Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Pourquoi ? Nous avons tous eu des moments d’échange avec des enfants dont toutes les phrases commençaient avec ce mot. La série des pourquoi se poursuit jusqu’au moment où il y a une question à laquelle on n’a même pas de réponse à proposer et on renvoie l’enfant avec plus ou moins de brusquerie. Mais, nous le savons bien, l’enfant, qui découvre le monde qui est autour de lui, a besoin de le comprendre, et il s’adresse alors à la personne qui, d’après lui, détient les réponses : l’adulte. Cette recherche d’explication continue tout au long de notre vie. A l’adolescence, on a du mal à obéir si on ne nous explique pas les ordres. L’adulte a encore plus besoin d’explications, car, en toute situation, son choix de comportement dépend de la perception claire qu’il a des tenants et des aboutissants de ladite situation.
Pourtant les citoyens togolais restent avec de multiples “pourquoi” coincés en travers de leur gorge. Nous ne prendrons comme exemple que la gestion actuelle de la pandémie du COVID-19. Nous passons sur la sévérité du couvre-feu de mars-avril 2020, sur le manque de proportion entre les problèmes économiques des familles et la taille de l’aide aux plus démunis, l’interdiction d’aider les élèves par des cours de rattrapage au moment de la fermeture des écoles, etc.
On en est finalement arrivé à la vaccination comme solution. Mais, nous avons déjà posé cette question dans une tribune récente, comment convaincre les citoyens de se faire vacciner lorsque les contaminations reprennent de plus belle dans des pays où la couverture vaccinale dépasse les 80% et où on est obligé de recourir à une troisième injection ?
Au Togo, est-ce parce que la majorité des adultes n’est pas alphabétisée que les explications sont données au compte-gouttes ? Il n’y en a d’ailleurs pas plus avec les étudiants dont on ne peut pas dire qu’ils sont analphabètes : pas de mesures de distanciation pour aller s’inscrire, mais obligation de se vacciner pour passer les examens ? Mais revenons aux adultes, alphabétisés ou pas, ils s’informent et veulent comprendre : tantôt, en septembre c’est à cause de la hausse des contaminations, tantôt en novembre c’est parce que la situation a évolué positivement qu’on prend les mêmes mesures. Et le doigt est toujours pointé sur les lieux de culte. Y aurait-il eu des études qui montrent que ce sont les lieux de culte qui favorisent avant tout la propagation du virus, et non les marchés, les écoles, les transports, les bars ? Personne n’a rien dit à ce sujet. Alors les croyants en déduisent, et c’est logique, qu’on en veut spécialement aux religions.
Sans explication claire, il serait difficile de saisir les raisons de certaines décisions et dans le cas d’espèce, on peut avoir l’impression qu’on veut empêcher des citoyens de jouir d’une liberté, la liberté religieuse. La liberté religieuse fait partie des droits fondamentaux et à ce titre, elle fait partie des Droits de l’Homme. Ces droits-principes passent nécessairement par les libertés publiques qui sont une forme de reconnaissance des droits-principes dans les différents États. Et le fait que les libertés publiques, dans notre pays, reconnaissent, organisent et règlementent ces droits-principes est une bonne chose. La liberté religieuse est une liberté fondamentale et on sait qu’il n’existe pas de liberté absolue ; elle est donc soumise à la Loi. Mais n’a-t-on pas le droit de savoir ce qui justifie les restrictions à la jouissance d’une liberté fondamentale et de façon générale aux droits fondamentaux ? « La personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse, nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres » (N° 2 de la Déclaration sur La liberté religieuse du Concile Vatican 2).
Les explications sont absolument indispensables pour débloquer la situation actuelle. En effet, le citoyen togolais se pose des questions : voudrait-on le punir par hasard de ne pas se déplacer massivement vers les lieux de vaccination ? Même si c’était le cas, les études en éducation montrent que les sanctions qui ont le plus d’effet sont celles qui sont fondées sur l’explication et non sur tout ce qui essaie d’infliger une souffrance physique (châtiment corporel) ou morale à la personne. Ainsi décider et sanctionner sans explications ne donnera pas d’effet autre qu’un comportement superficiel basé sur la peur du châtiment. On peut porter, par exemple, le masque lorsqu’il y aura des uniformes de forces de l’ordre en vue, et ailleurs et en d’autres moments on ne verra pas l’utilité du masque. Est-ce, ce que l’on cherche en vérité ? Le citoyen doit être traité comme un adulte capable de comprendre et alors il agira en adulte responsable parce que suffisamment informé.
Alors, dans l’espérance, nous attendons avec confiance qu’on s’occupe des secteurs où les informations nous manquent cruellement :
– dans la mesure où la vaccination ne semble pas avoir une totale efficacité dans les pays occidentaux où se développe une cinquième vague de contaminations, plutôt virulente malgré la vaccination complète (2 injections) d’un pourcentage important de la population (80% en France) qu’attend-on de la vaccination au Togo ?
– puisque les marchés, les écoles, restent ouverts, ce qui est une bonne décision, pourquoi les lieux de culte se révéleraient-ils spécialement dangereux ?
– la liberté de vaccination n’est-elle pas protégée au Togo ?
– jusque-là l’Afrique est le continent le moins touché par la pandémie. Y a –t-il eu des études qui essaient de comprendre cela, de manière à bâtir notre réaction au COVID19 à partir des résultats de ces études ?
– quels sont les résultats, les pistes qu’offrent les travaux avec les tradithérapeutes ?
Voilà quelques-unes des questions parmi tant d’autres qui préoccupent le citoyen togolais.
A quand une émission radio ou télé ouverte, une rencontre qui donnerait l’occasion aux citoyens, non seulement de poser librement toutes les questions qui leur tiennent à cœur, mais surtout d’entendre la réponse à ces questions sans langue de bois de la part de tous ceux qui organisent la lutte contre le COVID-19 ? Est-ce que cela ne rendrait pas un immense service à toute la communauté ? La parole échangée en toute liberté dans l’espace public ne constituerait-elle pas aussi une forme de thérapie, au plan sociologique, anthropologique et culturel, en ce temps de crise où les autorités s’engagent pour le bien-être des citoyens ?
La vérité est sans aucun doute indispensable, car comment choisir correctement un comportement responsable lorsqu’on reste dans le flou à propos de ce qui constitue une question de vie ou de mort ? Ce sont les explications fondées sur la vérité qui transformeront des individus récalcitrants en adultes coopérant à une politique de santé publique allant dans le sens du bien de tous.
Lomé, le 3 décembre 2021