C’est la grande question qui revient dans la nouvelle tribune de “CITE AU QUOTIDIEN” de Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE, rendu public à la date du 01 octobre 2021. Pour cette énième parution, les deux universitaires se questionnent sur l’avenir des pays africains après le 8 octobre 2021, date marquant un nouveau style avec les sociétés civiles.
Lecture
CITE AU QUOTIDIEN
MONTPELLIER, NOTRE BONHEUR MALGRE NOUS ?
Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Il y a quelques jours on a essayé de nous convaincre que certaines personnes savent ce qui convient aux citoyens togolais mieux que les intéressés eux-mêmes. Il est vrai que dans l’enfance, il arrive souvent que l’on essaie de nous convaincre qu’on peut vous faire du bien malgré vous, en vous interdisant telle ou telle chose, en vous faisant supporter tel ou tel désagrément. En matière de santé, on nous faisait ainsi avaler des potions amères, subir des injections douloureuses etc. Cette souffrance était-elle indispensable ?
Peut-être pas, puisqu’aujourd’hui, pour les enfants on essaie de donner bon goût aux
médicaments et, même pour les adultes, on met en place de multiples protocoles destinés à diminuer ou supprimer toute douleur inutile. C’est dans le même sens qu’on s’évertue à acquérir le consentement et même la collaboration du patient pour tout traitement qui comporterait la moindre gêne ou la moindre contrariété pour lui. Cela signifie qu’on privilégie le point de vue de l’intéressé sur ce qu’il lui faut pour son bonheur. Sur le plan national, la politique de la peur pour garantir la santé aux citoyens doit être revue. Et qu’en est-il sur le plan international surtout avec le prochain fameux sommet France-Afrique à Montpellier?
A la période coloniale, le Gouverneur Général E. CHAUDIE disait à des élèves le 20 juillet 1899: C’est grâce à la langue française que vous parviendrez à connaître votre pays, à en comprendre la valeur, à vous faire une idée de sa configuration. C’est grâce à elle, toujours, que votre intelligence se développera, que votre esprit acquerra les connaissances générales qui sont indispensables à tous les hommes, c’est grâce à elle, enfin, que votre cœur se remplira de bons sentiments et de qualités généreuses !
Après l’indépendance, on a toujours su ce qu’il y avait de mieux pour les Africains. Ainsi c’est avec assurance que François MITTERRAND affirmait à La Baule en 1990.
Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la
seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparait la nécessité
d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système
2 représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance
de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons.
Et il ajoutait Et, si je me sentais plus facilement d’accord avec ceux d’entre vous qui
définissaient un statut politique proche de celui auquel je suis habitué, je
comprenais bien les raisons de ceux qui estimaient que leurs pays ou que leurs
peuples n’étaient pas prêts.
Il taillait ainsi un costume prêt-à-porter que les chefs d’Etat africains ont utilisé jusqu’à l’usure surtout avec des élections frauduleuses et une mascarade de démocratie qui enferment des millions de citoyens dans l’impossibilité de changer des dirigeants soutenus vaille que vaille par la communauté internationale à cause d’obscurs intérêts. Le sommet de La Baule est apparu comme une ruse historique après les indépendances. Est-ce là la démocratie, régime de liberté auquel aspiraient les peuples africains ?
Et voilà qu’après les sommets France-Afrique avec les chefs d’Etat on nous annonce un sommet d’un nouveau style avec les sociétés civiles, nous dit-on, les intellectuels, les jeunes, les entrepreneurs, etc.
A quoi pouvons-nous nous attendre ? Voici la question que nous posions dans la
tribune « Encore des choix dictés par d’autres » du 15 mai 2020 :
Allons-nous encore une fois nous laisser traiter comme un malade qui est sur son lit
pendant que les médecins et internes, autour du lit, discutent de son état et du
traitement à lui appliquer comme s’il n’était pas là, …?
Au fond que pouvons-nous espérer en vérité de la rencontre de Montpellier ? Y aura-t-il du nouveau après le 8 octobre 2021 ? Notamment un changement substantiel des relations avec la France, une redynamisation, selon le mot employé par Benoît VERDEAUX,
Secrétaire Général du Sommet de Montpellier (RFI, 14 septembre 2021) ?
