En ce 13 juillet 2025, jour marquant ses 70 ans, le Père Séverin Mawulolo GAKPE a livré une déclaration bouleversante sur la situation socio-politique du Togo. Dans un discours empreint de courage, de foi et d’indignation, le prêtre catholique dénonce les dérives du pouvoir, interpelle l’opposition, appelle au respect des lois et exhorte les gouvernants à écouter la voix du peuple. À travers ce cri du cœur d’un « togolais affamé », il invite à un sursaut de conscience, au nom de la dignité humaine, de la justice et de la paix. Lisez plutôt!
Déclaration du Père Séverin GAKPE sur la situation socio-politique au Togo
Déclaration d’un Togolais affamé
Aujourd’hui, 13 juillet 2025, je célèbre le jour anniversaire de mes 70 ans. À cette occasion, j’ai décidé de faire une déclaration sous forme de coup de gueule face à la situation socio-politique que nous vivons au Togo.
1/ Préliminaires
En guise de préliminaires, je précise que cette déclaration jaillit de mon cœur et de l’amour que j’ai pour ce pays, un amour hérité de l’amour fou de Dieu. Mon désir est de participer à la quête du bien pour mon peuple. Je me place dans la tradition des prophètes, plus particulièrement celle de Jérémie qui dénonçait le mal partout où il se trouvait, d’Élie face à Achab et à son épouse Jésabel, et de Jean-Baptiste qui osa dire à Hérode que prendre la femme de son frère était un acte mauvais. Ils furent persécutés. J’en suis conscient. Mais à 70 ans, on ne craint plus la mort, on s’y prépare.
Pour cette déclaration, je n’ai pas sollicité l’autorisation de mon Évêque. Mes propos n’engagent donc ni l’Église ni personne d’autre que moi. Mais je sais que Jésus qualifia Hérode de renard, alors qu’il était sans péché. Il traita les Pharisiens d’hypocrites, et cela ne lui fut pas compté comme péché.
On nous répète souvent que les prêtres ne doivent pas faire de politique. Ceux qui se réfugient derrière cette affirmation pour nous renvoyer dans nos sacristies n’ont rien compris : Ce que l’Église interdit aux prêtres, c’est de prendre la tête d’un parti politique ou de briguer des postes politiques. Mais nous avons le droit et le devoir de dénoncer le mal, partout où il se trouve. Beaucoup de ceux qui gèrent la chose publique ont été baptisés par nous. Ils sont donc nos fils et filles dans la foi. Et quel père ne donne pas des leçons à ses enfants ?
Je rappelle que nous sommes prêtres, mais pas idiots. Nombre de politiciens sont passés par le séminaire et savent l’importance que nous accordons à l’intellect. Ma thèse de doctorat, soutenue le 8 décembre 2003 au Centre Sèvres à Paris chez les Jésuites, porte sur l’autorité. Je me crois donc outillé pour apporter mon point de vue dans un domaine aussi confus et touffu que la politique mal vécue.
Je déclare solennellement que je ne suis ni pour ni contre personne. Je suis contre le mal et les forces de nuisance. Je suis du côté du bien, de la paix, de la justice. Je suis du côté de mon peuple, qui a faim : faim de pain, faim de justice, faim de paix. C’est dans ce sens que s’inscrit cette déclaration.
2/ La vie de la nation
Le Togo appartient à tous les Togolais ; pas seulement aux gouvernants, ni à l’opposition. Le Togo n’appartient pas non plus aux deux réunis. Il appartient à l’ensemble du peuple.
Il y avait une chanson que nous chantions autrefois : « Le Togo était un ballon que tout le monde jouait… ». Le Togo doit-il rester ce ballon que les gouvernants et l’opposition se renvoient ? Faudra-t-il que ces deux protagonistes continuent à se jouer des Togolais pour leurs intérêts égoïstes ? Le temps n’est-il pas venu de leur adresser un carton rouge ? N’oublions pas qu’ils ont des lieux de rencontre, leurs loges, où se prennent des décisions à notre insu. Cela doit cesser.
