Dire qu’on nous avait assuré que pour tout citoyen le droit constitue une protection, en particulier pour la veuve et l’orphelin, c’est-à-dire pour les plus faibles face à ceux qui seraient tentés de les brimer! Pourtant ces derniers jours, le citoyen togolais pouvait avoir la nette impression qu’on se servait du droit surtout pour nuire aux travailleurs, pour leur faire peur, pour les intimider.
Le droit serait-il du côté exclusif des plus forts ? Qui a alors droit au Droit ?
Dire qu’on nous avait affirmé que le droit assure à tous les mêmes privilèges, les mêmes prérogatives selon les circonstances ! Pourtant depuis quelque temps, il nous a semblé que le même droit peut permettre à l’employeur de ne pas honorer ses promesses tandis qu’il interdit au salarié de ne pas exiger que ces promesses soient tenues. Le droit viendrait-il annuler le proverbe qui dit « Chose promise, chose due » ou l’adage qui assure que la promesse est une dette, effaçant du coup les dettes de l’employeur ?
Dire qu’on nous avait dit que le droit exige que celui qui est accusé puisse se défendre avant d’être jugé et puni, que le droit permet d’établir des circonstances atténuantes, que grâce au droit on peut organiser des conciliations entre personnes en conflit, que le droit n’empêche en rien de faire preuve d’humanité !
Pourtant ces derniers temps, le citoyen togolais a l’impression qu’on le guette, qu’on l’attend au tournant, pour lui appliquer dans toute sa rigueur, en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, un texte de Loi choisi dans l’arsenal des dispositions prises en principe pour un meilleur vivre-ensemble.
Le droit serait-il devenu une arme pour exercer une sorte de vengeance à l’égard de celui qui a le malheur de n’être pas du bon côté ?
Oui, l’observation de notre vie sociopolitique au Togo mais aussi en Afrique, nous amène à nous interroger sérieusement sur le Droit dans les droits. Nous sommes d’autant plus inquiets qu’en dehors de notre pays il semble que ce soit la même chose sur le continent. En effet, si les principes adoptés par la CEDEAO disent qu’un coup d’État est inacceptable comme voie pour arriver au pouvoir, pourquoi la CEDEAO, ne s’élève-t-elle pas aussi contre tous les coups d’état institutionnels perpétrés par les chefs d’État dans son espace ?
Le droit ne protégerait-il pas tous les peuples, mais seulement certains de leurs ressortissants parvenus au sommet de l’État ?
Dans ces conditions, quels arguments pourrions-nous donner aux jeunes pour les encourager à faire des études de droit, en insistant sur la grandeur de celui-ci ? Ces derniers jours, on nous a plusieurs fois asséné ces mots : « Le droit, rien que le droit ! ». Mais, une question se pose : le fait de se référer au droit suffit-il pour que tout acte se justifie ? Le droit est-il Droit et surtout Juste parce qu’on aurait employé le mot magique droit ? En fait, au-delà même des interprétations contradictoires du droit, on peut faire la remarque suivante : des situations sociales inacceptables comme l’Apartheid en Afrique du Sud, la ségrégation raciale aux États-Unis, le nazisme en Allemagne, étaient pourtant légales. Cela signifie bien que tout ce qui est légal n’est pas pour autant toujours juste et que le légal qui a bien pour fonction de dire le Droit et le Juste ne le traduit pas toujours.
En effet le droit demeure attaché à certaines conditions sociohistoriques. Ainsi il semble à certains que les lois obligeant les femmes à porter le voile, ou leur interdisant de conduire une voiture sont injustes alors que les pays où ces lois existent, on les applique en toute sérénité. Ainsi le droit ne doit pas être présenté en toutes circonstances comme principe inattaquable, comme parole d’Évangile d’autant plus que les droits positifs malgré leur importance et nécessité ne sont pas hors de toute critique. Oui à la légalité mais la légalité a besoin de la légitimité et vice versa. La Loi dans une société est indispensable, elle est une norme mais dans l’application de la Loi, il peut y avoir, dans certains cas, abus de pouvoir : par exemple lorsqu’on met des entraves à liberté d’expression ou de manifestation, à la liberté de se réunir ou au droit de grève.
Et ceux qui n’assurent pas le droit à l’éducation, à la santé, au travail, de millions de citoyens, ignorent-ils ces Droits ou les bafouent-ils ? Par quels textes sont-ils alors punis ? Et qui va les brandir ?
Nous pensons que dans notre pays, comme dans toute l’Afrique d’ailleurs, les problèmes sociopolitiques de l’heure, ne relèvent pas simplement du droit, mais correspondent aux actions de citoyens qui, dans des situations de conflit entre eux et des représentants de l’autorité politique, tentent malgré tout d’obtenir un peu plus de bien-être matériel, de s’assurer finalement un peu de bonheur. Et il est difficile d’admettre qu’on les en empêche au nom du droit avec une certaine violence et la violence n’est pas que matérielle, elle est aussi verbale. Car qui ne comprend pas qu’au Togo la situation des enseignants n’est pas toujours enviable ? Qui ne sait pas qu’au Togo les salariés de la Fonction Publique ont bien des raisons de se plaindre ? Qui ne constate pas qu’au Togo travailler ne nourrit pas toujours son homme ? Oui il y a des efforts qui sont faits mais cela ne peut pas empêcher le désir de vouloir plus pour mieux vivre.
La violence des propos pour dire le droit, pour sanctionner avec la dernière rigueur des travailleurs, ne semble pas de mise lorsque ces travailleurs demandent simplement à vivre un peu mieux. Le droit est une science qui a pour finalité la cohésion sociale, il est de ce fait une science sociale, alors redonnons lui sa finalité et qu’il soit un outil capable de communiquer l’espérance qu’un autre monde est toujours possible car le dialogue est notre chemin puisqu’il reconnaît à chacun sa place pour un vivre-ensemble dans l’harmonie des différences.
Tout cela pourra-t-il réconcilier les jeunes avec le droit qui, lorsqu’il est bien dit, pourrait permettre en définitive de défendre le pauvre et le faible, le marginal et le laissé-pour[1]compte ? C’est notre contribution mais aussi c’est notre espoir.
[email protected] Lomé, le 12 novembre 202