Le Togo a abrité les 23 et 24 mars à Lomé, le tout premier sommet sur la cybersécurité, qui vise à limiter les attaques cybernétiques contre les données privées et des pays. En grande pompe, la cérémonie d’ouverture de cette rencontre internationale, a été présidée par le Président de la République du Togo, Faure Essozimna Gnassingbé.
Sur le principe, rien de particulier à dire ; l’initiative consistant à réfléchir aux solutions ayant trait aux mutations de l’humanité et à son évolution est à encourager à tout prix. De ce point de vue, le numérique et le digital étant une manifestation palpable de cette incontournable évolution du monde, imposent des dispositions idoines permettant de contrer les esprits malveillants qui seraient tentés d’en user et d’en abuser dans le sens inverse du but recherché. La rencontre de Lomé a donc un pan d’utilité qu’il serait malhonnête et indécent de ne pas reconnaitre.
Mais au-delà de cette question essentiellement liée aux principes, la nature et les habitudes de gouvernance du pays organisateur d’un tel sommet méritent elles-aussi d’être visitées afin de mesurer le niveau de sincérité et de cohérence de tels initiateurs.
Lomé a en effet été cité au cours de l’année dernière comme faisant partie des rares pays au monde qui espionnent leurs citoyens à partir du logiciel pirate Pégasus. Cette affaire qui a fait un tollé dans le monde n’a toujours pas connu de suite, à part la réaction très brève du Président de la République du Togo qui semblait justifier une telle pratique malsaine et forcément illégale, par le besoin de protéger le pays des menaces dont il est supposé faire l’objet.
Un tel argument ne peut en rien tenir devant le droit, dès lors que la pratique en elle-même est une vraie attaque des données personnelles d’honnêtes citoyens, y compris leur vie elle-même, remettant ainsi cause leur droit à la vie privée. La question est donc savoir si un pays qui a développé une célébrité dans le viol de la vie privée de ses citoyens par des logiciels pirates, est crédible pour s’ériger en promoteur de la cybersécurité ? Le paradoxe, de ce point de vue est flagrant et se dégage tout seul, même aux yeux des esprits les plus abrutis.
Le fait est si saisissant que pendant l’organisation de ce sommet, la ministre togolaise de l’économie numérique, Cina Lawson avait jugé utile d’en faire une petite propagande en vue d’en vanter les mérites. Aussi a-t-elle accordé une interview en grande pompe à la télévision nationale, au cours de laquelle, elle a ouvertement affirmé que ce sommet de Lomé allait rassembler plusieurs chefs d’Etat du continent ainsi que plus de 700 participants venant de plusieurs pays. En d’autres termes, ledit sommet est si important et déterminant pour l’Afrique dans son ensemble, que des chefs d’Etats n’hésiteraient pas à renoncer à leur agenda souvent chargé, pour répondre amplement présents à Lomé en vue de réfléchir, ensemble avec leur collègue du Togo, sur les stratégies à mettre en place permettrant d’assurer une efficiente cybersécurité sur le continent.
Il se trouve malheureusement qu’à l’ouverture de cette rencontre, le mercredi 23 mars 2022, aucun chef d’Etat n’avait mis pied à Lomé. Seul Faure Gnassingbé, le Président du Togo, a servait d’Hirondelle devant faire le printemps de ce sommet. Pourquoi cette désertion, ou plutôt ce désintérêt des chefs d’Etat annoncés à ce sommet ? Ont-ils eu des doutes sur la crédibilité, la sincérité, la fiabilité du pays organisateur ou ont-ils simplement estimé que le sujet en question ne revêt pas de caractère prioritaire, au regard des difficultés pratiques et préoccupantes que vivent leurs peuples en lien avec la précarité, la cherté de la vie et une exsangue paupérisation parfaitement inquiétantes pour tout dirigeant responsable ?
Il serait intéressant que la ministre de l’économie numérique en fasse le point au peuple, dans un bilan clair de ce sommet. Tout compte faut, il est certain que les économies du monde ayant été durement éprouvées par la pandémie de Covid-19, très peu de dirigeants ont encore la tête à des sommets pendant que leurs peuples de meurent par manque de ressources adéquates pour résoudre les problèmes existentiels pressants et surtout vitaux.
Mais dans tous les cas, en lieu et place de ces chefs d’Etat très attendus à Lomé, c’est plutôt un prix de « champion de cybersécurité » qui a été débarqué dans la capitale togolaise et décerné au président de la République du Togo, par la secrétaire générale adjointe des Nations-Unies et secrétaire exécutive de la commission économique des nations-unies pour l’Afrique (CEA). Celui-ci l’a reçu « avec beaucoup d’humilité » avec la promesse ferme que la mission qui lui est ainsi confiée à travers ce prix, sera assumée avec « diligence ».
De quelle manière une telle mission sera-t-elle assumée par le Togo et son Président sans avoir réussi, au préalable, à laver cette image de pays maitre dans la cybercriminalité à travers l’espionnage illégale de ses propres fils et filles ? En attendant de trouver une réponse appropriée à cette question légitime, les organisations de défense des droits de l’homme, notamment Amnesty International, ont foisonné de rapports sur le Togo et sur le recours régulier de notre pays à des cyber-attaques des journalistes, des hommes politiques, des acteurs de la société civile etc.
Il serait donc bien, par souci de cohérence et de crédibilité, que le Togo qui souhaite tant se positionner en modèle dans la cybersécurité, donne une suite claire à ces rapports qui rendent compte du contraire, en ce qui concerne la gouvernance quotidienne de notre pays. Ce faisant, le Togo et ses dirigeants auront ainsi fait les premiers pas dans le sens de leur bonne foi dans l’exécution de cette mission qu’ils se sont confiés et qui a mérité, sous forme de défi, le sacre de Mme Vera Songwe, l’actuelle patronne de la CEA. Sans une telle action décisive, le doute et la méfiance qu’entretiennent présentement beaucoup de personnes avisées sur la bonne foi du Togo et sa capacité à remplir dignement et décemment une telle mission risquent de persister pour longtemps.
Ce qui ne rendra aucunement service ni au pays ni à ses dirigeants. Au contraire, le sommet de Lomé laissera malheureusement dans l’esprit de tout le monde, l’effet d’un simple folklore destiné à distraire les opinions avisées et à faire oublier les jugements documentés, portés sur notre pays en ce qui concerne les pratiques non orthodoxes s’opérant au sommet de l’Etat et qui violent la vie privée des honnêtes citoyens.
Luc Abaki