Cité au quotidien : Quelle prophétie pour l’Afrique ?

Nouvelle édition de la Chronique “Cité au quotidien”. Cette fois, Maryse Quashie et Prof Roger Folikoué dressent une analyse de la situation actuelle dans la sous région ouest-africaine, notamment l’escalade diplomatique entre le Mali et la France. Bonne lecture.

Cité au quotidien : QUELLE PROPHÉTIE POUR L’AFRIQUE ?

Si on demande à un Ewé d’imaginer l’oiseau qui accompagne la déesse de la Sagesse en Europe, (Athéna dans la mythologie grecque, Minerve dans la mythologie romaine) il aurait du mal à proposer la chouette, car dans sa culture tous les oiseaux de la famille de la chouette, ne sont pas vus de façon très positive ; ils portent le malheur puisqu’ils sont considérés comme oiseaux des sorciers et des sorcières.

Dans ce cas on peut se dire que le même événement prend des colorations différentes selon qu’il est présenté par l’oiseau des Grecs ou l’oiseau des Ewé, et chez ces derniers, cet oiseau est un marqueur plutôt négatif. Pourtant lorsqu’ on prend les événements importants de ces dernières années l’oiseau de Minerve, symbole de la connaissance, de la sagesse, de la perspicacité, semble se tromper puisque non seulement, c’est lui qui annonce le malheur, mais en plus ce malheur ne se réalise pas.

Ainsi au début de la pandémie du COVID-19, l’OMS avait prédit une catastrophe pour l’Afrique. Or si l’Afrique a été effectivement touchée on en est pas encore arrivé au désastre prédit, qui a concerné plutôt les pays les plus nantis d’Europe et d’Amérique. On a ensuite, présenté le vaccin comme la voie de salut contre le COVID-19 et on s’inquiétait du faible taux de vaccination sur le continent africain.

Là aussi, les faits ont démenti les prévisions : alors que le variant Omicron fait des dégâts en Occident, où plus des trois quarts de la population sont vaccinés dans certains pays, les autorités des pays occidentaux en sont à recommander à la fois de multiplier les rappels et de vacciner des personnes de plus en plus jeunes, les enfants à partir de 5 ans. On est tellement désemparé, dans cette partie du monde, qu’on commence à laisser tomber les mesures barrières, le masque à l’extérieur par exemple.

Pendant ce temps, en Afrique où on n’arrive pas à obliger les gens à se faire vacciner même pour une première dose, malgré les communiqués alarmistes des autorités, la situation n’est apparemment pas aussi catastrophique qu’on l’avait annoncée. En outre, que penser de la déclaration du militaire français qui a dit qu’ils sont revenus au Sahel pour y rester 100 ans, cela va-t-il se réaliser ? Ce n’est pas ce que la situation actuelle, au Mali principalement, semble indiquer. Bref, il semble bien que l’oiseau de Minerve, symbole de sagesse et de connaissance, ne donne pas de bons conseils aux dirigeants Occidentaux en ce moment.

Ainsi, en l’espace de quelques mois, ils prennent des positions qui font “le grand écart”, du nom de cette position du corps, où les jambes forment un angle de 180°, désignant au figuré la situation où on fait l’impossible pour concilier deux choses inconciliables. En effet, comment annoncer une nouvelle ère de partenariat avec les Africains à Montpellier et quelque temps après les traiter de tous les noms lorsqu’ils prennent leurs responsabilités en envisageant d’allonger le temps d’une transition politique ?

Comment, à quelques mois d’intervalle, dénoncer les coups d’état militaires dans certains pays comme le Mali ou la Guinée et installer en grande pompe un gouvernement militaire au Tchad ? Comment ose-t-on qualifier d’illégitimes les gouvernements de transition issus de coups d’état militaires alors qu’on soutient ceux qui sont issus de tripatouillages et de violation des constitutions, comme en Côte d’Ivoire, et surtout en Guinée où les deux situations se sont succédées ? L’Afrique serait-elle devenue imprévisible ? Échapperait-elle enfin aux prédictions et prospectives pessimistes, teintées de fatalisme ? Sortirait-elle enfin de l’image de continent maudit ?

