Alors que les résultats définitifs des élections municipales du 17 juillet 2025 viennent de renvoyer les nouveaux élus communaux à leur fonction sur l’échelle nationale, une réalité persistante continue de s’imposer dans le paysage local togolais : l’incapacité chronique des mairies à faire appliquer leurs propres décisions. Dans les domaines cruciaux que sont la salubrité publique, la gestion des encombrements ou la régulation des stations de transport, l’absence d’un outil exécutif local, tel qu’une police municipale, laisse les conseils municipaux désarmés face à l’anarchie urbaine.
Pourtant, la loi n°2019-024 du 24 décembre 2019, instituant le Code général des collectivités territoriales, prévoit depuis bientôt 6 ans la possibilité pour les communes de créer une police municipale. Mais en l’absence du décret d’application nécessaire, cette disposition reste inopérante, laissant les élus locaux sans véritable levier pour faire respecter leurs décisions.
Cette carence juridique empêche les communes, même les plus volontaires, de recruter légalement des agents municipaux dotés d’un statut clair, d’un encadrement fonctionnel et d’une reconnaissance juridique nationale. En l’absence de décret d’application, les communes ne disposent d’aucune force exécutive légalement habilitée à faire respecter leurs décisions. Le résultat est sans appel : les arrêtés municipaux restent lettres mortes dans de nombreuses villes et les usagers n’en tiennent aucun compte, faute de sanction immédiate ou d’autorité habilitée à les imposer.
Les conséquences de cette paralysie réglementaire sont visibles au quotidien dans toutes les grandes communes du pays. Les trottoirs sont envahis par des étals anarchiques, les taxis-motos stationnent sans ordre, les rues sont obstruées par des activités commerciales sauvages, et les déchets ménagers s’accumulent dans les zones d’habitation faute de discipline collective. Même lorsque les municipalités tentent de mettre en place des brigades de salubrité ou des agents de sensibilisation, ceux-ci ne sont ni reconnus, ni écoutés, ni craints, car ils ne disposent d’aucun pouvoir légal.
Face à cette situation, les maires apparaissent désarmés. Le premier mandat des conseillers municipaux s’achève ainsi sur un constat général d’échec dans la lutte contre l’anarchie urbaine, non pas par manque d’initiatives, mais en raison de l’inadéquation entre les responsabilités conférées par la loi et les outils réels de mise en œuvre. Ce hiatus affaiblit la légitimité des élus locaux et nourrit un sentiment de défiance des populations à l’égard de l’autorité municipale.
Or, la création d’une véritable police municipale, encadrée par un décret clair, permettrait de professionnaliser la gestion des villes. Un tel service, composé d’agents formés, identifiés et rattachés au maire, viendrait renforcer l’autorité des communes sur leur territoire. Il offrirait aussi une réponse rapide et structurée aux infractions quotidiennes à l’ordre local, aujourd’hui banalisées.
L’instauration de ce corps permettrait également de clarifier les relations entre les autorités municipales et la police nationale. En effet, cette dernière, légitimement mobilisée sur les grandes missions de sécurité publique, ne peut être constamment sollicitée pour des infractions liées à la salubrité ou aux stationnements anarchiques. Une police municipale viendrait donc combler ce vide opérationnel en se concentrant sur les infractions de proximité qui affectent directement la qualité de vie des citoyens.
Par ailleurs, la mise en place d’un tel service constituerait une opportunité de création d’emplois décents à l’échelle locale. Elle permettrait le recrutement d’agents communaux spécialisés, tels que des inspecteurs de voirie, des surveillants de marchés ou encore des agents de circulation, tout en encadrant leur action dans un cadre légal précis.
Des exemples concrets ailleurs en Afrique démontrent l’efficacité de cette approche. Au Sénégal, au Bénin ou encore au Maroc, les polices municipales sont devenues des outils indispensables de gouvernance urbaine. À Dakar ou à Cotonou, les municipalités mènent régulièrement des opérations de déguerpissement, de régulation du transport urbain ou de surveillance des marchés grâce à des brigades locales dûment mandatées.
Dans ce contexte, le Togo, engagé dans un processus de décentralisation depuis 2019, ne peut rester en marge de cette dynamique. Il est urgent que le gouvernement prenne ses responsabilités en publiant sans délai le décret d’application attendu. Ce texte réglementaire donnerait enfin vie aux dispositions légales existantes et renforcerait l’efficacité des nouveaux exécutifs communaux à l’heure où ils prennent leurs fonctions.
Il ne suffit pas de confier des responsabilités aux communes. Il faut leur donner les instruments pour les exercer. La police municipale constitue à cet égard un levier fondamental. Son absence actuelle entrave gravement l’action des maires et encourage l’anarchie. Sa mise en place effective, par décret, renforcerait l’État de droit local et relancerait la gouvernance urbaine.
La décentralisation sans moyens coercitifs est une illusion. Le décret d’application n’est plus une option politique : il est devenu un impératif républicain.
Ricardo Agouzou