Cher camarade Président de la Diaspore Togolaise en Allemagne (DTA), Madame la Représentante du Mouvement du 6 juin (M66), Mesdames et Messieurs les Représentants des différents Mouvements et Associations, Chers compatriotes,
C’est pour moi un honneur et un grand plaisir que de me trouver ici à Berlin en Allemagne, aujourd’hui 4 octobre 2025, veille de la commémoration du 35ème anniversaire du soulèvement populaire du 5 octobre 1990, parmi mes compatriotes, et en compagnie de plusieurs camarades et amis, à qui tant de souvenirs nous unissent, pour cette manifestation.
Recevez le salut fraternel et patriotique des militants et sympathisants du Mouvement patriotique du 5 octobre (MO5) que j’ai le privilège de servir. Un Mouvement que vous connaissez bien, camarade Président de la DTA, Bassirou AYÉVA, puisque vous en êtes un membre co-fondateur et son ancien et tout premier Coordinateur Général.
Chers compatriotes,
Ce Rassemblement ici à Berlin, à des milliers de kilomètres de la terre de nos aïeux, témoigne bien de notre souci, de notre préoccupation pour le devenir du Togo. C’est la preuve que diverses circonstances peuvent “arracher un homme de son pays, mais qu’on ne peut jamais arracher l’idée de ce pays du cœur de l’homme “. Soyons-en fiers et dignes.
Chers compatriotes,
Notre pays le Togo vit un drame depuis bientôt six (6) décennies, un drame qui résulte principalement du cynisme d’un pouvoir de fait. Un pouvoir sanguinaire qui refuse toujours de répondre favorablement aux aspirations profondes et légitimes du peuple togolais. Aspirations exprimées avec bravoure le 5 octobre 1990.
Mais le Togo peut et doit renaître grâce au Courage et à la Détermination de ses enfants aussi bien de l’intérieur du pays que de la diaspora. Notre destin commun est entre nos mains, pour autant que nous sachions réagir à ce drame.
L’engagement cette année 2025 des patriotes, entre autres, du M66, Marguerite Gnakadé, Tchalla Essowè Aamron constitue un réel facteur d’espérance.
La flamme du 5 octobre 1990 ne doit pas s’éteindre !
Malheureusement l’amer constat est fait que beaucoup de nos compatriotes de la nouvelle génération méconnaissent l’événement du 5 octobre 1990 et le Mouvement issu de ce soulèvement populaire.
Cher camarade Président de la DTA,
Puisque vous m’avez fait l’honneur de me demander de faire l’historique du Mouvement, notre Mouvement, je le ferai avec beaucoup plus de raison que je fais humblement partie, tout comme toi, cher Bassirou, de ses membres co-fondateurs.
Nous nous sommes inspirés des publications du doyen Godwin Tété et du camarade Claude Améganvi que nous saluons au passage.
Historique du Mouvement patriotique du 5 octobre 1990 au Togo
Introduction : Une date charnière de l’histoire politique togolaise
Le 5 octobre 1990 s’impose comme l’une des dates les plus marquantes de l’histoire contemporaine du Togo. Ce jour-là, à Lomé, la capitale, éclate un soulèvement populaire qui secoue les fondations du régime tyrannique de Gnassingbé Eyadéma, installé au pouvoir depuis 1967. Cet événement, déclenché par un procès politique, communément appelé “procès Logo-Doglo”, allait devenir le point de départ d’un cycle ininterrompu de contestations, de répressions, de négociations avortées et de transitions tronquées, qui marquent encore aujourd’hui la vie politique du pays.
Le soulèvement populaire du 5 octobre 1990 n’est pas le fruit du hasard. Il résulte de plusieurs années de maturation politique, de la montée des revendications démocratiques à travers le monde après la chute du mur de Berlin, le discours de La Baule, mais aussi du courage d’une jeunesse togolaise qui, dans un contexte de dictature militaire, osa défier le pouvoir en place.