3/ Interpellation aux gouvernants
C’est vous qui détenez les clés de la vie du pays. Souffrez que je m’adresse à vous en premier lieu.
a/ Chers gouvernants, savez-vous que votre peuple a faim de pain et de paix ? Entendez-vous les gémissements de votre peuple ? Si ce n’est pas le cas, je vous annonce qu’il a faim, pendant que vous vous occupez de vos ventres et de vos bas-ventres. Comment pouvez-vous vous satisfaire de gouverner un peuple affamé, et tout faire pour le maintenir dans cet état ? Êtes-vous fiers de vous ? Êtes-vous fiers de l’état de votre peuple ? Les jeunes sortent de nos universités pour devenir conducteurs de taxi-motos. Ils sont aigris, insultent tout le monde sur la route, parce qu’ils cherchent à déverser leur colère. Et cela ne vous dit rien ?
b/ Gouverner, c’est prévoir, dit-on. Que prévoyez-vous pour ce peuple ? Quel bonheur pour lui ? Vous vous comportez plus comme des gardiens de cimetières que comme des porteurs d’espérance. Quel avenir pour le peuple, lorsque votre avenir à vous consiste à tout faire pour prolonger votre survie. Vous avez commis des actes répréhensibles, vous avez peur qu’on vous juge demain, et vous faites tout pour que ce demain n’arrive jamais. Vous avez peur de l’avenir de votre progéniture, et vous continuez d’amasser pour elle pendant que le véritable propriétaire des richesses du pays meurt de faim.
4/ Interpellation à l’opposition
Chers membres de l’opposition, quelle est la mission réelle d’une opposition digne de ce nom ? Il s’agit de dénoncer le mal que font les gouvernants, mais aussi de proposer un projet politique crédible pour le bonheur du peuple. Or, votre discours se résume trop souvent à dire que cette famille est au pouvoir depuis trop longtemps et qu’elle doit partir. Est-ce là un projet de gouvernement ? Ne voyez-vous pas que cette attitude encourage cette famille à s’accrocher au pouvoir ?
Par ailleurs, lorsque l’on vous donne des conseils, vous vous raidissez. Lorsque vous allez aux négociations sans réelle volonté d’ouverture, que pensez-vous obtenir de ceux qui détiennent la force ? Échec, bien sûr. Lorsque vous déposez des amendements en affirmant que tout doit passer, ne voyez-vous pas que vous jetez de l’huile sur le feu ? Mgr Barrigah ne vous a-t-il pas déjà reproché cela ? Qu’en avez-vous fait ?
5/ Les lois et leur respect
Dans une nation digne de ce nom, les lois doivent être respectées, sauf si elles sont iniques. Mais qui respecte quelle loi au Togo, à part la loi du plus fort ? Des jeunes sortent pour crier leur ras-le-bol, et on les tabasse sous prétexte qu’ils violent la loi. De quelle loi parle-t-on ? Savez-vous ce qu’est un soulèvement populaire ? Quelle loi le régit ?
En réalité, n’est-ce pas vous qui donnez l’exemple de la violation de la loi ? Des députés à mandat expiré prennent une décision qui engage gravement l’avenir du pays. Pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir attendu la nouvelle législature ? Qu’y avait-il d’aussi urgent ? On vous appelle à la retenue, et vous foncez. Vous violez ainsi la conscience du peuple que vous prétendez servir. Vous violez la loi, les jeunes violent la loi, et le peuple est violé en permanence. Et chacun sait que le viol laisse des traces psychologiques indélébiles.
Cela ne concerne pas que les gouvernants. Quand des juges faussent le jugement pour des intérêts personnels, est-ce sur ordre du président ? Quand un responsable abuse de sa fonction pour brimer les administrés, est-ce sur ordre du gouvernement ? Quand des chefs de partis ne rendent pas compte à leurs militants de la gestion des biens du parti, est-ce sur ordre des gouvernants ? Les maires de l’opposition peuvent-ils affirmer, la main sur le cœur, qu’ils gèrent leurs municipalités avec transparence ? Finalement, les gouvernants volent, l’opposition vole, et c’est le peuple, constamment volé, qui meurt de faim.