S’il devait en être ainsi, ce serait un changement bien brutal, car ces derniers temps nous n’en avons pas eu des indices très nets.
En effet, la manière dont on a traité la question du franc CFA à propos duquel rien
d’essentiel n’a changé depuis les temps coloniaux, le soutien du gouvernement MACRON à l’actuel pouvoir tchadien, qui rappelle les habitudes de la Françafrique, ne rassurent guère sur la volonté d’un changement d’attitude du pouvoir français. Montpellier 2021 serait-il une mise en scène pour avoir les sociétés civiles africaines et quelques intellectuels ?
Il parait que ce sommet de type nouveau devrait faire entendre les forces vives des pays africains (RFI, 14 septembre 2021) ! C’est vraiment étrange, vous ne trouvez pas ?
Ces forces vives qui, d’après nous, crient en Afrique depuis les années 1990, ces forces vives qui ont hurlé au Mali et en Guinée jusqu’à faire sortir les militaires des casernes, ces forces vives qui font monter leurs clameurs parce que l’alternance a été bafouée par les multiples changements de Constitution en Côte d’Ivoire, au Togo, au Congo, etc., ces
forces vives qui se font entendre à Paris, où leurs ressortissants ont souvent manifesté, n’ont-elles pas suffisamment dit ce qu’il faut entendre ?
3 Il y a peut-être une question de langue ? Mais nous sommes les champions de la
francophonie et qui parle mieux français qu’un intellectuel africain ? Ou alors il y a un
problème d’accent. Et pourtant il y a les amis des Français, Alassane OUATTARA et Alpha CONDE par exemple, et, ils ont bien un accent !
Ou bien alors, certainement, le sommet de Montpellier débouchera sur un miracle parce que là seront rassemblées les vraies forces vives de l’Afrique. Et pour appuyer cela on dit, à qui veut l’entendre, qu’Achille MBEMBE a piloté 66 ateliers à travers une bonne douzaine de pays. Cela serait beaucoup plus fiable que de s’en tenir aux événements de l’actualité en Afrique, où les organisations de la société civile, les syndicats, les associations de femmes, ne cessent de clamer leur aspiration au changement et d’exiger une nouvelle éthique dans les relations de coopération. C’est curieux que la France énonce des principes moraux pour récuser le recours à l’entreprise russe Wagner dans la lutte contre le terrorisme au Mali.
Les principes moraux et éthiques, qui n’ont pas pu être utilisés au Tchad et ailleurs depuis des décennies, vont-ils enfin guider ce sommet nouveau format de Montpellier et l’avenir des relations entre la France et l’Afrique ?
A partir du 8 octobre nous serons donc attentifs pour enfin connaître ces nouvelles forces vives, les entendre, les voir à l’œuvre ! En effet, ce sont les invités à ce sommet qui sont les plus habilités à parler des souffrances vécues en terre africaines, de la misère et du manque de libertés instaurées par une gouvernance soutenue par la France. Quel drôle de sommet !
Où se trouve l’humanisme tant vanté par les autorités françaises comme socle de la Modernité ? Quel est le vrai paradigme derrière ce sommet France-Afrique ?
Il parait que le pouvoir français, va éviter les attitudes de surplomb qu’on avait largement observées lors de la rencontre d’Emmanuel MACRON avec les étudiants Burkinabè en novembre 2017. Il parait surtout que c’est au sommet de Montpellier, que le pouvoir Français et ses invités Africains vont inventer la co-construction ! Il y avait déjà la coopération dont on a constaté les résultats catastrophiques pour les pays africains qui ne sont guère développés lorsqu’elle était à l’ordre du jour. Peut-être qu’il s’agit de se mettre tous ensemble pour construire la France ! Il nous semble qu’il en a toujours été ainsi mais à partir de Montpellier cela aura au moins le mérite d’être clair.
En tous les cas c’est de cette manière que, lors de ce sommet inédit, les Français choisiront pour les Africains, ce qui leur procurera un avenir radieux. Peut-être malgré eux, mais comme eux-mêmes ne savent pas où se trouve leur bonheur, il faut bien que quelqu’un s’en occupe !
Lomé, le 1 octobre 2021