Aux origines : la CDPA et l’Alternative de 1989
La fin des années 1980 fut marquée par l’émergence de nouvelles forces politiques clandestines. Parmi elles, la Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA), créée autour du professeur Emmanuel Gu-Konu. En avril 1989, la CDPA publie un texte-manifeste intitulé L’Alternative, qui circula clandestinement et eut un retentissement important dans les milieux étudiants et intellectuels.
Ce document, dénonçant la dictature du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais), parti unique, proposait une voie de démocratisation et d’alternance. Sa diffusion déclencha une vague d’arrestations, d’abord en Côte d’Ivoire puis au Togo. Des militants tels que Godwin Tété-Adjalogo et Daniel Kuéviakoe furent arrêtés à Abidjan, alors qu’ils tentaient de faire entrer ces documents au Togo.
Au pays, des jeunes étudiants et travailleurs organisés principalement par Hilaire Dossouvi Logo et Tino Agbélenko Doglo furent accusés de distribuer des tracts outrageants et d’inciter l’Armée à la révolte. Le 26 août 1990, treize (13) d’entre eux furent arrêtés: Bitchinidi Karakoro, Komlan Paulin Aboly, Kodjo Aboley, Kossi Efui, Adjayé Djobo, Nabine Ouyi, Firmin Djolé Têko Yovodévi, Rehim Alpha-Boda, Sassou Lossou, Ablam Gustave Ahadzi, ainsi donc que Agbélenko Doglo et Dossouvi Logo. Parmi eux se trouvait une taupe, Hope Kwadzo Ketomagna Kalépé, infiltré et ayant dénoncé ses camarades.
À la Sûreté nationale, ces jeunes subirent de lourdes tortures, souvent sous les ordres du capitaine Pitalounani Laokpessi.
Le procès de septembre 1990 : l’étincelle
Leur procès s’ouvrit le 21 septembre 1990. Loin d’être une simple formalité judiciaire, il se transforma en un véritable procès du régime Eyadéma. Les débats, côté Défense des accusés, étaient menés par de jeunes et talentueux avocats togolais sous la houlette du bâtonnier Béninois Robert Dossou. Ces débats exposèrent les abus, les violations des droits humains et la brutalité de l’appareil répressif togolais. La pression nationale et internationale pour la libération des inculpés fut énorme.
Le régime céda partiellement : des étudiants furent relâchés, mais deux jeunes travailleurs, considérés comme des meneurs, furent maintenus en détention: Hilaire Dossouvi Logo et Tino Agbélenko Doglo.
Le verdict devait être rendu le 5 octobre 1990 par Pius Agbétomé le jeune président du tribunal. C’est ce jour-là, un vendredi, qu’éclata l’insurrection.
Le soulèvement du 5 octobre 1990
Le 5 octobre, à Lomé, la colère populaire explosa. Des milliers de jeunes, étudiants, travailleurs et simples citoyens descendirent dans les rues. Le mouvement, initialement lié à la défense des inculpés, prit une dimension insurrectionnelle. Les manifestants qui, au Palais de Justice, scandaient des slogans hostiles au pouvoir RPT, furent chassés violemment sur ordre du procureur Abdou Assouma. Ils se sont attaqués ensuite aux symboles du régime.
Les manifestations, violemment réprimées, s’étendirent rapidement à d’autres quartiers puis à d’autres villes. Le Togo entra alors dans un cycle inédit de mobilisations sociales et politiques, porté par l’exemple des transitions démocratiques en cours en Afrique francophone (Bénin, Mali, Niger, Congo…).
De la révolte à la Conférence nationale (1990-1991)
Entre octobre 1990 et la fin de l’année 1991, le pays vécut une succession de mouvements populaires, de répressions sanglantes, mais aussi d’avancées démocratiques fragiles.
Mars-avril 1991 : nouvelles manifestations massives.
Juin 1991 : intensification des mobilisations.
Juillet-août 1991 : organisation de la Conférence nationale souveraine, moment fondateur du multipartisme au Togo.
Octobre 1991 : commémoration du premier anniversaire du soulèvement populaire du 5 octobre 1990, marquée par une démonstration de force de la jeunesse.
