COVID-19 : les vérités de Didier Ekouevi sur les ratés, les défis et les espoirs au Togo (Interview)

Dans un entretien accordé à SciDev.Net, Prof. Didier Koumavi Ekouevi, directeur du Centre de formation et de recherche en santé publique (CFRSP) de l’Université de Lomé et ancien président du Conseil scientifique national, revient sur les grands enseignements de la pandémie de COVID-19 au Togo. Auteur de l’ouvrage “Au front : regards croisés sur la lutte contre la COVID-19 au Togo”, il retrace l’expérience togolaise, salue l’engagement des acteurs de terrain, et appelle à renforcer la souveraineté sanitaire à travers une meilleure préparation, une gouvernance éclairée et une mobilisation des savoirs locaux. Bonne lecture.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire votre ouvrage intitulé : “Au front : regards croisés sur la lutte contre la COVID-19 au Togo” ?

Didier Koumavi Ekouevi: Ce livre est né d’un besoin de mémoire, de transmission et d’analyse. J’ai voulu répondre à quatre objectifs essentiels. Premièrement, rendre hommage aux victimes de la pandémie et à leurs familles. Trop de vies ont été emportées (290 décès au Togo), et dans bien des cas, les familles n’ont pas pu faire leur deuil dans des conditions dignes. Ce livre leur est dédié, pour ne pas oublier l’impact humain de cette crise.

Deuxièmement, documenter une expérience unique. La pandémie a été mondiale, mais chaque pays a dû y faire face à sa manière et selon ses spécificités. Au Togo, avec des ressources limitées, nous avons dû innover. Il me semblait important de garder une trace de ce que nous avons vécu, des décisions prises, des défis rencontrés, et des leçons apprises.

Troisièmement, apporter une réflexion scientifique et critique sur notre réponse à la pandémie, en tant qu’épidémiologiste et membre du Conseil scientifique national. Enfin, préparer l’avenir. La pandémie a révélé la vulnérabilité de notre système de santé. Il faut en tirer des enseignements pour mieux anticiper les crises futures.

Vous avez présidé le Conseil scientifique national pendant la crise. Quelle était la mission de ce Conseil ?

Didier Koumavi Ekouevi: Le Conseil scientifique, mis en place par le président de la République, avait pour mission principale d’aider à la prise de décisions par le gouvernement en matière de gestion de la pandémie. Il était composé d’experts de différentes disciplines (épidémiologie, santé publique, virologie, maladies infectieuses etc.), et avait un rôle consultatif.

Nos avis n’étaient pas contraignants pour le gouvernement, mais ils ont souvent permis d’orienter des décisions importantes dans un contexte où l’incertitude était forte.

Concrètement, comment fonctionnait le Conseil scientifique ?

Didier Koumavi Ekouevi: Notre fonctionnement était basé sur une réflexion collégiale. Nous nous réunissions régulièrement, notamment lors des moments critiques : fermeture ou réouverture des frontières, reprise des cours, adaptation des mesures barrières. Pour chaque sujet, nous nous appuyions sur les données scientifiques disponibles, les recommandations de l’OMS, les expériences d’autres pays, mais aussi la réalité locale.

L’objectif était de formuler des recommandations claires, contextualisées et basées sur des arguments solides, en tenant compte des impacts sanitaires, économiques, sociaux et éducatifs.

Le Conseil scientifique est-il encore actif aujourd’hui ?

Didier Koumavi Ekouevi: Non, le Conseil scientifique mis en place pendant la pandémie n’a pas été officiellement dissous, mais il est actuellement en veille depuis la fin de la phase aiguë de la crise sanitaire. Il peut être réactivé si nécessaire, mais il ne fonctionne plus de manière active.

Dans certains pays, comme la France, ce type d’organe a été institutionnalisé. En août 2022, la France a ainsi créé le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS), qui a succédé au Conseil scientifique COVID-19. Ce comité a pour missions principales : de surveiller les risques sanitaires émergents, de modéliser les données afin de produire des projections et scénarios, d’émettre des recommandations sur les mesures à adopter face aux menaces sanitaires et de conseiller sur les stratégies vaccinales à mettre en œuvre.

Pensez-vous qu’il serait utile de disposer d’un Conseil scientifique permanent au Togo ?

Didier Koumavi Ekouevi: À mon avis, oui, mais pas nécessairement sous la forme d’un Conseil permanent actif en continu. Il s’agirait plutôt de renforcer les institutions existantes, comme le Centre des opérations d’urgence en santé publique (COUSP), qui pilote actuellement les réponses aux épidémies.

Ce qu’il nous faut, c’est une structure nationale agile, multidisciplinaire et réactive, capable de mobiliser rapidement les expertises scientifiques lorsque la situation l’exige. La pandémie a clairement montré l’importance de croiser les regards scientifiques, médicaux, sociaux et économiques pour anticiper et gérer efficacement les urgences sanitaires.

C’est dans cette logique qu’une réflexion est en cours autour de la création d’un Institut national de santé publique. Cet institut aurait vocation à fédérer les différentes compétences existantes au sein des structures nationales, et à jouer un rôle central dans la coordination et la préparation aux crises sanitaires.

Il ne s’agira pas seulement de mobiliser des experts en temps de crise, mais aussi d’avoir une instance capable d’éclairer les décisions sur la base de données scientifiques solides. Cela est d’autant plus crucial que nous savons que d’autres pandémies ou menaces sanitaires émergeront à l’avenir, et que nous devons être mieux préparés pour y faire face.

Enfin, quelles leçons tirez-vous de cette expérience ?

Didier Koumavi Ekouevi: Plusieurs leçons majeures émergent de cette crise. D’abord, la science a joué un rôle central dans la gestion de la pandémie. Le Conseil scientifique, bien que consultatif, a permis de structurer une réponse fondée sur l’analyse, la concertation et l’éclairage pluridisciplinaire. Cette approche a été précieuse pour guider les décisions gouvernementales.

Ensuite, cette crise a mis en lumière l’importance de la communication et de la confiance entre les décideurs, les experts et la population. Une information claire, transparente et accessible est essentielle pour l’adhésion collective aux mesures de santé publique.

Par ailleurs, l’hésitation vaccinale que nous avons observée m’a profondément interpellé. Elle souligne le besoin urgent de réfléchir à des solutions africaines, y compris la production locale de vaccins. Cette pandémie m’a convaincu que l’Afrique doit renforcer sa souveraineté sanitaire et être capable de produire ses propres outils de prévention.

Une autre leçon concerne la collaboration avec les tradi-thérapeutes, encore insuffisamment structurée. Cette coopération pourrait être mieux organisée et intégrée aux stratégies nationales, en particulier pour améliorer l’adhésion communautaire.

Enfin, certaines décisions prises dans l’urgence, bien que justifiées par le principe de précaution, méritent d’être réévaluées. Je pense notamment à la gestion des décès, qui a été une expérience difficile, parfois déshumanisante pour les familles. Cela révèle les limites d’une réponse fondée uniquement sur la peur du risque, au détriment d’une approche humaine. Ces aspects doivent être sérieusement pris en compte pour les crises futures.

Source: scidev.net

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *