un dispensaire presque finalisé, une chapelle, et les premières fondations de l’école dont la « prière symbolique » a été posée ce jour-là.

Le Prince nous accueille, souriant, et nous guide à travers les installations. « Avant, ici, c’était totalement vide. Tout ceci que vous voyez a été fait en un an. Nous avons un grand boulot ici », lâche-t-il en montrant les murs qui sortent de terre. À première vue, le sérieux est indiscutable : volailles, bovins, champs en aménagement… tout respire le travail méthodique et la volonté de bâtir quelque chose qui dure.

Les citoyens, pour la plupart Togolais et Béninois d’origine vivant dans la diaspora, se sont réunis pour l’occasion. L’ambiance était détendue, rythmée par des mets bio préparés sur place. Herman Agbékponou, ministre d’État de la Principauté, résume l’esprit du projet : « Ce que vous voyez ici dépasse la symbolique. Nous voulons prouver qu’une micro-nation peut produire du concret, avec rigueur et responsabilité ».

Au-delà du folklore qui nourrit son identité, la Principauté des Baobabs avance, pierre après pierre, vers son ambition : devenir un laboratoire social, agricole et communautaire au cœur du Togo rural.

Pour mieux comprendre cette micro-nation, ses ambitions et ses réalités, nous vous proposons l’entretien exclusif accordé par le prince Max-Savi Carmel.

Q : Prince, bonjour. Présentez-nous la Principauté des Baobabs. Qu’est-ce qu’une micro-nation et où vous situez-vous dans cet univers ?

Prince MAX-SAVI Carmel : Bonjour à vous. La Principauté des Baobabs est une micro-nation, c’est-à-dire un État qui n’est reconnu par aucun pays membre de l’ONU, mais qui fonctionne malgré tout comme un pays, avec ses structures, ses projets et sa communauté. Il en existe environ 400 dans le monde, dont une dizaine en Afrique. Nous faisons partie de cette dizaine.

Nous n’avons aucune intention d’être reconnus par le Togo ou par un autre État. Nous assumons un esprit folklorique et humoristique : nous aimons la fête, les rassemblements et la vie communautaire. Mais derrière ce côté ludique, nous menons des actions très sérieuses dans l’éducation, la santé, l’agriculture et l’écologie.

Q : Vous parlez de folklore, mais vous inaugurez une école. Vous êtes donc aussi dans le concret.

Prince MAX-SAVI Carmel : Tout à fait. Nous construisons un dispensaire situé à 3 ou 4 km d’ici, déjà presque terminé, une petite chapelle, et une école primaire à une centaine de mètres seulement. La plus proche école se trouve à 6 km, donc il était nécessaire de rapprocher l’éducation des populations locales.

Au-delà des infrastructures durables, nous menons des actions sociales : sensibilisation annuelle au glaucome (avec l’appui du Secrétariat Général de la Présidence du Conseil du Togo), campagnes sur le cancer du sein menées avec la commune du Golfe 5 et son maire Aboka Kossi, et cette année une grande campagne numérique.

Nous restons une micro-nation catholique, écologique et agricole, mais engagée dans des projets concrets.

Q : Quelle est la finalité d’une micro-nation comme la Principauté des Baobabs ?

Prince MAX-SAVI Carmel : Elle offre la possibilité de choisir symboliquement sa communauté de destin. Je suis d’origine béninoise et devenu français, mais si j’avais pu choisir, j’aurais peut-être opté pour la Palestine ou le Brésil.

La nationalité nous est imposée à la naissance. La Principauté des Baobabs permet à chacun de dire : « J’appartiens à la communauté que je choisis. »

De plus, notre petite échelle nous permet de tester des modèles. Chez nous, les soins de santé sont gratuits pour nos résidents, citoyens et ministres. L’école que nous construisons sera également gratuite. Si nous réussissons ces modèles, ils peuvent inspirer les États classiques, confrontés à des défis d’une toute autre dimension.

Q : Votre budget annuel est de 57 millions Digi-Data (équivalent de FCFA). Quels sont vos principaux axes de dépenses ?

Prince MAX-SAVI Carmel : Environ 40 % ont été consacrés aux constructions : dispensaire, chapelle, infrastructures. Près de 25 % ont permis de financer nos activités sociales. Et environ 10 % ont couvert la rémunération de nos ministres et secrétaires.

L’année prochaine sera placée sous le signe du sport. Les micro-nations ont leur propre instance sportive, l’équivalent de la FIFA, basée à Londres. Cette année, deux grandes compétitions ont eu lieu : l’équivalent des Jeux Olympiques au Canada et celui de la Coupe du Monde à Londres. Nous souhaitons participer aux prochaines éditions, sous l’impulsion de notre Ministre déléguée au Sport.

Q : Comment est structuré l’État de la Principauté des Baobabs ?

Prince MAX-SAVI Carmel : L’État se compose du Trône – que j’occupe -, d’un gouvernement dirigé par un Premier ministre, David Cudjoe Amekudzi, un journaliste remarquable, assisté de huit ministres.

