Secrétaire Général du Mouvement pour la Libération Totale et la Reconstruction de l’Afrique (MOLTRA), une organisation panafricaniste créée au Togo en 2004, M. Kpogli Komla a conféré avec la rédaction du journal La Manchette sur les développements sociopolitiques de la nation togolaise. Pour ce panafricaniste convaincu et convainquant, le continent africain est toujours sous la domination coloniale. Ainsi, à l’en croire, la seule solution qui vaille pour la libération de l’Afrique et pour sa renaissance reste une révolution continentale construite de manière disciplinée et sérieuse sous forme d’un Tsunami populaire pour détruire le système colonial qui embrigade l’Afrique et ses populations. Aussi a-t-il insisté sur ce projet qui doit être piloté par des patriotes authentiques et stratèges. Sans cela, dit-il, il ne restera aux africains qu’à agrandir les cimetières. Parce que, « les temps les plus durs sont devant nous si nous restons dans cet immobilisme où la peur l’emporte sur le patriotisme agissant », répète M. Kpogli, le SG du MOLTRA avec qui nous nous entretenons.
La Manchette : Avant de vous écouter sur la situation sociopolitique de notre pays, le Togo, que pensez-vous des différentes sanctions que la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) inflige aux médias souvent critiques contre le pouvoir?
Kpogli Komla: La HAAC c’est la police médiatique du régime tyrannique qui régente, de manière coloniale et de père en fils, le Togo depuis 1963. Dans un territoire administré par un régime de cette nature, le rôle de la HAAC comme institution, c’est de faire en sorte qu’il y ait une presse de cour, une presse de divertissement, une presse de diversion animée par des journalistes courtisans et qui portent la parole du régime auprès des populations sinistrées. Une presse critique peut être tolérée, à condition qu’elle sache où sont les limites à ne pas dépasser. Les sanctions très lourdes que la HAAC prend contre ces médias visent à les faire taire et à faire comprendre aux autres qu’ils ont intérêt à respecter le seuil de tolérance que le régime a fixé en pratiquant de l’autocensure qui, selon le régime, est la condition de leur survie.
Après avoir réduit ses opposants politiques officiels et institutionnels à néant et paralysé le peuple totalement perdu pour le moment, le régime franco-RPT a décidé de détruire ce qu’il considère comme ses opposants médiatiques. Le but de la manœuvre c’est de renforcer l’état de terreur dans le pays et y asseoir les bases du prochain passage en force en 2025.
La Manchette : Pensez-vous, comme certains ont tendance à le dire, que les médias togolais sanctionnés ont manqué de professionnalisme dans le traitement de l’information ?
Kpogli Komla : La HAAC, c’est-à-dire le régime franco-RPT sanctionne la vérité et non le manque de professionnalisme des médias ciblés. Nous sommes dans un pays où tout ce qui est contraire aux valeurs reçoit des décorations tandis que tous ceux qui se battent pour les valeurs sont vilipendés et punis. Ce régime qui est l’incarnation du mal absolu a inversé les normes au Togo après l’assassinat de Sylvanus Olympio le 13 janvier 1963. Ce crime est l’acte de naissance de ce régime monstrueux, ne l’oublions jamais. Et donc, pour ce régime, le bien c’est un crime, la vertu c’est le vice et le crime c’est le bien et le vice c’est la vertu.
Il y a des médias au Togo, si on peut les appeler ainsi, qui font du mensonge leur profession. Tout ce qu’ils font est contraire aux règles minimales du code alibi de la presse. Ces gens violent allègrement même le fameux code pénal. Ils s’attaquent aux citoyens qui pensent autrement le pays et se comportent comme de vieux ménestrels, de véritables hagiographes sillonnant des plateaux télé, des studios radio, des réseaux sociaux et des rédactions pour chanter fallacieusement les louanges du petit Timonier et de sa cour. La HAAC qui est une institution de façade a-t-elle une fois pris la moindre sanction contre ces propagandistes soi-disant journalistes dont le rôle rappelle celui des liseurs de motion du temps de Gnassingbé 1er? Jamais. Donc, la guerre que la HAAC mène aux médias ne porte pas sur le traitement non professionnel de l’information. Elle mène plutôt une guerre aux insoumis au sein de la corporation médiatique.
La Manchette : Dans un communiqué, le Patronat de la Presse Togolaise (PPT) s’insurge contre l’épée de Damoclès qui plane sur la presse togolaise et parle d’un plan machiavélique des autorités décidées à mettre les médias indépendants sous éteignoir. Avez-vous la même lecture des choses ?
