Il est indubitablement l’un des meilleurs commissaires d’exposition en Occident actuellement. Se définissant lui-même comme « un travailleur culturel, c’est-à-dire curateur et consultant en art contemporain, Kisito Assangni a fait son trou en France et en Angleterre. Dans une interview exclusive qu’il accorde à Icilome, il est revenu sur son parcours de Lomé en Europe, précise le rôle d’un curateur, fait l’état des lieux de l’art dans son pays d’origine et souhaitant qu’« une école de formation en arts plastiques » soit construite au Togo, « exactement comme la création du Palais de Lomé ».
Vous êtes un curateur et consultant togolais vivant en Occident. Est-ce que vous pouvez vous présenter davantage à nos lecteurs Monsieur Kisito Assangni?
Né à Lomé et vivant entre Londres et Paris, je me définis comme travailleur culturel, c’est-à-dire curateur et consultant en art contemporain. J’interviens aussi dans des écoles supérieures d’art et collabore régulièrement avec des magazines internationaux.
On peut avoir une idée sur votre parcours artistique depuis Lomé jusqu’en Europe ?
J’ai commencé à être obsédé par l’art au lycée dans les années 1996 à Lomé. J’allais à la bibliothèque du Centre Culturel Français en découvrant au gré du hasard des expositions de peinture et sculpture dans le hall. Passionné, j’étais parvenu à faire la connaissance des artistes pionniers que j’admire : Sokey Edorh, Kossi Assou, Paako Sallah, Quaye Jope et feu Jimi Hope. Un moment qui a viscéralement tout déclenché. Ensuite, l’opportunité de travailler avec le photographe suisse Beat Presser, invité par le Goethe-Institut, m’a révélé qu’on peut partir de zéro et aller loin si on se forme intérieurement et techniquement.
Arrivé à Paris en 2000, j’ai eu la chance de croiser les artistes Ousmane Sow et Mickael Bethe Selassié grâce au directeur du Musée des Arts Derniers, Olivier Sultan.
Il s’est ensuivi ma participation à l’exposition spectaculaire Les Afriques (curatée par Olivier Sultan et Simon Njami) avec des sommités comme Jean-Michel Basquiat, Chéri Samba, Orlan, Samuel Fosso…
Une formation en muséologie et histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, des séminaires en Curating à Goldsmiths University of London, des rencontres avec la galeriste et architecte Colette Holl et des commissaires d’exposition pointus (Olabisi Silva, Jacob Fabricius) m’ont formellement donné des ailes.
Quelles sont les expositions de référence auxquelles vous avez participées ou organisées ?
Art Against Aids, Sikkema Jenkins & Co, New York
TIME is Love Screening, Sobering Galerie, Paris ; ZKM – Centre d’art et de technologie des médias, Karlsruhe (Allemagne); CCA – Centre d’art contemporain, Glasgow; Sakura Works, Yokohama (Japon)
58e Biennale de Venise
Open Screening, Whitechapel Gallery, Londres
Atelier vidéo, Fondation Blachère, Apt (France) & Rencontres Africaines de la Photographie, Bamako
Still Fighting Ignorance and Intellectual Perfidy, Torrance Art Museum, Los Angeles; Ben Uri Museum, Londres; Malmö Konsthall, Malmö (Suède); NCCA – Centre d’art contemporain, Moscou…
Pouvez-vous nous décliner les thèmes de prédilection qu’abordent vos projets ?
Je m’inspire fondamentalement du schéma d’association atomistique propre à la pensée contemporaine. L’environnement qui m’entoure, les gens, les matériaux, la musique et les livres forment des combinaisons mécaniques qui m’animent. L’art contemporain se doit d’être sociétal, il ne peut plus se permettre d’être déconnecté du monde et de l’actualité.
Depuis 2008, j’ai fondé une plateforme curatoriale, TIME IS LOVE SCREENING, où les programmations d’art vidéo et filmique qui y sont proposées ont une résonance avec la psychogéographie, l’Histoire, la mémoire et les inégalités.
