Togo-France : La fin d’un amour toxique ou une simple crise passagère ?

Pendant près de six décennies, la relation entre la France et le Togo a ressemblé à un mariage arrangé : forgée sur des intérêts géopolitiques, nourrie de silences complices et cimentée par la realpolitik. Mais à l’heure où la jeunesse togolaise se mobilise contre un régime jugé autoritaire, une question s’impose : la France va-t-elle enfin tourner la page de son soutien à la dictature au Togo ?

Une alliance historique au goût amer

Depuis 1967, une même famille politique règne sur le Togo. De père en fils, le pouvoir s’est transmis sans réelle alternance démocratique. Et à chaque étape, Paris a choisi de fermer les yeux, ou pire, d’applaudir discrètement. La coopération militaire, les projets économiques conjoints et les intérêts stratégiques – notamment autour du port maritime – ont toujours primé sur les droits humains.

La France, puissance ancienne coloniale, s’est positionnée comme un partenaire indispensable, parfois même comme un tuteur discret. Cette proximité n’a jamais été fondamentalement remise en cause par aucun gouvernement français, quelles que soient les alternances politiques à Paris.

Des tensions récentes sur fond de réalignement géopolitique

En 2024, des signes de rupture apparaissent. Le Togo manifeste une volonté de se rapprocher de certains pays du Sahel désormais hostiles à la présence française, et envisage même de rejoindre une alliance régionale concurrente. Cette posture alimente les tensions diplomatiques et fait craindre à Paris une nouvelle perte d’influence en Afrique de l’Ouest.

Face à ce risque, une tentative de rapprochement a lieu lors d’un sommet international à Paris. Officiellement dédié à des questions environnementales, ce sommet sert de prétexte à des entretiens diplomatiques discrets visant à éviter un basculement du Togo vers une sphère d’influence rivale.

Répression intérieure et silence international

En juin 2025, une série de manifestations populaires secoue les principales villes togolaises. Ces mobilisations, essentiellement menées par une jeunesse sans affiliation politique, réclament la fin du régime en place. La réponse des autorités est brutale : plusieurs morts, des disparitions, des arrestations massives. Les ONG de défense des droits humains évoquent des cas de torture et des violations systématiques des libertés fondamentales.

Malgré l’ampleur des événements, la réaction de la France est quasi inexistante. Aucun soutien explicite aux manifestants. Aucun rappel de coopération. Paris se contente d’un communiqué diplomatique standard appelant au « dialogue inclusif » et à « la liberté de la presse », sans condamner la répression ni remettre en cause le partenariat stratégique entre les deux pays.

Une désinformation soigneusement orchestrée

En parallèle, des campagnes de désinformation émergent sur les réseaux sociaux. Des contenus générés par intelligence artificielle cherchent à faire croire que la France serait à l’origine de la révolte populaire. Ces tactiques visent à discréditer les manifestants en les présentant comme manipulés par une puissance étrangère, tout en entretenant un climat de confusion au sein de l’opinion publique.

Ce double jeu reflète la stratégie de certaines autorités en place : se présenter à la fois comme victime de l’ingérence occidentale et comme rempart contre l’instabilité régionale. Cette posture leur permet de justifier la répression interne tout en maintenant un soutien extérieur tacite.

Une relation utilitaire plus qu’idéologique

La France ne rompt pas avec le régime en place. Elle maintient ses partenariats économiques, notamment dans les secteurs de l’identification numérique, des infrastructures et de la sécurité. Plusieurs entreprises françaises opèrent encore dans le pays, consolidant une présence historique aux retombées financières non négligeables.

Cette inertie s’explique par la volonté de préserver les derniers bastions de l’influence française en Afrique francophone. Après les pertes successives d’alliances au Mali, au Burkina Faso et au Niger, Paris redoute de voir un autre partenaire basculer dans le camp adverse.

La jeunesse togolaise en rupture avec l’ancien monde

Mais la nouvelle génération, connectée, instruite et audacieuse, ne veut plus de cette connivence entre les anciennes puissances et les régimes autoritaires. Elle ne demande ni assistance militaire, ni médiation étrangère. Elle réclame simplement le respect des droits fondamentaux, la fin de la répression et la possibilité de construire un avenir libre.

Cette mobilisation s’ancre dans une conscience politique nouvelle : celle d’un peuple qui comprend désormais que le changement ne viendra ni de Paris, ni d’aucune autre capitale étrangère, mais de son propre sursaut collectif.

Une occasion manquée pour Paris ?

En ne prenant pas clairement position, la France risque de perdre à la fois la confiance des peuples africains et sa crédibilité internationale en matière de droits humains. Son silence face à une transition constitutionnelle controversée, à la suppression de l’élection présidentielle, et aux violences policières, alimente l’image d’une ancienne puissance coloniale accrochée à ses privilèges d’un autre temps.

Plus encore, en recevant avec tous les honneurs certains responsables politiques togolais au moment même où la population souffre et manifeste, Paris envoie un signal déroutant : l’ordre, même injuste, reste préférable à l’inconnu.


Conclusion

Alors que le Togo vit peut-être l’un des moments les plus décisifs de son histoire contemporaine, la France semble hésiter entre ses intérêts stratégiques et ses idéaux proclamés. Ce silence, cette passivité, voire cette complicité silencieuse, posent une question majeure à la conscience politique africaine et européenne :

La France est-elle encore capable de rompre avec la logique de domination héritée de la colonisation ou choisira-t-elle, encore une fois, la stabilité autoritaire plutôt que le risque démocratique ?

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