Par Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE
Nous devons interroger l’Afrique, spécifiquement celle du 21ème siècle, parce qu’on croit que ce siècle est celui où on ne peut plus accepter l’esclavage, la colonisation, les violations des Droits de l’Homme, la négation de l’État de droit, et pourtant sur presque tous ces sujets on est en droit d’avoir quelques inquiétudes à tel point que la première question qui se pose est la suivante :
- LES PAYS AFRICAINS VIVENT-ILS EN VERITE AU 21ème SIECLE ?
La question est en fait importante à cause d’une série d’interrogations. Ainsi, au siècle où la communication est si importante :
- Quel État souverain laisserait une radio d’État d’un pays étranger, une radio au service du gouvernement d’une nation étrangère, émettre sans difficulté dans la bande FM de son pays et par la même occasion laisser cette radio donner à ses citoyens sa vision des événements, son décryptage et son interprétation de l’actualité ?
Pourtant tel est le cas de RFI. Et les auditeurs Africains sont d’autant plus réceptifs aux émissions de ce médium, que dans beaucoup de leurs pays, la liberté de presse est souvent remise en question, la presse solidement encadrée et même bâillonnée par des gouvernements soutenus par la France, maintenus au pouvoir de manière non légitime grâce à l’appui des autorités françaises.
- Combien d’Africains savent que RFI émet, à partir de Dakar depuis 2020, en Mandenkan et en Fulfulde, c’est-à-dire vers 60 millions d’auditeurs, soit pratiquement la population de la France ?
Et la directrice de RFI, Cécile MEGIE, ne cache pas à quel point les enjeux de ce contrôle de l’information sont axiaux : « Nous avons fait le choix de langues transnationales pour bénéficier de l’audience la plus vaste possible. Notre philosophie : être en proximité avec notre auditoire. On s’adresse à un public plus jeune, plus féminin, doté d’une moindre compréhension du français ».
Et si on sait que le Mandenkan et le Fulfude ce sont des langues parlées surtout dans le Sahel, on comprend mieux pourquoi on veut directement toucher les Africains dans leur langue. RFI et France 24 sont présentes sur notre continent mais quel média africain couvre les différents évènements sur le contient ? Quel média africain émet en Europe pour dire ce qui se passe en Afrique aux citoyens européens ? L’Occident reconnait-il aujourd’hui l’existence des langues en Afrique ? Il parle aux Africains dans leurs langues sur RFI pour transmettre leur vision du monde et nous-mêmes en Afrique que faisons-nous de nos langues ? Sont-elles valorisées ? Quelle est la place de nos langues dans nos systèmes éducatifs ?
Qui ne sait d’ailleurs pas que l’école a largement échoué à faire parler français aux populations africaines, et que les statistiques de l’OIF qui inclut tous les habitants des pays francophones dans les locuteurs du français sont une vue de l’esprit ? Et donc parler directement aux Africains dans leur langue c’est vraiment une aubaine. Ainsi, on saisit mieux pourquoi il y a eu une telle levée de boucliers lorsque le Gouvernement de transition du Mali a suspendu RFI et France 24, pourquoi Emmanuel MACRON n’a pas pu se contrôler au point d’envoyer des injonctions aux chefs d’État de la CEDEAO à ce sujet, comme il le ferait à des membres subalternes de son administration. Pourquoi cette arrogance ? Pourquoi les chefs d’État de la CEDEAO acceptent cette forme d’humiliation qui touche tous les citoyens de cet espace ? Et dire qu’il y a eu des Africains qui se sont inquiétés de cette suspension des médias français au nom de la liberté d’information, c’est incroyable. Car Macron qui s’étonne de la suspension de RFI et France 24 au Mali est le même qui approuve dans son pays et dans l’Union Européenne la suspension des médias russes.
- QUEL EST LE POIDS DE L’AFRIQUE DANS LE MONDE DU 21ème SIECLE ?
Cette question, elle aussi, en appelle plusieurs autres. Ainsi, le 23 mars 2022, Volodymyr ZELENSKY, président ukrainien, s’est adressé aux parlementaires français en direct. Au plus fort de tous les massacres et des horreurs qui ont eu lieu en Afrique ces dernières années,
- Quel chef d’État africain a eu l’opportunité d’évoquer ainsi en direct les valeurs prétendument partagées que sont la liberté et la fraternité ?