Cependant, le 3 décembre 1991, un coup de force militaire mit fin aux institutions transitoires issues de la Conférence nationale souveraine. Le régime Eyadéma reprit de force la main, inaugurant une longue série de cycles de contestations et de répressions.
La naissance du Mouvement patriotique du 5 octobre, MO5
Des jeunes engagés pour la Cause togolaise, venus de milieux politiques divers, ainsi que d’autres non encartés, se concertaient pour commémorer le 1er anniversaire du soulèvement populaire et héroïque du 5 octobre 1990. Pour ce faire, après plusieurs réunions notamment dans les locaux du journal satirique La Parole, dirigé par Bertin Kangni Folly, au quartier des Étoiles Wétrivi kondji à Lomé en septembre 1991 fut créé le Mouvement.
Ces jeunes décidèrent donc de se rassembler au sein d’un mouvement unitaire : le Mouvement patriotique du 5 Octobre (MO5). Un nom proposé par le camarade Tavio Amorin et adopté par le groupe.
Comme membres co-fondateurs, on y retrouvait des figures comme :
Hilaire Dossouvi LOGO, Valentin Tino Agbélenko DOGLO, Claude AMÉGANVI, Ayao Tavio AMORIN, Raymond Don Ray AWOKOU, Bassirou AYÉVA, Adjé KPADÉ, Cosme TÉTÉ, James ATAYI, Fernand TOUNOU, Éloi KOUSSAWO, Bertin Kangni FOLLY, Claude Kangni ALEMDJRODO, Elvis HILLAH, Coco KOEHLER, Marceline KOUADJOVI, Lyli GNININVI, Honoré GADÉGBÉKOU, Holonou HOUNKPATI, Félix AMÉGAN, les frères DOHNANI, Séléagodji Arthème AWOUMEY-ZOUNU, …
À toutes fins utiles, rappelons le soutien multiforme d’un aîné, Marc Kponton, au Mouvement (MO5) dès sa gestation.
La première Coordination a porté à sa tête le journaliste Bassirou AYÉVA. Par la suite Adjé KPADÉ et Éloi KOUSSAWO.
Le MO5 se voulait un cadre souple, capable de préserver l’unité de la jeunesse face au régime. Il a pour objectif d’éradiquer la dictature sur la terre de nos aïeux. Mais la répression sanglante de novembre-décembre 1991, ensuite d’autres non moins sanglantes de 1992 -1993, suivie de l’exil forcé de plusieurs de ses leaders, dispersa progressivement le Mouvement.
Un héritage durable
Somme toute, le Mouvement du 5 octobre 1990 a profondément marqué la mémoire collective togolaise.
1. Il a brisé le mur de la peur qui entourait le régime Eyadéma.
2. Il a été à l’origine du multipartisme au Togo.
3. Il a ouvert une ère de contestation permanente, même si elle n’a pas encore abouti à une véritable alternance démocratique.
Conclusion : la mémoire du 5 octobre 1990
Trente-cinq (35) ans après, le 5 octobre 1990 reste une date de référence. Chaque année, malgré les interdictions et les pressions du pouvoir, la société civile et des forces politiques tentent de la commémorer. Elle incarne la lutte du peuple togolais pour la liberté, la justice et la démocratie.
Le soulèvement populaire du 5 octobre 1990 n’a pas seulement été une révolte circonstancielle. Il n’était pas non plus une simple agitation des désœuvrés venus du Ghana voisin, comme le pouvoir Gnassingbé a voulu alors avec beaucoup de fébrilité le faire croire. Il demeure l’expression d’un ras-le-bol profond à jamais gravé dans la mémoire collective du peuple togolais. Il fut un véritable point de bascule historique, qui a inscrit le Togo dans la vague démocratique des années1990; même si la réalisation pleine et entière des aspirations exprimées ce jour-là demeure, hélas, encore à conquérir.
Je vous remercie.
Éloi KOUSSAWO
Coordinateur Général du MO5