Kpogli Komla : Le PPT ne fait aucune révélation en disant cela. Il ne fait que répéter ce qu’a dit publiquement le président de la HAAC, à savoir que « certains journalistes doivent cesser de se considérer comme des intouchables. » Avant d’ajouter sur un ton martial : « La récréation est terminée ».
Dans ces conditions, les associations de presse ne doivent pas se limiter à des communiqués. Elles doivent agir en faisant des actions syndicales à la hauteur du danger et appeler les populations à les soutenir massivement. Car, le problème ici ne se limite pas à la liberté de presse. Le problème au Togo, depuis 1963, c’est un régime tyrannique héréditaire de type colonial dont l’existence est totalement incompatible avec toute forme de liberté. A commencer par liberté de désigner les dirigeants du pays et de leur retirer le pouvoir quand ils n’assument pas le mandat qui leur est confié. En clair, on ne peut être sous la férule d’un régime tyrannique héréditaire de type colonial âgé de 58 ans et vouloir que la liberté de presse fonctionne. Il faut détruire ce régime pour que le pays renaisse, toutes les libertés avec. Cela ne se fera que si les masses populaires dans cet enclos colonial qu’est le Togo retrouvent leur puissance combative et travaillent, nuit et jour, sur leur organisation pour ainsi renforcer leurs capacités insurrectionnelles et révolutionnaires plongées pour le moment dans un coma artificiel par des joutes politiques sans tête ni queue.
La Manchette : Comme le Prof. Apédo Amah qui déclarait qu’on ne chasse pas une dictature avec des bulletins de vote, vous dites depuis très longtemps que l’élection n’a jamais vaincu un régime colonial. Voilà pourquoi vous préconisez une insurrection ou une révolution. Mais, comment parvenir à cette fin ?
Kpogli Komla : Depuis plusieurs années, nous avons dit et redit comment construire cette révolution. Le point de départ de cette insurrection populaire consiste à saisir la nature du régime que nous avons en face de nous. Nous venons de le décrire : Le pouvoir togolais est une tyrannie héréditaire qui se déploie dans un cadre africain qui est resté colonial. Justement parce que faussement proclamé indépendant depuis les années 1960. L’espace africain n’a jamais été autant l’incarnation du visage d’autrui. Les africains n’y exercent strictement aucune influence. A partir de cette interprétation du cadre africain et des régimes qui l’occupent, notamment au Togo, il y a des résolutions et des pratiques à adopter : 1) on ne discute pas avec un système comme celui-là; 2) on n’appelle pas des régimes dans un système comme celui-là à faire des élections; 3) on ne va pas à des mascarades électorales organisées dans un cadre pareil; 4) on ne gaspille pas l’énergie populaire en orientant les masses vers les élections et la fausse contestation de leurs faux résultats; 5) on se concentre plutôt sur la construction d’un véritable mouvement de libération et de reconstruction en allant chercher les populations où elles sont pour les former, les organiser et les structurer patiemment sur la base d’une planification stratégique qui prend en compte tous les facteurs psychologiques et matériels aussi bien des masses populaires que ceux du régime en face dont on doit connaître les forces et faiblesses dans les moindres détails.
Les règles et les lois de l’Histoire sont implacables et elles condamnent tous les peuples qui, confrontés à la domination coloniale, refusent d’assumer leurs responsabilités dans la discipline et le sérieux. C’est en parfaite connaissance de ces lois que nous ne cessons de demander au peuple africain au Togo et d’ailleurs de briser les murs de la méfiance, de la haine et du désordre organisé entre nous pour nous diriger de manière disciplinée vers la mise en place des groupes organisés, des clubs, des cercles, des amicales, des associations, tous animés par une seule et même idée : le patriotisme agissant pour la renaissance de notre peuple sous la conduite d’un leadership courageux et disposant d’une vue d’ensemble parfaite. Ces structures doivent travailler, travailler et travailler encore et toujours pour former un africain révolutionnaire, prêt à tous les sacrifices en vue de la régénération de notre peuple avili, meurtri et relégué aux marges d’un monde alimenté grandement depuis des millénaires par ses ressources humaines et matérielles. Sans ce travail minimum de préparation sous un leadership radicalement nouveau et dont les critères de reconnaissance seront complètement à l’opposé de ceux qui font des gens qu’on appelle abusivement « Leaders » actuellement, notre peuple ne fera que des agitations cycliques sauvagement éteintes par la répression impitoyable des régimes sanguinaires africains. Et, à force de répéter ces agitations contreproductives, on épuise les populations qui finissent par croire au mythe d’invincibilité du système colonial. Or, ceci est démenti absolument dans toute l’histoire de l’humanité, depuis l’Antiquité. Le peuple africain n’échoue pas devant ces régimes parce qu’ils sont invincibles. Notre peuple échoue uniquement parce qu’en matière d’organisation, nous ne sommes pas à la hauteur du défi que ce système nous pose. Et cet échec a pour point de départ le type de personnes à qui les africains attribuent le titre de « Leaders ». Les élites coloniales assoiffées du pouvoir colonial qu’elles veulent conquérir en créant des partis politiques bidon ne peuvent pas conduire une lutte de libération. Or, c’est dans la guéguerre entre partis que ces faux leaders plongent le peuple en lui faisant croire que c’est là le chemin vers la chute des tyrans africains. C’est cela que ces faux leaders appellent l’alternance. En fait, il ne s’agit que du remplacement du voleur par le sorcier.