Nous avons un Parlement dirigé par un prêtre, puisque nous sommes une micro-nation catholique. Nous avons également une Chambre agricole gérée par un agriculteur local, ainsi qu’une Grande Chancellerie, comme dans tout pays qui se respecte, des Conseillers d’État, qui sont comme des cardinaux.  Ils accompagnent le Prince.

La Principauté dispose aussi de 19 ambassades à travers le monde : Côte d’Ivoire, Cameroun, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, France, États-Unis… Un ambassadeur au Canada sera nommé prochainement.

Nous comptons environ 200 citoyens répartis dans le monde.

Q : Vous avez également des emblèmes, une monnaie et un passeport.

Prince MAX-SAVI Carmel : Oui. Nos armoiries portent une carte du Togo, symbolisant notre attachement à ce pays. Elles affichent aussi une vache (élevage), une houe (agriculture) et un coupe-coupe (travail de la terre). Nous avons un hymne.

Nous avons une monnaie, le Digi-Data, équivalente au franc CFA. À l’entrée de la Principauté, les visiteurs échangent leurs francs CFA contre des Digi-Data pour acheter nos produits : repas, poulets, canards, moutons, etc. Ici, on n’utilise pas le franc CFA.

Nous avons également un passeport, que j’utilise dans mes déplacements aux côtés de mon passeport français.

Q : Quelle est l’étendue de votre territoire ?

Prince MAX-SAVI Carmel : La Principauté des Baobabs couvre 27 hectares répartis sur trois sites. Le site où nous nous trouvons est le palais — mes résidences y seront construites plus tard. Nous avons une cité, et un site agricole de 20 hectares où nous cultivons patates douces, ignames, manioc, maïs, soja, riz…

Nos récoltes nourrissent nos animaux et sont vendues à des prix très accessibles aux populations togolaises.

Q : Quel est votre rôle en tant que Prince ?

Prince MAX-SAVI Carmel : Je suis un Prince symbolique, avec peu de pouvoir exécutif. Le pouvoir est entre les mains de notre Premier ministre.

Mon rôle est d’incarner la Principauté des Baobabs à l’international. Cette année, j’ai effectué 11 visites d’État ; l’année prochaine, j’en prévois 19. L’objectif est de renforcer nos liens avec d’autres micro-nations en Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique, et de développer des partenariats.

Par exemple, le podium derrière nous a été construit grâce au soutien d’une micro-nation étrangère. Notre future école bénéficiera de l’appui du Grand-Duc de Flandresis, Nicolas de Flandresis. Et la construction de notre hôpital, initiée avec un soutien italien, reprendra l’année prochaine.

Q : Quelle est votre relation avec l’État togolais ?

Prince MAX-SAVI Carmel : Le Togo est notre matrice. Nous ne sommes qu’un tout petit coin du territoire togolais. Lorsqu’on devient Baobabien, on s’engage à rester loyal au Togo.

Le Togo ne nous reconnaît pas officiellement – comme aucun État ne reconnaît les micro-nations – mais il nous accorde de l’attention.

Chaque fois que nous sollicitons les autorités togolaises ou des sociétés d’État pour des actions de santé, d’éducation, de culture ou de sport, nous recevons leur soutien. Par exemple : le Secrétariat de la Présidence du Conseil du Togo ou la LONATO nous ont aidés pour des campagnes de sensibilisation au glaucome.

Q : Qui peut devenir citoyen de la Principauté des Baobabs ?

Prince MAX-SAVI Carmel : Tout le monde. Il suffit d’écrire au Premier ministre. Quelques jours plus tard, on devient citoyen. C’est une citoyenneté symbolique, ouverte à tous.

Q : Vous préparez aussi la publication d’un livre en hommage à Mgr Barrigah.

Prince MAX-SAVI Carmel : Oui. Mgr Nicodème Barrigah, ancien archevêque de Lomé, paix à son âme, a largement soutenu la Principauté des Baobabs. Il trouvait l’idée formidable.

Nous avons écrit avec lui un très beau livre qui sera publié avant la fin de l’année. C’est notre manière d’honorer un homme exceptionnel et d’inviter les Togolais à reconnaître son impact spirituel et humain.

Merci.

A propos du Prince MAX-SAVI Carmel

Journaliste d’investigation et enseignant formé à l’Ecole supérieure de Journalisme (ESJ-Paris) où il a décroché un Master professionnalisant, Carmel a fait aussi un Master en communication et relations publiques ainsi qu’une licence en philosophie et une maitrise de Lettres modernes. Il collabore à plusieurs médias notamment African Business, African Banker et NewAfrican du Groupe IC Publications ainsi qu’à plusieurs médias catholiques dont Aleteia. Spécialiste des questions religieuses, il forme dans le cadre de Afrika Stratégies France dont il est le rédacteur en chef, des journalistes dans plusieurs pays africains.

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