D’autres thèmes apparaissent dans mes divers projets curatoriaux à savoir le décolonialisme, l’afrofuturisme, l’altérité, la solidarité et l’écologie de la connaissance.
Vous êtes devenu aujourd’hui un curateur de référence. Dites-nous en quoi consiste le métier de commissaire d’exposition ?
Le commissaire d’exposition ou curateur vient du latin curare qui signifie « prendre soin ». Étymologiquement, le curateur est donc la personne « qui prend soin des œuvres d’art ». Dans la pratique, il ou elle recherche et sélectionne les artistes pour les rassembler au sein d’une exposition. Le terme est inventé en 1969 par le Suisse Harald Szeemann lorsqu’il quitte la direction du musée Kunsthalle de Berne.
Les deux termes (commissaire d’exposition et curateur) cohabitent pour désigner un même métier qui a toujours été en perpétuelle évolution.
Pour un curateur il faut toujours aimer construire, que ce soit un texte critique ou une pensée dans l’espace, parce qu’une exposition doit être toujours un prolongement physique du travail lié au langage. Il existe une absolue nécessité de créer une narration spatiale, au-delà de l’approche conceptuelle similaire à l’écriture d’un essai. Il faut se laisser travailler par l’architecture du lieu d’accueil, et il faut la travailler, ensuite.
Les curateurs sont les compagnons complices des artistes. Ensemble, ils s’engagent, dialoguent ou perturbent la ligne des chemins habituels de l’art.
Quel regard jetez-vous sur l’art de façon générale au Togo ?
L’Afrique montre les premiers signes d’une extraordinaire mutation économique et artistique. Au Togo, il y a particulièrement une scène foisonnante pleine de vie et d’énergie artistique qui surfe sur une grammaire picturale, photographique et sculpturale nouvelle.
Des artistes comme Tété Azankpo et Kokou Ekouagou parmi tant d’autres montrent le processus de décloisonnement des pratiques. Des artistes optimistes, parfois satiriques, capables de penser le monde de demain, de déconstruire les stéréotypes. Ils s’inscrivent dans une contemporanéité fascinante en proposant de nouvelles visions pour le Togo.
Qu’est-ce qui manque aux artistes togolais pour mieux s’exporter ?
Il faudrait que le Togo devienne une des centralités de l’art contemporain, admirée internationalement pour ses capacités créatives. Les temps sont donc à des réflexions nouvelles.
J’ai eu la chance de coopérer avec la maison de vente aux enchères Bonhams à Londres et New york. Aucun artiste togolais n’est coté par rapport aux artistes africains sur la scène internationale à l’instar de Romuald Hazoumé (Benin), El Anatsui (Ghana), Pascale Marthine Tayou (Cameroun), Julie Mehretu (Ethiopie), William Kentridge (Afrique du Sud) etc.
La culture est l’un des piliers du soft power tel qu’il a été́ défini par le politologue de Harvard, Joseph Nye avec les valeurs et la politique étrangère. C’est un des leviers de la puissance. C’est primordial de porter haut cette ressource culturelle et intellectuelle, et de mettre en avant les artistes.
L’élan et la volonté politique peuvent contribuer à construire une école de formation en arts plastiques exactement comme la création du Palais de Lomé, très louable. L’État devrait si possible donner une meilleure visibilité aux artistes togolais en finançant des expositions d’envergure internationale (par exemple, la Biennale de Venise) en collaboration avec des curateurs connus.
Evidemment, des fondations privées pourraient aussi être édifiées pour produire et diffuser l’art contemporain. Elles mettraient ainsi en place une activité de recherche collective dans un esprit coalitionnel avec une assise pédagogique forte et en lien avec la société civile en privilégiant la transmission de connaissances par l’élaboration de gestes artistiques et contextes curatoriaux.
Monsieur Kisito Assangni pense organiser un jour une exposition au Palais de Lomé ?
Naturellement, je réalise des événements artistiques au service des institutions muséales qui m’invitent. Ce serait un privilège de collaborer un jour avec le Palais de Lomé pour organiser une exposition thématique pluridisciplinaire et itinérante rassemblant les artistes diasporiques et locaux.