Aussi, face à un système construit sur la violence et la corruption et leurs dérivés, le Tsunami populaire doit être construit autour des instruments pour contenir, gérer et détruire cette violence et cette corruption. C’est à ce niveau que les quelques rares mouvements qui désirent sincèrement libérer notre peuple pèchent et trébuchent. Nous ne théorisons pas assez sur ce système, son fonctionnement et ses différents instruments humains et matériels pour pouvoir leur élaborer méthodiquement des réponses appropriées avec notre propre agenda. Or, c’est la réussite de cette étape préparatoire qui donne la victoire. Chaque fois que nous allons donc affronter ce système, dans une euphorie débilitante et dans des agitations colériques issues des pilules amères de lendemains de fraudes électorales prévisibles, sans avoir travaillé au préalable sur les conditions du combat, nous allons perdre.
La Manchette : Un autre détail que nous semblons ignorer, est que beaucoup définissent le pouvoir togolais comme un régime de violences. Pensez-vous qu’un tel régime peut être vaincu sur son terrain de prédilection quand vous parlez de Tsunami ?
Kpogli Komla: Ce qui caractérise le Tsunami populaire, concept que le MOLTRA a élaboré depuis des années, c’est qu’aucune force ne peut lui résister en raison de sa puissance. Il s’agit d’une vague populaire organisée, disciplinée et conduite par un leadership qui sait exactement où elle aboutira après avoir ravagé tout le système colonial sur son passage. Voilà pourquoi, ce Tsunami populaire doit être construit et, comme toute construction, il requiert du travail organisé, maitrisé, planifié et déployé sur un terrain étudié de fond en comble.
La violence du régime togolais est une insignifiance dans l’Histoire. Il y a eu dans l’histoire de l’humanité des pouvoirs plus criminels et plus répressifs que le régime franco-Gnassingbé et celui des petits tyrans métayers en Afrique. Quand les peuples décident et sont prêts pour leur redressement après avoir identifié le leadership compétent pour les conduire, aucune force ne leur résiste. La base de cette capacité populaire retrouvée, c’est la formation des masses populaires à dépasser la peur qu’ils ont de l’armada au service du système car, si les tyrans font peur aux peuples c’est justement parce que les peuples font peur aux tyrans. Par conséquent, la riposte populaire doit être construite à partir de la parfaite compréhension de ce qu’est la guerre psychologique et de ce qui est la violence, les outils avec lesquels elle est déployée contre les masses populaires, la temporalité dans laquelle elle est déployée et comment elle occupe l’espace pour paralyser les masses populaires dans leur actions. Lorsqu’on travaille sur tous ces aspects en amont, en faisant le lien entre cette violence tyrannique et la corruption qui est son verso, on a fait 90% du chemin vers la victoire.
La Manchette : Dans un mémorandum publié le 16 février dernier, un comité formé des OSC et des partis d’opposition, veut mobiliser le peuple contre l’état de terreur qui est insidieusement mis en place au Togo et procéder ensuite à la libération de tous les prisonniers politiques du Togo. Quelles peuvent les marges de manœuvre d’un tel comité ? Pourrait-il réussir ?
