Depuis l’adoption de la nouvelle Constitution et le passage au régime parlementaire, les Togolais restent suspendus à des promesses encore floues, tandis que les défis politiques et sociaux s’accumulent.
Le Togo reste sans gouvernement depuis trois mois, après la démission de l’ancien exécutif à la veille de la prise de fonction de Faure Essozimna Gnassingbé, premier président du conseil des ministres depuis le 3 mai. Ce vide politique intervient dans le sillage du passage au régime parlementaire entamé le 6 mai 2025, après une transition d’un an. La nouvelle Constitution, adoptée en avril puis promulguée en mai 2024, a ouvert la voie à une Ve République contestée.
L’attente s’allonge et la patience des Togolais s’effrite. L’équipe sortante, chargée des affaires courantes, continue de gérer le pays, mais nombreux sont ceux qui dénoncent un flou persistant dans la gouvernance. « Cela fait plus de trois mois que nous n’avons pas de gouvernement officiellement constitué. Nous sommes toujours sous la direction d’un cabinet démissionnaire. Cette situation pose un réel problème, tant pour la gestion de l’État que pour celle des affaires publiques », souligne Dr Jean Emmanuel Gnagnon, président du Mouvement togolais pour la Restauration, qui milite pour le rétablissement de l’ancienne Constitution, modifiée en avril 2024. Il s’interroge également sur le contrôle exercé sur l’action du gouvernement provisoire, toujours en place en attendant la formation d’une nouvelle équipe. Selon lui, ce retard s’explique par ce qu’il qualifie de « pannes techniques » liées au passage du Togo à une Ve République.
« Je me demande quel organe est réellement chargé d’auditer ou d’évaluer l’action du gouvernement en ce moment. Est-ce l’Assemblée nationale, étant donné que nous sommes censés être sous un régime parlementaire ? À ce jour, aucun gouvernement ne s’est présenté devant l’Assemblée nationale pour exposer un programme susceptible d’être évalué. »
Pour une partie des Togolais, la période transitoire d’un an accordée par le pouvoir depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en avril 2024, destinée à installer les institutions de la VeRépublique, n’a pas suffi à préparer le terrain pour la formation d’un gouvernement stable. Selon eux, le pays n’était pas prêt pour ce changement de régime, faute de réelles concertations.
« Je crois que le parti au pouvoir s’est précipité en empruntant cette voie, cherchant avant tout à préserver ses acquis en maintenant son champion au pouvoir ad vitam æternam. Si l’ensemble des Togolais avaient accepté ce basculement politique, il serait aujourd’hui possible de former un gouvernement d’union nationale en quelques jours, dès la prise de fonction du président du conseil des ministres », analyse Komi Waklatsi, sociologue.
Un gouvernement d’unité nationale en ligne de mire ?
Les négociations pour constituer une nouvelle équipe gouvernementale se poursuivent au Togo, comme l’a récemment confirmé Gilbert Bawara, ministre de la Réforme du service public et proche de Faure Essozimna Gnassingbé, lors d’une émission télévisée. « Le gouvernement en formation sera le premier de la première législature de la Ve République », a-t-il assuré.
Mais malgré cette confiance affichée, une frange de l’opposition radicale, toujours opposée au passage du pays à un régime parlementaire, reste indifférente à ces évolutions. Ces opposants, qui réclament le retour à l’ancienne Constitution de 1992, amendée à plusieurs reprises, font de la formation d’un nouveau gouvernement leur dernier souci. « La Dynamique Monseigneur Kodzro (DMK) ne se préoccupe pas de cette formation gouvernementale issue de la Ve République. Nous ne reconnaissons pas les institutions nées de ce coup d’État constitutionnel. Nous restons dans la même logique et n’attendons rien d’un gouvernement issu d’une telle imposture, alors que la loi exige un référendum pour toute modification constitutionnelle », affirme Thomas Nsoukpoe, porte-parole de la DMK, coalition de partis d’opposition togolaise.
L’incertitude qui entoure la formation du nouveau gouvernement continue de nourrir les interrogations au sein de la population. Pourtant, les autorités togolaises tentent de rassurer, imputant ce retard à une volonté affichée de « l’homme fort du pays », qui, après avoir fait sauter les verrous de la limitation de mandat via ce passage au régime parlementaire, cherche à instaurer unité et cohésion nationales. « Comme il l’a toujours fait, Faure Gnassingbé veille à ce que le futur gouvernement reflète la diversité, la cohésion et l’unité de la société togolaise. C’est cela, selon moi, une véritable ouverture politique », affirme Gilbert Bawara.
Pour lui, le président du conseil des ministres a déjà montré sa capacité à s’ouvrir en nommant dix des vingt sénateurs issus de l’opposition, conformément à la constitution. Le Togo s’est doté d’un Sénat de 61 membres, dont 41 élus au suffrage indirect par les conseillers régionaux et municipaux, et 20 désignés par le président du conseil des ministres. Le pays évolue désormais vers un régime parlementaire bicaméral, où Sénat et Assemblée nationale partagent la mission de contrôle de l’action gouvernementale.
L’absence d’un gouvernement depuis trois mois suscite l’inquiétude de plusieurs observateurs politiques togolais, qui y voient une manœuvre délibérée. « Ce retard dans la formation du gouvernement est avant tout une stratégie politique. Ce n’est pas un simple blocage administratif ou technique, même si des rumeurs évoquent un nouveau président de la République réclamant sa part de portefeuilles avant de signer. Ce délai traduit un pouvoir qui cherche à gagner du temps, à étouffer la contestation et à verrouiller les postes clés sous son contrôle », analyse le politologue Madi Djabakaté.
Selon lui, l’opposition radicale togolaise serait en situation de dilemme : « Participer à un gouvernement d’union nationale sans garanties solides serait pour elle une trahison idéologique et une tentative de récupération par le pouvoir. »
Un mutisme des dirigeants qui ne passe plus
Aujourd’hui, les Togolais peinent à joindre les deux bouts, malgré une croissance moyenne de 6,1 % entre 2021 et 2023, selon la Banque mondiale. L’inflation galopante et les inégalités croissantes entre zones rurales et urbaines freinent les progrès dans la lutte contre la pauvreté.
Cette précarité nourrit une colère sociale palpable, qui a culminé lors des manifestations meurtrières de juin dernier, faisant un bilan toujours contesté par le pouvoir de sept morts et des dizaines de blessés, selon les ONG. Face à ces défis, la population attend des signaux forts des autorités.
Mais c’est le silence pesant du président du conseil des ministres qui désoriente et inquiète. Les mesures concrètes se font attendre, bloquées par le retard dans la formation du nouveau gouvernement. « Les activités tournent au ralenti au Togo car beaucoup attendent la formation d’un gouvernement capable de présenter un programme clair devant l’Assemblée nationale. Les autorités actuelles, aux affaires courantes, ne peuvent répondre à tous nos besoins socio-économiques », confie, sous couvert d’anonymat, un entrepreneur.
« Le président du conseil des ministres doit rassurer les Togolais, faire un bilan et expliquer ce retard », ajoute-t-il.
Malgré la victoire écrasante du parti au pouvoir aux municipales du 17 juillet, boycottées par une partie de la population avec un taux de participation d’environ 55 %, le chef du gouvernement peine à former sa nouvelle équipe. Il doit rapidement regagner la confiance d’une population marquée par la répression policière lors des dernières manifestations.
Source: lepoint.fr/afrique