Le développement autocentré de l’économie nationale comme déterminant de la souveraineté a été le credo défendu par le Père de l’indépendance du Togo.
L’indépendance c’est l’acquisition de la souveraineté vis-à-vis de la communauté internationale. Au-delà du concept, c’est un état d’esprit, un engagement pour un don de soi, pour assumer et assurer les droits fondamentaux pour la dignité de sa communauté. Dès lors, il devient impérieux de se poser la question de savoir pourquoi après le vote historique du 27 Avril 1958 en faveur de l’autodétermination du peuple togolais, le Président Sylvanus OLYMPIO a attendu deux ans avant de proclamer l’indépendance du Togo le 27 Avril 1960 ?
En effet, pour Sylvanus OLYMPIO et ses camarades du courant nationaliste, à l’indépendance politique acquise de haute lutte par le peuple des mains du pouvoir colonial, il faut joindre l’indépendance économique. C’est pourquoi il a tenu à rembourser toutes les dettes vis-à-vis de l’État colonial. Ensuite et il a refusé toutes sortes d’accords léonins que tentait d’imposer l’ex-pouvoir colonial, c’est-à-dire un système de gouvernance basé sur le néocolonialisme. Ce modèle de gouvernance post indépendance que l’ancien président ghanéen Kwame N’KRUMAH à qualifié de « stade achevé de l’impérialisme», consiste selon les termes du Pr Simon Narcisse Tomety, «à une conception de la fonte de l’État et tout ce qui relève du secteur public dans l’intérêt de l’ancienne puissance coloniale».
Ainsi, dès 1960, tous les budgets de l’État présentés par le gouvernement de Sylvanus OLYMPIO étaient équilibrés en recettes et en dépenses. Cette posture a conduit à la mise en place en moins de trois ans d’un PLAN DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE présenté le 26 octobre dont l’objectif est de stimuler une croissance rapide. Comme stratégie de développement, ce PLAN est organisé à partir des structures de base d’une économie autocentré autour de :
– Une économie fondée sur le développement de l’agriculture et la formation de la jeunesse pionnière formée pour la mise en valeur efficace de l’agriculture et le développement des activités agropastorales. Cette initiative organise les jeunes enrôlés en Brigade de travailleurs, hébergés et encadrés dans les camps où ils reçoivent une formation en agriculture par des instructeurs israéliens dans le cadre d’un projet de coopération. On note aussi la mise en place des services de financement des programmes, le service pour les activités d’import-export (SOTEXIM)
– La mise en place des industries agroalimentaires avec un programme de la création d’un pôle de développement autour de la zone d’extraction du phosphate et sa transformation en des produits finis comme l’engrais
– Le développement du service et du transport avec l’aéroport de Lomé, le port autonome de Lomé, un port en eau profonde pour le développement du trafic maritime. Il est à noter que déjà en 1960, le Togo avait le même niveau de développement que les sept dragons de l’Asie du Sud Est (Hong Kong, Taïwan, Singapour Malaisie. ..)
Dès lors, pour soutenir cette lancée dans le domaine économique et réaffirmer la souveraineté du pays, le Président Sylvanus OLYMPIO a décidé de la création d’une monnaie nationale par la création de la Banque Nationale de Développement pour suppléer la Banque d’Emission afin de fabriquer et garer par le Togo. Ainsi la croissance rapide devrait favoriser l’émergence de l’économie à l’horizon des années 1970. De ce fait, la monnaie qui est un facteur de souveraineté ne devrait pas être laissée dans les mains d’une autre puissance qui plus est, l’ancienne puissance coloniale. L’on comprend pourquoi il a été assassiné la veille de la mise en circulation de la nouvelle monnaie du Togo.
Au lendemain de l’assassinat du premier président élu démocratiquement du Togo, tous les accords léonins que voulait imposer l’ex puissance coloniale, que Sylvanus OLYMPIO avait refusé, ont été acceptés par les nouvelles autorités de fait, issues du coup d’Etat du 13 janvier 1963. Comme quoi, le Togo venait de renoncer à son indépendance économique. A partir de ce moment, tout le système économique du pays était dirigé sans aucune scrupule sous le contrôle de l’ex-puissance coloniale et ceci jusqu’en 1973. A la suite du 2ème choc pétrolier survenu après la révolution iranienne, le Togo a connu le boom du phosphate et d’autres matières premières une croissance qui sera très mal gérée.