6/ Le courage politique
Faire de la politique, que l’on soit au pouvoir ou dans l’opposition, exige du courage. Craindre la mort dans ce contexte est une forme de lâcheté. Je sais que certaines personnes engagées ont élaboré des projets sincères pour le peuple, mais ont été menacées de mort. Le pape a récemment béatifié un jeune Congolais tué pour avoir refusé l’entrée de produits avariés sur le sol de son pays. En seriez-vous capables ? Le dossier de béatification de Julius Nyerere est en bonne voie. Pourrions-nous en dire autant chez nous ?
Un mot personnel au président :
Monsieur le Président, je vous en prie à genoux : vos conseillers ne sont ni Dieu le Père, ni l’Esprit Saint. Ne les écoutez pas toujours. Leurs conseils répondent souvent à leurs propres intérêts. Ils ont leurs ventres à remplir.
Oui, vous êtes un être humain capable de commettre des erreurs. Éclairez votre conscience à la lumière de votre foi. Laissez l’Esprit Saint vous guider. Écoutez-le, je vous en supplie. Vous savez ce que je dis. Il n’est pas normal qu’un autre vienne réparer ce que vous aviez vous-même envisagé de corriger. À bon entendeur, demi-mot suffit.
Ceux qui vous entourent seront en colère contre moi. Mais j’ai 70 ans aujourd’hui, et, je le répète, à 70 ans, on ne craint plus la mort, on s’y prépare.
7/ Les appels des Évêques
Cette déclaration s’inscrit dans la lignée des appels des Évêques du Togo. Avant d’être prêtre, je suis chrétien, et j’ai mal lorsque les Évêques lancent des alertes qui sont ignorées.
Les prêtres ont accès à la conscience des gens. On nous fait confiance et on nous confie des choses. Nous sommes les dépotoirs de la douleur silencieuse d’affamés et de frustrés de tous bords. Nous savons ce que vivent les gens, dans le silence de leur cœur. Sans trahir les secrets, nous vous mettons en garde. Ne vous obstinez pas.
Je vous invite à relire les appels des Évêques et à observer les conséquences de leur rejet. Lorsque les vrais prophètes parlent au nom de Dieu, ceux qui ne les écoutent pas en porteront les conséquences.
8/ Un dernier appel
Mon coup de gueule est un cri du cœur pour mon peuple. Gouvernement et opposition, cessez de nous mener en bateau. Cessez de faire passer vos intérêts mesquins avant le bien commun. Vous tracez des sillons trop profonds sur le dos déjà meurtri du peuple.
Nous avons faim de pain. Nous avons faim de paix. Nous voulons vivre. Vivre enfin. Et me revient ce chant d’Alpha Blondy à un moment clé de l’histoire de la Côte d’Ivoire : « Houphouët, Gbagbo, attendez-vous ».
Que cet appel soit entendu, et que la vie soit. Que le bonheur vienne, mais surtout la paix. C’est le cadeau que je demande pour le peuple togolais en ce 70e anniversaire de ma naissance dans un pauvre petit village, encore pauvre aujourd’hui.
Nous avons faim. Permettez-nous de manger à notre faim. C’est tout ce que nous demandons. Et je crois que nous avons le droit de le dire : on ne peut frapper un enfant et l’empêcher de pleurer. Donnez-nous pain et paix.
Et que « L’Éternel bénisse le Togo et, de ses enfants, les conducteurs… »
Séverin Mawulolo GAKPE
Togolais affamé de pain et de paix
Prêtre de Jésus-Christ à Lomé, Togo
Je suis que que Reverend Père s’est souvent trouvé dans des situations où les paroissiens vulnérables ne sont 0as tous servis satisfaits du minimum vital, faute de ressources… Cela se passerait dans une paroisse où le curé a toutes les décisions y compris ne pas demander l’autorisation de son évêque. Souffrez que c’est la même situation dans la gouvernance d’un pays… Les ressources sont limitées. Ne croyons pas que nous sommes plus intelligents que nos gouvernants… C’est vrai que certains d’entre eux s’en mettent plein la poche… Abandonnons nos propos négationnistes pour des suggestions plus inclusives et positives… Dieu est Grand.