Dans cette nouvelle édition de « Cité au quotidien », les universitaires Roger Folikoué et Maryse Quashie parlent de la perte de légitimité des institutions et la crise de l’autorité qui affectent les sociétés. « L’autorité n’a-t-elle pas pour mission la croissance de chaque individu et aussi le maintien de la cohésion sociale dans l’harmonie de la différence ? », s’interrogent-ils. Lecture.
Cité au quotidien : Choisir à bon escient les fondements de l’autorité
Par Maryse Quashie et Roger Folikoué
« La remise en cause des modèles d’éducation, la perte de légitimité des institutions reflètent la crise de l’autorité qui affecte les sociétés » écrivait Jean-Yves BAZIOU dans son livre Les fondements de l’autorité. Il constate dès lors que « notre société éprouve la fragilité de son organisation quand elle s’interroge sur une dimension qui lui est devenue problématique : l’autorité, tant dans sa nature que dans sa forme ». Il soutient alors l’idée de la fragilisation de l’autorité et du lien social. Sommes-nous en Afrique et au Togo en dehors de cette crise de l’autorité ? Difficile de répondre par l’affirmative. Le domaine éducatif peut constituer un cadre illustratif.
Dans la formation des enseignants, une des premières choses qu’on leur enseigne c’est de donner des bases correctes à leur autorité. Faut-il qu’ils s’appuient sur les prérogatives que leur donne leur statut ou encore les prérogatives prévues par les règles de fonctionnement administratif, sur des éléments psychosociologiques comme l’âge ou les capacités de séduction, ou sur leur expertise ?
La question se pose car quand les apprenants sont des enfants ou des adolescents, on peut jouer sur le statut administratif « Tu vas voir qui commande ici, tu obéis sinon je t’envoie à la direction ! » L’enseignant peut aussi utiliser son statut social d’adulte « Les enfants doivent respecter leurs aînés ! » ou manipuler les enfants en demandant par exemple « Qui est celui qui veut me faire plaisir ? ». Les études montrent que ces dernières stratégies peuvent marcher pour certains enfants et dans certaines circonstances, mais, il est clair que, pour celui qui veut faire œuvre de formation s’appuyer sur l’expertise est la meilleure solution, dans la mesure où l’autorité s’exercera d’autant plus facilement qu’elle est reconnue par les apprenants ; ceux-ci sont là pour apprendre et apprendre de quelqu’un dont ils acceptent « naturellement » les directives.
Par contre, les autres fondements sont parfois peu efficaces. Essayez, par exemple, d’obliger un enfant de quatre ans à obéir en lui démontrant à qui appartient le pouvoir, peut se retourner contre vous : il peut se buter et allez-vous le battre pour arriver à vos fins ? Et la séduction a ses propres limites dans la mesure où elle peut vous amener à renoncer à vos prérogatives pour garder de bonnes relations avec les apprenants.
Pourquoi ce long développement sur l’autorité ? Parce que dans la vie sociale ces remarques tirées de l’observation des petits groupes comme les classes, s’appliquent aussi en général, car il n’y a pas de vie en société sans l’autorité. Ainsi en est-il de celui qui veut ramener ’ordre en s’appuyant uniquement sur les pouvoirs, discrétionnaires ou pas, que lui donne son statut administratif ou politique. La première conséquence est qu’il est obligé de passer par des punitions pour faire plier les plus récalcitrants, mais jusqu’où pourrait-on aller dans l’escalade des punitions ? Et c’est une fois de plus l’étude des petits groupes qui montrent que l’explication est la meilleure des sanctions car permettant aux protagonistes de s’entendre sur leurs droits et rôles respectifs.
La seconde conséquence, la plus fréquente, est celle-ci : on peut obtenir une sorte d’obéissance qui va se manifester par un silence qui semble rassurant. Mais celui-ci est illusoire car il est nourri par toute l’agressivité accumulée par les punitions, les injonctions péremptoires, les menaces, jusqu’au jour où cette agressivité explose alors dans une révolte aussi incontrôlable qu’imprévisible.
L’histoire montre aussi qu’il ne faut pas se fier aux situations où la majorité semble silencieuse car cela peut préparer autre chose. Ainsi aux moments ou l’apartheid était le plus fort en Afrique du Sud, il existait un ministère de la Loi et de l’Ordre. La dénomination du ministère même montrait bien les intentions du régime, et il a fait grand usage de cela en emprisonnant, molestant et tuant jusqu’au jour où il lui a été impossible de contenir les résistants de plus en plus nombreux, de plus en plus déterminés. La force de l’autorité ne réside pas avant et toujours dans des sanctions prononcées. Ceux qui ont vécu la terreur de l’apartheid, pouvaient-ils croire que les Noirs et les défenseurs des Droits de l’Homme en Afrique du Sud verraient Mandela sortir de prison en 1990, aller jusqu’à conduire les destinées de son pays de 1994 à 1999 ?