Ainsi, avec les flux financiers produits par les pétrodollars et le renchérissement des prix des matières premières en l’occurrence le phosphate pour le compte du Togo, sur conseil d’un économiste français du nom de Maurice Assor, le gouvernement togolais a initié un plan quinquennal de développement. Ce qui a conduit à la mise en place des industries appelées «les éléphants blancs». Il s’agit des investissements gigantesques sous la bannière de la politique des grands travaux. Ces investissements n’ont rien apporté parce que très mal conçus, et très mal gérés.
A titre d’exemple, on peut citer :
– l’entreprise de transformation d’anacarde installée sous le couvert de la « société Togofruits » à Kara qui a coûté 3 milliards de CFA et qui a fait faillite sans avoir démarré ses activités. Ainsi, et les machines, et les bâtiments tombés en ruine à ce jour sont restés sur le site sans que personne ne puisse lever le petit doigt.
– la société Togotex toujours à Kara a coûté 20 milliards de FCFA, avec une capacité de production qui dépasse largement le niveau de consommation nationale qui n’était que de 10%. Le reste sans débouché parce-que non compétitif sur le marché international, a conduit l’entreprise à la faillite, fermée et mise en vente. Malheureusement, et depuis là, personnes n’a racheté l’entreprise qui aussi est tombé en ruine.
– la Société Nationale de Sidérurgie (SNS) de Lomé a coûté 14 milliards de FCFA à l’État togolais alors que la même usine monté au Nicaragua a coûté 3 milliards de FCFA. Pis, elle a une capacité de 40 000 tonnes par an alors que la consommation nationale est 9000 tonnes. Le reste non vendu faute de débouché, a conduit l’entreprise à la faillite. Elle a été vendue à WACEM à 150 millions.
– la Centrale Thermique de Lomé a été construite pour approvisionner l’énergie électrique à la Société de Sidérurgie. Elle a coûté 18 milliards de FCFA à l’Etat togolais. Composée de trois turbines, elle consomme 9500 l de fuel par heure pour produire l’électricité à 52 FCFA le kw, alors que, au même moment, le Ghana fournissait l’électricité à 1 F CFA le kw à la CEB. Elle aussi était devenue encombrante et non compétitive. Elle est tombée en faillite.
– la Raffinerie de Lomé, elle était approvisionnée en brute provenant de Biafra au Nigéria, achetée à crédit au temps de Yakubu Gowon. A l’arrivée du Président Mourtala Mohamed, celui-ci a coupé l’approvisionnement et réclama le payement de la dette évaluée à 7 milliards. Faute d’approvisionnement et ne pouvant pas payer, l’entreprise est tombée en faillite et la dette est simplement balancée au Trésor Public.
– l’OPAT (Office des Produits Agricoles du Togo ) en son temps, achetait la tonne de beurre de Karité à 9000 FCFA aux paysans et revendait à 65 000 FCFA sur le marché international, de même la tonne de coton achetée chez les paysans à 350 000 FCFA était revendue à 1.250.000 FCFA. Ce qui a permis à l’État d’accumuler des milliards de FCFA qui ont servi par la suite à construire des hôtels dont beaucoup sont aujourd’hui tombés en faillite et d’autres en ruines. C’est le cas de l’hôtel Tropicana et de l’hôtel de la Paix qui a coûté 3 milliards de FCFA à l’État togolais.
– le plus scandaleux c’est l’entreprise CIMAO qui a coûté 58 milliards à l’État togolais et a été revendue à WACEM à 2 milliards. L’hôtel du 2 Février a coûté plus de 51 milliards FCFA alors qu’il était prévu pour 45 milliards FCFA avec une consommation de plus de 35 millions de FCFA d’électricité pas mois.
NB : Toutes ces informations figurent dans le Rapport de la Commission Economie et Finance de la Conférence Nationale Souveraine de 1991 au Togo.
