Par Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE
C’est entendu, le système de parti unique a été un véritable échec pour l’Afrique car point n’est besoin de rappeler la souffrance des Africains qui ont été assujettis à ce régime. La mobilisation populaire exceptionnelle des années 1990 contre ce régime en témoigne aussi largement, de même que la tenue des conférences nationales.
Trente années après, les régimes qui ont suivi sont aujourd’hui en train de vivre une crise à leur tour. En effet, les gouvernants n’ont pas été fidèles aux Constitutions adoptées à l’issue des années 90. Et aujourd’hui ce sont pratiquement les mêmes équipes qui sont au pouvoir, illégitimes de deux points de vue :
- les élections qui les ont amenés au pouvoir sont frauduleuses ;
- la constitution a été tripatouillée pour leur faciliter le maintien au pouvoir quel que soit le nombre de mandats effectués.
En plus de cela, les ressources des pays ont été pillées par une corruption pratiquement sans imites à cause d’une justice instrumentalisée, alors que la population s’appauvrit de jour en jour avec des systèmes sociaux (santé, éducation) pour ainsi dire à terre. Lorsque cette population essaie de protester, elle est sévèrement réprimée alors que les libertés individuelles (expression, réunion, manifestation) sont largement niées.
D’une façon générale, les pays n’ont pas connu le développement promis et avec l’aide d’une communauté internationale complice à cause de ses intérêts propres, les autorités de ces pays se donnent des images prestigieuses et flatteuses grâce à des concepts vides de contenus comme l’émergence.
Après plusieurs décennies de ce type de gouvernance, on en arrive à des expressions violentes du ras-le-bol, par le biais d’insurrections populaires et ces derniers temps par les coups d’état militaires en série qui secouent la sous-région ouest-africaine.
En fait la question n’est pas de savoir s’il faut ou non justifier un coup d’état. En effet, la violence ne se justifie pas que ce soit celle issue d’un coup de force constitutionnel, ou celle de la prise de pouvoir par les militaires. Ce qui compte, c’est ce qui se passe après l’événement violent ; c’est ce qu’on en fait. L’histoire de cette même Afrique de l’Ouest le montre bien. Ainsi pendant la dizaine d’années ou les Voltaïques étaient satisfaits de la
gouvernance de Sangoulé LAMIZANA, personne ne s’est souvenu de son arrivée au pouvoir par un coup d’état militaire en 1966 et la Haute-Volta de l’époque était présentée comme un havre de paix et de démocratie. Toujours au Burkina Faso, aujourd’hui on s’indigne plus de l’impunité des assassins de Thomas SANKARA que du coup d’état du 04 août 1983 qui
l’amena au pouvoir avec son ami Blaise COMPAORE.
Et Jerry John RAWLINGS, qui a fait deux coups d’états (1979 et 1981) ? Pourtant ce qu’on lui reconnait ce sont les deux mandats qu’il a effectués entre 1992 et 2000, mandats qui ont permis au Ghana de devenir un pays qui compte en Afrique de l’Ouest tant au plan politique qu’économique. Aujourd’hui plus personne ne peut douter de la gouvernance
démocratique qu’il a instaurée.
Dans le cadre de consultation de l’Histoire, il ne faut pas manquer d’évoquer le cas du Togo. En effet, notre pays a lui aussi connu deux coups d’état en 1963 et 1967. Lors du premier le 13 janvier 1963, l’armée donne le pouvoir à Nicolas Grunitzky en tant que président, avec Antoine MEATCHI, comme vice-président. Le pouvoir est réparti entre les deux fonctions par
la Constitution de la Deuxième République adoptée le 16 janvier 1963. Ce bicéphalisme ne résiste pas aux rivalités partisanes et, peu après avoir déjoué une tentative de coup d’État (21 novembre 1966), l’armée prend de nouveau le pouvoir le 13 janvier 1967 ; la Constitution est suspendue, l’Assemblée nationale dissoute, les partis politiques interdits, un nouveau gouvernement militaire est installé.