Lorsque la majorité finit par sortir de son silence après avoir été longuement brimée, les résultats ne sont pas toujours positifs. Ne peut-on pas les éviter en redécouvrant le vrai sens de l’autorité ? Il est regrettable que certains analystes politiques parlent avec une sorte de mépris de « la rue » qui voudrait, à un moment donné, dicter sa loi alors que l’on pouvait l’éviter et par conséquent éviter le désordre.
Dans l’histoire récente, le cas du Burkina, du Mali et de la Guinée ne doivent-ils pas questionner les gouvernants africains ? Faut-il continuer à faire semblant au lieu de repenser les fondations de nos nations par l’organisation de vraie transition ? Le coup d’état militaire qui a eu lieu le 25 octobre 2021 au Soudan doit donner aussi à réfléchir. N’est-il pas du devoir des autorités de savoir anticiper les choses dans des situations de crise qui perdurent dans nos sociétés? Le Soudan était mené par une des dictatures les plus dures qu’ait connues le monde, celle d’Omar El Béchir et c’est grâce à des manifestations que ce régime est tombé en 2019, redonnant l’espoir à tous ceux qui souffrent dans des systèmes de gouvernance autocratique. Et voilà que même pas trois années après, les militaires font encore un coup d’état. Pour restaurer l’ordre ? Les citoyens appellent à la résistance. Et ils n’ont d’autres armes que les manifestations. Veulent-ils faire entendre la voix de la rue ou la voix du peuple ? Il est important que nos analyses fassent bien la différence, car de ce choix dépend, l’acceptation, la reconnaissance de l’autorité, et donc la légitimité qu’on confèrera par exemple au gouvernement de transition que les militaires ont renversé au Soudan.
Dans un autre cas, pour faire entendre sa voix, la voie la plus simple pour le travailleur est de passer par le syndicat ou la centrale syndicale de son choix. C’est le chemin que les travailleurs togolais ont spontanément pris depuis longtemps déjà (Loi N° 52-1322 du 15 décembre 1952, promulguée au Togo le 24 décembre 1952) mais cette option a été bien souvent mise à mal par exemple de 1969 à 1990 avec la fusion de tous les syndicats dans la CNTT, aile marchante du parti unique avec le choix d’un syndicalisme participatif sans débat ni contestation.
Depuis 1990 le pluralisme syndical est de nouveau restauré mais cela ne facilite pas pour autant l’action syndicale. C’est ainsi que depuis quelques mois, syndicalistes et travailleurs du secteur de l’enseignement se sont vus durement rappelés à l’ordre à plusieurs reprises. Quel est leur recours à l’heure actuelle, alors que pratiquement tous les enseignants de tous les degrés d’enseignements dépendent pratiquement d’un seul employeur ?
Il faudrait peut-être qu’on rappelle à cet employeur les observations que nous avons rapportées à propos du fonctionnement des petits groupes. En particulier, ne faudrait-il pas plus explorer les voies de la discussion pour régler les problèmes ? Mais avant cette discussion, il est important que tout soit mis bien à plat, que la situation des travailleurs du secteur de l’enseignement soit correctement exposée, que les lois auxquelles on fait appel à tout bout de champ (par exemple celle d’une prétendue obligation de réserve) soient explicitées et revues, et surtout que le peuple togolais puisse s’exprimer sur ce qu’il attend de son système éducatif, car c’est bien au peuple que le système éducatif appartient. C’est seulement après de telles assises, les états généraux de l’éducation promis depuis si longtemps mais jamais organisés, que la discussion entre travailleurs et employeurs pourra devenir réalité.
En finir avec les accords toujours signés à la va-vite après un préavis de grève, toujours partiellement appliqués et donc sujets à revendications d’année en année, cela ne fera-t-il pas de l’employeur qui osera organiser ces états généraux, un expert en matière d’éducation, expert dont les avis seront écoutés, plutôt que se rassemblent sur sa personne toutes les rancœurs parce qu’il assoit maladroitement son autorité sur son pouvoir administratif ou politique ?
L’autorité n’a-t-elle pas pour mission la croissance de chaque individu et aussi le maintien de la cohésion sociale dans l’harmonie de la différence ?
Lomé, le 29 octobre 2021
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