Tous ces financements hasardeux sans oublier les sociétés comme l’huilerie d’Agou, les féculeries de Ganavé ont conduit à un endettement sans commune mesure qui naturellement devait conduire le Togo à se soumettre à un Programme d’Ajustement Structurel (PAS) en 1982. Ce programme a été proposé par les institutions de Breton Woods qui n’ont pas hésiter à imposer des mesures de redressement et de privatisation des sociétés d’Etat. Ainsi, elles, seront désormais abandonnées dans les mains de l’oligarchie internationale, en complicité avec leurs suppôts togolais sans aucun sens de patriotisme. Comme l’a reconnu le ministre Christian Trimua, à sa mort, « Eyadéma a laissé le Togo dans un état socialement déchiré, politiquement divisé et économiquement exsangue ». Il faut rappeler qu’a la mort d’Eyadema, la dette publique du Togo était évaluée à environ 760 milliards de FCFA (confert le rap[1]port économique et social 2006).
A l’avènement de Faure Gnassingbé pour succéder à son père biologique, beaucoup de Togolais ont émis de sérieux doutes en ce qui concerne sa capacité à faire mieux que son géniteur. A ceux-là, le successeur et fils lui-même a répondu par cette lapalissade : « lui c’est lui, moi c’est moi ». Malheureusement, à l’heure du bilan, tout le monde peut se rendre à l’évidence qu’il n’a pas fait mieux. En effet, depuis son avènement au pouvoir, Faure Gnassingbé, non seulement a privatisé toutes les sociétés d’Etat les plus florissantes, mais il a laissé des pans entiers de l’économie à des opérateurs économiques étrangers. On peut citer le cas de la manutention du port autonome de Lomé au Groupe Bolloré et la concession de la construction du troisième quai à travers la LCT (Lomé Contenaire Terminal), l’aérogare de Lomé aux Chinois. Il faut noter que dans les deux cas, le coût des avenants dans la construction dépasse le coût du projet initial, sans aucune précision sur la durée de concession.
On note aussi le cas de Togocel et Togotelecom fusionnées en Togocom depuis lors cédées aux Malgaches, la SNCT aux Indiens, la SNPT (Nouvelle Société de Phosphate du Togo) aux Israéliens , le Contour Global aux Américains. Tout ceci dans une opacité déconcertante qui n’indispose pas grand monde.
Il faut noter également les scandales qui ont couvert la cession et la reprise de la CEET à une filiale de la société française EDF sous le couvert de Togo Électricité qui a coûté plusieurs dizaines de milliards de FCFA à l’État togolais à la suite d’un procès perdu au tribunal international du commerce. Le Togo a aussi perdu le procès dans l’affaire entre la société Progosa de Jacques Dupuydauby et Bolloré concernant la cession de la manutention du port autonome de Lomé, devant le tribunal international du commerce, de même que le procès devant un tribunal français à la suite de la plainte du Groupe Accor contre l’État du Togo pour : « rupture abusive» de contrat dans l’affaire de l’hôtel Sarakawa. Ici le Togo été reconnu coupable avec une condamnation de 4000 euros, sans oublier la mauvaises gestion des moustiquaires imprégnées dont l’OMS a exigé le remboursement.
A la fin de l’année 2021, la dette publique du Togo a été évaluée à 2.769 milliards de FCFA alors même que le Togo a bénéficié en 2010 de la réduction de sa dette extérieure de 80% du fait de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés ) qui a fait passer à la fin de l’année 2010, la dette publique du Togo de 1244 milliards de FCFA à 767 milliards de FCFA. Ainsi donc, en 10 ans d’exercice du pouvoir, de fin 2010 à fin 2021, la gouvernance de Faure Gnassingbé a fait pire que les 38 ans de son père. Aujourd’hui , il est plus qu’évident que les Togolais ne maîtrisent pas du tout la logique de la production économique de leur pays où tout est dans les mains des étrangers. La souveraineté n’est que politique, c’est la conséquence de l’incohérence de l’élite dirigeante de notre pays depuis la catastrophe du 13 janvier 1963.
La raison fondamentale de cette hérésie est simplement due au manque de patriotisme des dirigeants qui ont succédé aux nationalistes, ceux-là qui se sont battus pour l’indépendance de notre pays, profondément déterminer pour hisser notre pays au rang des grandes nations de ce monde, avec une vision claire, celle de faire du Togo émergent à l’horizon 1970. Malheureusement le système néocolonialiste, après avoir organisé l’assassinat du Père de l’indépendance, a installé de nouveaux dirigeants acquis à sa cause, qui ont choisi la soumission et la défense des intérêts du système néocolonialiste au détriment des l’intérêt de la mère patrie.
