Nous avons un devoir de solidarité avec les personnes qui depuis plus de deux ans nous permettent d’exercer notre droit à la parole en publiant dans leur organe de presse, fidèlement chaque semaine, une tribune où nous commentons l’actualité, où nous donnons notre point de vue, d’où nous lançons des appels à la réflexion pour la re-construction du lien social… Jamais cette tribune n’a été censurée, jamais un mot donnant une orientation. Notre devoir de solidarité consiste à continuer à écrire si L’Alternative continue à paraitre, et d’observer le silence si L’Alternative est réduite au silence.
Nous avons un devoir de solidarité avec les professionnels de l’Information car ils ont le droit d’exercer leur profession même si cela pose des problèmes à certaines personnes. Une génération de citoyens togolais encore vivants ont connu les temps où il n’y avait qu’un seul son de cloche, où l’information était toute orientée dans le même sens. Cela était très difficile à vivre.
Nous avons un devoir de solidarité envers ceux qui donnent réalité à la pluralité des sources d’information laissant au citoyen le droit de choisir lui-même sa source, de trier le vrai du faux, en un mot d’exercer ses droits dans l’univers des communications sociales.
Nous avons un devoir de solidarité avec les citoyens togolais dont la liberté est mise à mal parce qu’ils ont pensé qu’ils avaient la possibilité d’exercer leur droit à la parole dans leur propre pays.
Nous avons un devoir de solidarité avec tous ceux qui n’acceptent pas que notre pays revienne aux temps où on avait peur de donner son opinion, que notre pays soit plombé par le règne de la peur.
Nous avons un devoir de solidarité avec toutes les femmes et hommes de bonne volonté, toutes les institutions et tous les organismes de défense des Droits de l’homme, qui ont pris la parole au Togo et hors du Togo, pour défendre les libertés publiques dans notre pays.
Tous, nous ont ainsi donné le droit d’exister grâce à des textes de lois qui dépassent les frontières, qui sont au-dessus de tous les pouvoirs, alors que nous citoyens togolais avons souvent l’impression de ne pas vraiment exister face à la loi du plus fort.
Nous avons un devoir de solidarité avec tous ceux qui tentent de rappeler à la société togolaise (gouvernants comme gouvernés) que la diversité des opinions est une richesse pour notre pays et que le débat contradictoire est inhérent à l’espace public. Les libertés individuelles sont donc des droits indispensables pour la vitalité de l’espace public et voilà pourquoi nous devons tous les défendre et les protéger dans la recherche constante de l’édification de l’Etat de droit. Et la Loi doit être un garde-fou pour tous.
Notre devoir de solidarité nous l’avons ainsi décliné de plusieurs manières parce que nous nous sentons appelés à le remplir pour notre part mais en même temps il nous semble important d’être nombreux à accomplir une telle démarche. Car l’accès à l’information est non seulement un droit mais c’est aussi et surtout une ressource vitale pour un savoir-être et un savoir devenir dans la communauté.
En conséquence, notre devoir de solidarité exige également de lancer un appel à toutes les bonnes volontés de notre pays pour la re-construction du lien social au-delà de toutes les déchirures et blessures. L’amour de la patrie doit nous pousser à savoir qu’il n’est jamais trop tard pour mieux faire, et que si le but recherché dans une Nation est la concorde sociale alors il est encore temps de re-construire ce qui part en lambeau et qui résulte de nombreuses frustrations.
Réussir la construction d’une nation solidaire passe par la reconnaissance de chaque membre et de ses droits fondés dans la même dignité, celle à laquelle chacun de nous tient quand il parle de lui-même. Savoir que cette dignité est la même pour tous doit nous faire agir autrement. De ce fait, le droit à l’existence implique le devoir d’être le gardien de l’autre. Et c’est dans cette optique que la question « qu’as-tu fais de ton frère» est intimement liée au droit d’existence auquel nous tenons tous. Comprendre à la suite du philosophe Paul Ricœur que « l’autre est le plus court chemin pour aller à soi » nous invite à re-construire notre pays dans un esprit d’apaisement.
Oui l’être humain, tout en assumant ses actes, n’est pas la somme de ceux-ci, si mauvais soient-ils. Mais, tout en puisant dans ce qui fait de chacun de nous un humain, malgré les différentes blessures historiques, il est capable d’agir autrement et dans le bon sens. Le droit à l’existence s’accompagne alors du devoir de veiller sur l’autre et de lui reconnaître sa dignité. La lutte pour la reconnaissance de l’autre devient ainsi la condition de notre droit d’exister.
Si exister c’est co-exister, la co-existence se déroule dans le temps avec des moments de déchirures et du délitement social et il nous revient à chaque instant de re-nouer les liens sociaux par l’identification de ce qui n’a pas été bien fait et qui est source de crise afin de le corriger. N’est-ce pas le but d’un processus de réconciliation ? Mais ce processus peut-il aller au bout sans la vérité et un devoir de mémoire qui permet de nommer les faits délictueux et criminels afin de ne plus les répéter ? Ce processus peut-il réussir sans un véritable pardon qui suppose un aveu et une véritable volonté de ne plus recommencer ?
Le mérite du pardon dans la co-existence c’est qu’il délie l’agent de son acte en lui signifiant qu’il est capable de mieux faire et il libère la victime du désir de vengeance, source d’une spirale de violence.
Pour le bien de la nation togolaise, pour la co-existence pacifique, pour apaiser les cœurs et pour nous donner ensemble la chance d’un nouveau départ ne serait-on pas en droit d’attendre des gestes de décrispation et d’apaisement des autorités publiques ?
Cela serait-il impossible ? Nous, nous croyons que c’est possible car sans cela notre combat qui, entre autres actions, nous pousse à écrire semaine après semaine n’aurait pas de sens. En effet notre but est de construire une société où chacun aurait droit à sa différence, une société où tous comprendront qu’on s’enrichit des différences. En effet : comment comprendre et surtout goûter l’harmonie dans un monde où tout a la même couleur, la même saveur ?
Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Lomé, le 23 décembre 2021