Kpogli Komla : Insidieusement??? Ou plutôt ouvertement et ceci depuis 1963. Ce n’est pas les prisonniers qu’il faut libérer, mais plutôt le pays. Qui et qu’est-ce-qui fabrique des prisonniers politiques dans le pays? N’est-ce pas le régime? Alors, occupons-nous des causes et non des conséquences et apprenons à travailler sur les conditions de la victoire avant de déclencher le combat. Pour le moment, on amuse de manière dramatique le régime et tout le système qui le soutient. La vérité crue, c’est que nous n’avons même pas encore commencé la véritable lutte de libération qui va générer encore plus de sacrifices que tout ce que nous avons concédé jusqu’ici. Soyons lucides et commençons à nous préparer et à organiser les masses populaires dans ce sens. Partout, des patriotes doivent se lever et entamer un travail discret et clandestin pour asseoir les bases du futur Tsunami populaire. Les Togolais qui sont à l’extérieur et qui ne supportent pas la double humiliation d’avoir quitté la terre natale et de subir le statut d’étranger et de « sale nègre » à l’étranger doivent obligatoirement se questionner et interroger leur engagement pour aboutir à la conclusion qu’ils ne peuvent plus se contenter de regarder le champ de bataille de loin, avec condescendance parfois. Les Togolais à l’étranger qui souffrent de voir la terre natale dans cet état de délabrement doivent absolument se constituer en patriotes organisés pour féconder toutes les initiatives visant à construire ce Tsunami populaire.
La Manchette : Quelle est, selon-vous, la responsabilité de l’opposition dans le statu quo politique au Togo ?
Kpogli Komla : Le MOLTRA a dépassé ce stade. Nous avons analysé plusieurs fois la responsabilité de l’opposition institutionnelle dont le rôle est d’accompagner les régimes en place en Afrique dans leur mission de vitrification de notre continent en tant que subalternes et métayers coloniaux. Les partis politiques institutionnels ne sont pas faits pour conduire le peuple à redécouvrir et à reconquérir son pouvoir de décision perdu en vue de l’exercer. Le plus grand tort que les africains, aussi bien au Togo qu’ailleurs, s’infligent, et nous ne cesserons de le répéter, c’est de considérer les partis politiques gestionnaires de l’immobilisme colonial africain comme des porteurs de solution. C’est une espérance illusoire. Il faut absolument sortir des guéguerres électoralistes que les partis d’opposition institutionnelle nous imposent et nous diriger plutôt et le plus rapidement possible vers la construction de mouvements patriotes de libération et de reconstruction de l’Afrique pour former, organiser et orienter notre peuple vers son combat libérateur douloureux mais seul et unique chemin qui mène à sa renaissance.
La Manchette: M. Kpogli, est-ce que les Togolais ne sont pas aussi fatigués de la situation ?
Kpogli Komla: Après 30 ans d’agitation-manifestations contre ce régime à qui on n’a pas opposé les outils adaptés construits méthodiquement, la réponse populaire ne doit pas être : « on est fatigués », « on ne veut plus et ne peut plus rien faire », « on laisse tomber », « ce n’est plus notre affaire à nous » en cachant la peur et l’incapacité collectives sous la formule: « Les opposants nous ont trahis. Tout est de leur faute ». En versant dans la recherche des coupables et en croisant les bras pour dire qu’ils punissent les opposants professionnels et fayots qu’ils ont pris longtemps pour des libérateurs nés, les Togolais ne punissent personne à part eux-mêmes. En vérité, la situation actuelle a quelque chose de fondamentalement bon; c’est qu’elle ouvre les yeux et doit ouvrir les yeux à ce peuple qui prend n’importe quel crieur pour son libérateur envoyé par Dieu à son secours. Donc, les Togolais doivent sortir de cette indifférence automutilatrice. Cela ne fait que prolonger leur propre souffrance sous le régime franco-Gnassingbé qui se frotte les mains en se disant avoir mis KO le peuple. Il nous faut apprendre à devenir des patriotes plus que jamais dressés contre le crime qui dirige notre pays depuis 1963 en construisant un véritable mouvement de libération et de reconstruction nationales, en contradiction totale des agitations de partis politiques et leurs ailes marchantes associatives dites La Société civile sans idées et sans connaissance historique.
La Manchette : Dernière question : Gilchrist, Fabre, Tikpi et maintenant Agbéyomé. Quel est le profil idéal pour réaliser l’alternance au Togo?
Kpogli Komla : Gardons le sérieux de cet entretien jusqu’au bout et n’allons pas sur un terrain sans aucun intérêt. A l’aune de tout ce que nous venons de dire, l’alternance est un non sujet dans un cadre colonial. Ce que l’Histoire indique aux peuples qui se sont retrouvés dans la situation que connaissent les africains ce n’est pas le choix entre des gens qui semblent ignorer totalement les lois de l’Histoire et qui se livrent à un combat inutile de coqs. La notion d’alternance n’est pas du tout dans le champ de la lutte de libération et de reconstruction nationale. Oublions donc cette notion et concentrons-nous sur le travail pour élever le niveau de compréhension et de conscience politique de notre peuple afin qu’il atteigne le point où il sera capable de forger ses propres moyens et son propre agenda en vue du combat décisif qui l’attend face au système qui l’opprime depuis si longtemps.
Entretien réalisé par Sylvestre Béni
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