En effet, qu’en est-il de la liberté de tous ces peuples en Afrique qui aspirent à un mieuxêtre et qui sentent le joug de l’Occident, comme un genou sur leur cou? Et pour ce qui est de la fraternité, ne serait-elle valable qu’envers les Blancs et les Occidentaux?
Par exemple, que dire de cette anecdote : un des candidats à la présidentielle française, en répondant à une question d’un enfant qui portant sur la fraternité, lui a répondu que libertéégalité-fraternité ne concernent que les citoyens français, cette devise ne s’appliquant pas à toute l’humanité.
- Alors quelle est l’affirmation la plus véridique ? Celle du discours de ZELENSKY : « Les valeurs valent mieux que les bénéfices » ou bien celle illustrée par le comportement de l’Occident en Afrique, « les bénéfices valent mieux que les valeurs » ?
Les Occidentaux pensent peut-être que les Africains ne sont pas capables de décoder tout cela ? Ne serait-ce pas les Africains qui laissent croire cela ? La grande question qui se pose est alors celle-ci :
LES AFRICAINS DU 21ème SIECLE SONT-ILS D’ACCORD QU’UNE HUMANITE VAUT PLUS QU’UNE AUTRE ?
Dans le drame de la guerre en Ukraine, il y a eu un vote à l’Assemblée générale à l’ONU ; certains pays africains se sont abstenus et d’autres se sont fait remarquer par leur absence. Que signifie alors l’idée de sanctions contre les pays Africains qui ne se sont pas empressés de soutenir les déclarations européennes contre la Russie? N’est-ce pas étonnant que cette idée soit défendue par Ursula Von der LEYEN, présidente de la Commission de l’Union Européenne qui prétend avoir pour fondements le principe d’humanisme et un ensemble de valeurs, les Droits de l’Homme ? Les Africains ne sontils pas libres et responsables ? Doivent-ils être plus fraternels, avant tout et malgré tout, envers les Occidentaux ?
- Pourquoi n’y a-t-il pas eu, en Afrique, de protestations officielles et claires contre cette forme d’injonction qui est donnée de faire des choix qui révèlent la priorité aux intérêts occidentaux ?
Tous les jeunes qui meurent en Méditerranée, pour fuir des pays invivables parce que pillés par l’Occident et des gouvernants corrompus, pourquoi n’allons-nous pas en parler à une tribune internationale ? Tous ceux qui, ayant échappé à la mort durant leur traversée, sont après victimes de mesures vexatoires ou de comportements racistes, pourquoi les évoquons-nous si peu, à l’ONU par exemple, ou bien
- Sommes-nous incapables, Africains du 21ème siècle, de créer des cadres d’épanouissement pour nos jeunes en terre africaine ?
Il semble en effet que les gouvernants, comme les institutions africaines telles que la CEDEAO, soient incapables de changer véritablement de vision politique pour donner enfin un avenir à notre jeunesse. Qui va le faire à notre place ?
Avec le conflit en Ukraine, les uns et les autres se plaignent au sujet des pénuries diverses qui sévissent surtout au plan alimentaire. Devrions-nous être si dépendants du blé ukrainien et en arriver à une situation où sur notre continent la farine de blé, subventionnée, coûte moins cher que celle du manioc, par exemple, que nous produisons nous-mêmes ?
- A quand la souveraineté alimentaire en Afrique, alors qu’il n’y a pas un véritable soutien des cultures vivrières, alors qu’on brade nos terres arables pour développer une agriculture qui profite surtout aux autres ?
- A quand la souveraineté énergétique qui passe par des centres et des laboratoires d’excellence sur le continent pour montrer la créativité des Africains ?
- A quand la souveraineté de nos peuples qui nous fait passer du continent des misères et des besoins à un continent dont on a besoin car il offre quelque chose d’unique au reste du monde ?
Finalement il ne nous reste qu’à nous demander :
POUR QUELLE FINALITE NOS HOMMES POLITIQUES PRENNENT-ILS LE POUVOIR?
Lomé, le 25 mars 2022