Togo- “Attentat” de Sarakawa : Une commémoration dans la contradiction qui interroge

Chaque 24 janvier, le Togo commémore l’attentat de Sarakawa, un événement tragique de son histoire politique. Ce jour rappelle l’accident d’avion survenu en 1974 dans le nord du pays, qui a failli coûter la vie au président Gnassingbé Eyadéma. Selon les récits historiques, cet incident, officiellement présenté comme un attentat, serait dû à une explosion suspecte à bord de l’avion présidentiel, causant la mort de plusieurs compagnons du chef de l’État. Bien que les causes exactes de l’accident restent floues, cet événement a marqué un tournant dans le régime d’Eyadéma, renforçant son image de « chef providentiel » et alimentant un récit de résilience politique.

Cependant, à l’analyse, cette commémoration soulève des interrogations profondes sur sa pertinence, son impact sur l’unité nationale et la gestion des ressources, notamment les phosphates, qui constituaient un enjeu central à l’époque.

La commémoration de l’attentat de Sarakawa devrait, en théorie, être un moment de réflexion nationale, rappelant les épreuves traversées par le Togo et les leçons à en tirer pour renforcer son unité et sa souveraineté. Pourtant, le contraste entre la symbolique de cet événement et la réalité socio-économique du pays laisse perplexe.

Le phosphate, ressource minière stratégique et pierre angulaire de l’économie togolaise, reste au cœur des débats. Dans les années 1970, le président Eyadéma avait fait de cette richesse un symbole de souveraineté en nationalisant l’Office togolais des phosphates (OTP). Cette décision visait à garantir que cette ressource profite avant tout au développement national. Cependant, selon l’histoire enseignée, cette nationalisation a été perçue comme un geste provocateur, attirant des tensions internes et externes.

Aujourd’hui, le paradoxe est flagrant. Cette vision de souveraineté semble avoir été trahie. Les richesses minières continuent d’être bradées par des accords opaques avec des entreprises étrangères, laissant la population togolaise en marge des bénéfices. Ironiquement, ceux qui célèbrent Sarakawa, sont les mêmes qui, par leur gestion contestée, sapent les idéaux qu’Eyadéma prétendait défendre. Si le président défunt pouvait observer cet état de fait, il aurait sans doute regretté de voir son combat pour la souveraineté vidé de son essence.

Une commémoration dans la division

L’un des aspects les plus critiqués de cette commémoration est son caractère partisan. L’événement donne l’impression de ne concerner qu’une frange du pouvoir en place, excluant de fait une partie significative de la population et des acteurs politiques. Dans un pays où l’histoire est marquée par des tensions politiques et sociales, une telle célébration devrait transcender les clivages pour devenir un symbole d’unité nationale.

Le refus d’associer les leaders de l’opposition, y compris le chef de file de l’opposition(à polémique), à cette commémoration est révélateur. En n’envoyant pas d’invitations officielles aux figures politiques de tous bords, le pouvoir transforme un événement qui pourrait être fédérateur en une affaire de pouvoir. Ce manque d’inclusion affaiblit la portée symbolique de la commémoration et renforce le sentiment qu’il s’agit davantage d’une célébration d’un régime que d’un fait historique national.

Par ailleurs, l’injustice mémorielle envers Sylvanus Olympio, premier président de l’indépendance, renforce la fracture dans l’interprétation de l’histoire nationale. Si Sarakawa est célébré chaque année avec faste, le 13 janvier, jour de l’assassinat d’Olympio en 1963, reste marqué par une absence de reconnaissance officielle. Cette inégalité dans le traitement des figures historiques donne l’impression que la mémoire nationale est instrumentalisée à des fins politiques, au détriment de la réconciliation et de la vérité historique.

Une nation qui aspire à la souveraineté et à la stabilité ne peut construire son avenir sur une mémoire fragmentée et partisane. Reconnaître les contributions et les sacrifices de toutes les figures historiques, y compris Olympio, serait un pas significatif vers une réconciliation authentique et une unité nationale durable.

Face à ces contradictions, deux options s’imposent. La première serait de mettre un terme à la commémoration de l’attentat de Sarakawa, à l’image de l’abandon de la propagande autour du 13 janvier sous le régime Eyadéma.
La seconde, plus ambitieuse, consisterait à transformer cet événement en une véritable occasion d’unité nationale. Cela impliquerait d’inclure toutes les forces politiques et sociales, de célébrer les figures historiques de manière équitable, et de rendre hommage à tous ceux qui ont perdu la vie dans la quête de la souveraineté togolaise.

Dans un contexte où le panafricanisme émerge comme un moteur de réveil des peuples, la commémoration de Sarakawa dans sa quintessence ne peut plus être un outil de division ou une vitrine politique. Elle doit devenir un symbole de mémoire partagée et d’engagement commun pour l’avenir du Togo. L’heure est venue pour le pouvoir en place de démontrer qu’il a tiré les leçons du passé, en s’inscrivant dans une dynamique de justice, d’inclusion et de respect des idéaux de ceux qui ont marqué l’histoire nationale.

Ricardo Agouzou

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