De ce fait, tous les programmes de développement qui ont été initiés depuis l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir à savoir :le DSRP( Document Stratégique pour la Rédaction de la Pauvreté 2009-2013), la SCAPE (Stratégie de Croissance Accélérée et la Promotion de l’Emploi 2014-2017), le PND(Programme National de Développement 2018- 2022) qui a été transformé en Feuille de Route Gouvernementale 2020-2025), s’ils n’ont été une arnaque politico-économique, ont tous subi le même sort c’est-à-dire, un échec programmé, à cause de la faiblesse de l’investissement local par manque d’adhésion populaire et l’esprit patriotique des dirigeants, qui ne cherchent qu’a s’enrichir à partir des prébendes sur le dos des pauvres populations. La preuve, tous les financements extérieurs autour des projets agricoles à travers le PNUASA, la PATAT, le PDRI-MÔ et bien d’autres comme l’agropole de Kara, qui ont englouti des centaines de milliards de FCFA n’ont eu que peu d’impact sur le développement économique du pays. A contrario, selon le rapport de la BAD pour l’année 2020, la contribution du secteur primaire en l’occurrence l’agriculture a baissé de 12 points passant de 40% en 2008 à 28% en 2020. Par contre, le rapport de la BCEAO rapporté par la journal Liberté dans sa parution N°3741 du lundi 17 novembre 2022, il ressort que courant 2021, le Togo a importé 241 milliards de FCFA de produits alimentaires ; 7,4 milliards de FCFA de viande ; 23,4 milliards de FCFA de riz pour ne citer que ceux-là. Ce qui montre à suffisance l’absence d’industrie agroalimentaires dans le pays. Au total, le Togo a importé pour le compte de l’année 2021 un montant évalué à 1459,5 milliards de FCFA soit presque l’équivalent du budget de l’État de la même année, avec un déficit commercial de 69,2%. Comme on peut le voir, le sens du patriotisme fait énormément défaut dans la vision des dirigeants de père en fils depuis l’assassinat du Père de l’indépendance du Togo. La préservation de la souveraineté économique du pays a été lamentablement tronquée par la volonté de l’enrichissement illicite sur la base des prébendes données par l’oligarchie internationale. Le peuple assiste impuissant l’exploitation sans vergogne des ressources du pays.
Il faut sortir absolument des effets d’annonces, des discours et des bonnes intentions pour rentrer une fois pour de bon, dans l’action véritable qui va permettre de faire naître de vrais géants, de vrais patriotes dans tous les domaines de la vie nationale. Un adage dit : « les cris ne transforment pas le sable du désert en colonies verdoyantes. Il faut creuser des sillons, ouvrir des trous, connecter des sources pour obtenir des oasis, c’est de longue haleine ». Tout comme Barack Obama, nous disons nous aussi à notre tour « yes we can ».
Notre engagement est la clef de notre pouvoir de se libérer de la domination de l’oligarchie internationale afin de sauver ce qui reste et réorganiser notre peuple pour défendre ses intérêts. Il faut impérativement initier et imposer une révolution intellectuelle, mentale et comportementale pour une nouvelle dynamique, un nouveau départ pour un engagement patriotique pour le salut de notre peuple, afin d’élever les priori[1]tés du moment au niveau des objectifs du développement national, pour réaliser le rêve du peuple togolais, celui de vivre dignement. Telle est notre mission. A nous de « la remplir ou la trahir ». Voilà pourquoi nous saluons cet appel du Chef de l’État dans son discours du 31 décembre dernier. Une fois n’est pas coutume, mais déjà un grand pas que le Chef de l’État lance un appel au « sens du patriotisme » du peuple togolais. Il reste que lui-même montre l’exemple en libérant tous les prisonniers poli[1]tiques et d’opinion, en mettant en place le mécanisme d’amnistie pour tous les exilés et en proposant une charte pour la répartition des richesses du Togo conformément à l’article 38 de la Constitution. Comme on le dit souvent : la charité bien ordonnée commence par soi-même. Bon recueillement à tous les Togolais.
OURO-AKPO Tchagnaou, Ancien Vice-Président de la Commission des Finances à l’Assemblée Nationale
13 Janvier 2023