De fait, plusieurs faits et événements allaient déjà dans ce sens sans qu’on n’y prête vraiment attention : Rappelons-nous, au début de la pandémie, l’inventivité des Africains. Qu’est-ce qui n’a pas été proposé : des mécanismes et appareils de protection, des dispositifs techniques pour le traitement, des produits issus de plantes. Et au plan politique, les difficultés d’IBK pour faire taire la rue, qui protestait déjà contre la présence française au Mali, indiquaient déjà que la situation de la force Barkhane ne demeurerait pas longtemps aussi confortable qu’auparavant.

Les autorités françaises ont préféré accuser la Russie et la Turquie de manipuler les Africains, jugés incapables évidemment de se faire une opinion par eux-mêmes. En 2019, certains pensaient qu’on en aurait vite fini avec la question du franc CFA, vite remplacé par l’Eco sans trop de changement dans la politique monétaire. Les hésitations sont toujours à l’ordre du jour, alors que l’Afrique de l’Ouest est secouée par une crise politique dont la sortie sera suivie certainement d’un bouleversement des équilibres géopolitiques.

Et pour ce qui est du Coronavirus, très rapidement, l’inventivité semble s’être éteinte, et les pays Africains, dont les réalités sont bien différentes des pays occidentaux, s’alignent pour imiter servilement les mesures prises en Europe. Il est sûr que les intérêts des groupes pharmaceutiques ont lourdement pesé dans la balance. Quoi qu’il en soit l’inventivité des Africains, devrait avoir mis la puce à l’oreille des acteurs politiques tant Occidentaux qu’Africain qu’un changement se profilait à l’horizon. Avons-nous raison de citer tous ces faits et événements comme signes avant-coureurs du fait que le 21ème siècle sera celui de l’Afrique ?

Il serait, peut-être, utile de se rappeler de la célèbre affirmation de Hegel : « Ce n’est qu’au début du crépuscule que l’oiseau de Minerve prend son envol ! ». Il voulait dire par-là que la philosophie, symbolisée par l’oiseau de Minerve, ne comprend bien un processus historique que lorsqu’il est arrivé à maturité, pratiquement achevé. Rien ne nous empêche alors, en effet, nous les citoyens africains, de décoder l’actualité autrement que ne le dictent les oiseaux prophètes de malheur, qu’ils soient africains ou européens.

Ainsi, cela fait pratiquement un demi-siècle que les Togolais étouffent sous la pression d’un régime autocratique. On pourrait en déduire que le changement peine à arriver et peut-être se décourager. Mais on peut aussi se demander comment cela se fait que ce régime est toujours obligé d’employer la violence, une sévère répression, la fraude électorale pour se maintenir ? Cela ne signifie-t-il pas qu’il trouve toujours face à lui une résistance qu’il n’arrive pas à faire plier ? Et lorsqu’on aura suffisamment expérimenté la panne d’idées qui paralyse actuellement les partis politiques, au lieu de penser qu’on n’a plus rien à attendre d’eux, le moment ne sera-t-il pas plutôt venu qu’on leur fasse envisager ce qui était inenvisageable auparavant, c’est-à-dire, s’asseoir et discuter ? Et pour ce qui est de l’action citoyenne, peut-on encore nous raconter n’importe quoi ?

N’avons-nous pas les moyens de nous informer malgré l’étouffement des libertés individuelles ? Et nous le savons, un homme informé est plus fort pour prendre les décisions adéquates, en l’occurrence celle de nous concerter dans la sous-région ouest africaine pour poser des actes forts. Le vrai signe du changement, n’est-ce pas ce que la société civile ouest africaine a obtenu d’un chef d’Etat de la sous-région le 10 juillet 2021, un engagement solennel à respecter le nombre de mandats prévu par la Constitution nationale ?

De « L’Afrique humiliée » d’Aminata TRAORE à « Réussir l’Afrique » parce qu’elle est notre projet de KÄ MANA, la jeunesse africaine en est la promesse, une parole vivante et agissante.

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Lomé, le 04 février 2022

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