Les juges, dans notre pays le Togo, sont quasiment submergés par ces lourds différends qui opposent les communautés, les collectivités ou les individus à cause notamment du foncier un peu partout dans les grandes et principales villes du territoire national.
Si ce ne sont pas les doubles- ventes délibérément orchestrées, ce serait alors, de faux vendeurs ou carrément de grands nantis qui ont acheté des larges terrains, en ville ou à sa périphérie et qui ont acté de force, le déguerpissement des communautés entières de l’espace ainsi conquis…
Les différends liés au foncier dans nos communautés sont si sérieux, compliqués et multiples, notamment face à certains juges malheureusement vulnérables à la corruption, à l’intimidation ou à l’influence, que les gouvernants de notre pays ont plutôt opté pour la mise en place du conseil consultatif foncier, en vue d’y mettre un terme définitif.
Ainsi, pendant que le Togo s’emploie à la mise en place d’une telle structure en vue de plancher plus sérieusement et plus rigoureusement sur ce volet social particulièrement préoccupant pour nos pays, le Bénin a plutôt embrayé sur la création, carrément, d’une cour spéciale, chargée exclusivement de la question foncière.
L’idée en sourdine, est de former les juges, de les spécialiser sur les questions foncières et de leur assigner cette mission sacerdotale de résoudre définitivement, par le droit et la loi, toutes les difficultés liées à la gestion des terres au Bénin.
Toutes ces initiatives, à vrai dire, sont bonnes et rendent compte du fait que les gouvernants de nos différents pays, prennent véritablement au sérieux, ce volet de la vie sociale, qui est très pollué et gangrené par de sérieuses secousses dont l’enflement continu, risque de porter un coup sérieux à la cohésion sociale et aux principaux fondamentaux du Vivre Ensemble.
Mais en attendant la mise en place effective de ces structures dont le fonctionnement nous permettrait une appréciation plus avisée et plus raisonnée de leur impact sur nos sociétés, il nous semble opportun, par pur bon sens et par sens de pragmatisme, de relativiser l’efficacité absolue de ces initiatives, bien que salutaires et louables.
Leur efficacité, selon toute vraisemblance, risque d’être difficile à matérialiser, en l’occurrence dans un écosystème où, en général, les esprits des citoyens, quels qu’ils soient, sont autant rattachés à la quête systématique des terres, comme un bien incontournable, notamment pour des besoins d’habitation.
En effet, les enquêtes ont clairement prouvé qu’aussi bien au Togo qu’au Bénin ou ailleurs en Afrique, ces litiges fonciers sont souvent récurrents principalement en ville; ce qui corrobore la thèse selon laquelle, ils sont fondamentalement liés au besoin crucial de logement des citoyens plutôt qu’à autre chose.
Ainsi, pour résorber définitivement un tel phénomène totalement ambiant qui constitue une vraie gangrène pour nos sociétés, il serait plus recommandable, à notre sens, de travailler principalement sur une politique plus organisée et plus maîtrisée d’acquisition de logement, en ville, qui va définitivement extraire de l’esprit du citoyen, l’impératif de conquérir la terre avant d’en disposer. Ceci implique, indubitablement, le recours à des immeubles en hauteur, à même d’absorber plusieurs foyers à la fois, à travers des appartements décents, qui remplaceront valablement, des petites cases ou bâtiments que les citoyens montent de façon disparate et anarchique, un peu partout dans nos villes.
Il est en effet de notoriété publique que c’est cette option pratique que tous les pays à économie forte, identifiés aujourd’hui sous l’étiquette de “pays développés”, ont fait afin d’en finir pour de bon avec le cauchemar lié aux litiges fonciers sur leur territoire.
Une telle option est si recommandable et judicieuse qu’elle épargnera l’État du risque évident d’une occupation anarchique des terres disponibles pour des raisons d’habitations, qu’elle évitera aussi aux citoyens eux-mêmes, le stress et l’angoisse qu’engendre cette conquête de lopins de terre. Mais ce n’est pas tout.
Cette option qui, par expérience, reste très recommandable, sera également un vrai gage de sécurité pour tous les citoyens habitant nos villes qui les mettra à l’abri des longs périples qu’ils sont bien obligés, jusqu’à ce jour, de parcourir journellement avec tous les risques, avant de rejoindre aussi bien le centre ville que leur lieu de service.
En outre, elle va, en sus de dissiper drastiquement les tensions sociales inutiles, laisser une marge de terres disponibles à l’État à des fins plus utiles, notamment dans l’agriculture ou la production industrielle indispensable pour la construction de l’économie de nos pays.
Les avantages liés à une telle politique maîtrisée de logement dans les villes au Togo tout comme un peu partout en Afrique sont si immenses et entendus, qu’il serait forcément fastidieux de les énumérer de façon exhaustive, à partir d’un simple article de journal.
Mais la certitude reste marquée qu’ils vont concourir à réorganiser de fond en comble, les habitudes de vie de nos sociétés en les orientant désormais vers la modernité tout en résolvant l’essentiel des différends sociaux qui minent présentement nos sociétés. Car à vrai dire, la terre est un bien inestimable qui ne devrait, pour rien au monde, être bradé juste pour des besoins d’argent.
Il nous semble d’ailleurs opportun, à cette hauteur de notre analyse, de revisiter la perception que nos parents, hier, avaient de la terre et de son rôle dans la vie sociale d’une communauté. Nos ancêtres avaient en effet compris que la terre, sous aucun prétexte, n’était aucunement cessible à une tierce personne surtout à des fins pécuniaires. Aussi refusaient-ils systématiquement de céder les terres à des étrangers, car celle-ci constitue le seul et vrai héritage qui doit être non seulement judicieusement exploité afin de les nourrir, mais surtout aussi, laissé aux générations à venir.
Ce qui signifie en définitive que personne, aucun citoyen, ne devrait développer la prétention d’être le propriétaire exclusif et définitif d’une portion de terre, mais plutôt un vrai gardien de ce bien gracieusement offert par la nature et dont la protection et l’exploitation raisonnable permettront aux générations de demain d’en disposer à leur tour, pour leurs propres besoins de vie.
Toutes ces exigences liées à la continuité de la vie et à la transmission de ce bien que nous confère la nature sont si fortes que nos gouvernants ont l’impératif devoir d’y veiller sans faille, ni complaisance, avec des mesures rigoureuses et efficientes qui sensibilisent les populations et les assignent à une discipline dans l’exploitation de nos terres ainsi gracieusement reçues en héritage.
En tout, les initiatives actuelles visant la création au Togo d’un conseil consultatif foncier, ou d’une cour spéciale chargée des questions foncières au Bénin, sont bonnes mais largement insuffisantes pour résorber définitivement et dans le fond, les problèmes liés à l’exploitation opportune de la terre. Il faudrait nécessairement initier des politiques qui permettent aux citoyens de changer radicalement le regard actuel qu’ils portent sur cette terre et qui les pousse à la convoiter sans retenue pour des raisons d’habitation.
Les gains d’une telle vision prospective des dirigeants afférente à la gestion judicieuse de la terre, sont si immenses qu’il ne serait pas adroit d’y renoncer ou de manquer d’en prendre audacieusement l’initiative, dès maintenant, quoi qu’il en coûte ! Car le bien-être et l’avenir même de nos sociétés actuelles et futures en dépendent littéralement…
Luc Abaki