Cette période « de transition » dure jusqu’en 1979, soit douze ans durant lesquels le nouveau chef de l’État étend son autorité, malgré – ou en raison – des accidents et des complots (1974, 1977, 1981, 1985) fomentés contre lui. Il détient la totalité du pouvoir qu’il appuie sur le culte de la personnalité, la communication de masse et les démonstrations de la force armée. Préoccupé d’abolir les rivalités internes du pays, il crée en 1969 un parti
unique destiné à rassembler tous les Togolais dans un même creuset national : le Rassemblement du peuple togolais (R.P.T.).
La Constitution du 30 décembre 1979 fonde la Troisième République. Celle-ci consacre la primauté du parti, qui intervient directement dans l’exercice des compétences constitutionnelles essentielles, contrôle l’élection de toutes les autorités de l’État et des collectivités locales. Ainsi le Président de la République est élu au suffrage universel direct sur proposition du parti dont il est le chef.
Quelle est la spécificité du cas Togolais ? On le voit bien, la transition mise en place entre 1967 et 1979 n’a pas coïncidé avec un changement de régime, ni avec un changement de personnes. Les deux coups d’état se sont réduits à maintenir les militaires au pouvoir. Ainsi, au lieu de passer à un système plus démocratique, à partir de 1967, le régime ne change pas vraiment puisqu’il est de plus en plus autocratique, jusqu’en 1979 où on en arrive au parti
unique.
Par ailleurs, il ne suffit pas de laisser tomber l’habit militaire, et de changer de statut en passant à celui de civil, pour que l’on puisse parler de changement de personnes. De 1967 à 1979 les mêmes personnes forment la classe politique au pouvoir. Au regard de tout ce qui s’est passé et de ce qui se passe actuellement sur le continent, il est évident qu’il existe un malaise dans l’organisation du vivre-ensemble dans les États et cela conduit à des crises politiques successives. La refondation politique devient une exigence incontournable et cette refondation ne peut passer que par une période de
transition.
La transition est alors une période de refondation du vivre-ensemble (politique) basée sur des valeurs consensuelles qui apparaîtront dans la Constitution. Il s’agit pour l’Afrique de changer fondamentalement de régime politique et non d’adopter un régime au plan formel sans un réel changement des pratiques. Il s’agit alors, en l’occurrence, d’opter pour le modèle démocratique susceptible d’instaurer des institutions justes, crédibles et légitimes, de favoriser l’alternance, de donner à tous les citoyens l’opportunité d’apporter leurs
contributions. Et donner la possibilité à tous de participer à la vie politique consiste à redonner la parole à la grande muette qu’a été la société civile. Cela ne peut se faire sans le rétablissement des libertés individuelles. « La terreur et la répression comme principes de gouvernement conduisent au gel des idées, c’est-à-dire à celui des initiatives et des intelligences… Un peuple qui vit dans la terreur permanente est un peuple atrophié » (Tidiane DIAKITE). La période de transition apparaît dès lors comme une période de refondation mais
aussi d’apprentissage qui permet de passer de l’ancien régime à un nouveau régime à la fois au niveau des institutions que des pratiques et de la mentalité. Et dans ce contexte, « la démocratie, selon DIAKITE, est l’expression de la volonté de la majorité tempérée par le respect de la minorité. » Tels sont les traits d’une transition réussie, tels qu’on peut les décrypter après l’analyse des situations dans les pays africains.
Peut-être faudrait-il redonner ces traits à la CEDEAO de façon à ce qu’elle les utilise comme critères pour juger de la bonne foi d’un gouvernement de transition ? Et peut-être faut-il mettre l’accent sur l’obligation de protester contre la violence de tous les coups d’état, mais aussi sur la nécessité de donner du temps aux acteurs de la transition pour satisfaire à ces critères ? Mais la CEDEAO, elle-même née dans le contexte de parti unique,
n’aurait-elle pas besoin d’une période de transition pour l’instauration, en son sein, d’organes démocratiques et l’adoption de pratiques démocratiques ?- [email protected]
Lomé, le 11 février 2022
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perfect. Que Dieu aide mon beau pays