A plus de 100 km au nord de Lomé, les populations du village de Lalekpe (Notsè – Dalia Bégbé) vivent un drame. Principalement allogènes, Kabyè pour la plupart, ces derniers se voient morceler sous leurs pieds, leurs terres sous le regard impuissant des autorités locales. Et tous pointent du doigt un seul homme : le chef du village nommé Pierre Yao Kétika qui, perché sur son trône, assujettit toute forme d’opposition à sa volonté.
Menaces, intimidations, violences, réappropriations de terres et autres. Telles sont les situations que vivent désormais des occupants des terrains mis en cause, selon leurs propres déclarations à la presse vendredi dernier.
« Mon oncle était ici depuis 1974 et je suis venu habiter avec lui. Il y avait un décès qui a lieu et j’étais partie au Nord. Avant de partir, j’avais déjà arrangé mon champ pour cultiver à mon retour. Je suis arrivé et je constate que certains de Lalékpe, Yao Kétika a envoyé les gens réarranger mon champ. Et on me dit de ne plus mettre pieds dans mon champ à partir d’aujourd’hui. Cela fait 34 ans que je suis arrivé ici je suis sur le terrain de mon père et aujourd’hui on me chasse et m’interdit de ne pas cultiver alors que j’ai ma femme et mes enfants avec moi. Qu’est-ce-que nous allons manger ? », s’est plaint Fenagnawa Somiabalo, un cultivateur né à Lalékpé il y a plus de 30 ans.
« Je cultivais sur 18 hectares et on m’a accordé un certificat pour 5 hectares sur lesquelles je faisais des semences. Le chef lui-même est arrivé avec quelqu’un et ils ont loti les terrains que je cultive pour les distribuer à ses frères. Cela fait 60 ans que moi et ma famille nous vivons ici, et c’est moi qui ai créé une école à Tako. Ils sont rentrés dans nos champs et ont piqué des bornes partout. Ceci est une situation désastreuse et elle risque d’engendrer une autre encore plus grave. Et ce sera la guerre s’il persiste à nous menacer comme il le fait », a ajouté un autre cultivateur du nom de Ahounyna Komi.
Des témoignages similaires à ceux rapportés ci-dessus, on en a assez dans la région. D’autres craignant d’être purement et simplement expulsés de leurs terres, refusent de témoigner. Certains autochtones déplorent aussi avoir été traités de « gens d’Aného » ou encore « descendants d’esclaves ». Mais la situation est insoutenable pour les cultivateurs qui vivent sur ces terres qu’ils considèrent comme celle de leur ancêtre, bien qu’ils ne revendiquent aucune parcelle de terrain. « C’est ici que nous sommes nés. Nous n’avons d’autre part où aller. Et si on nous prive des terres à cultiver, qu’allons-nous devenir ? Toute notre existence est ici », exprime un allogène.
A l’origine, un litige foncier
D’après les informations recueillies auprès de sources proches du dossier, le chef du village tenterait de s’accaparer des terres de toute une collectivité. Nommée Kétika, celle-ci est composée de six (6) familles, notamment Eklou, Mawougna, Affo, Adamadou, Adako et Kétika. En parcourant une procuration en date du 1er février 2008 et signée par les représentants de toutes les familles composant la collectivité, on découvre que Togbui Pierre Yao Ketika a été désigné pour représenter la collectivité « devant les tribunaux dans nos affaires de terrain tant au premier ressort qu’en appel ».
« Nous l’avons désigné, étant le plus instruit de nous tous, pour nous représenter devant les tribunaux. En ce temps-là, nous avions un différend avec la collectivité Abalo Agbo. Cette dernière a perdu le procès en appel et a fait un pourvoi au niveau de la Cour Suprême. Mais contre toute attente, notre frère s’est mis à céder le domaine à des acquéreurs. Ce qui nous révolte, c’est qu’il se considère comme seul propriétaire des terrains », s’indigne un fils de la collectivité.
C’est ainsi, selon les informations, que les allogènes accueillis dans la localité ont commencé à être victime de « violences » de la part des acquéreurs, et même du chef du village, selon les accusations. « L’affaire est pendante au niveau de la justice, mais nous voulons tout de même que les autorités aient vent de ce qui se passe ici à Lalékpé. Le nommé Yao Kétika est en train de priver les gens de leurs terres. Et quand on lui demande les papiers lui donnant droit d’expulser les occupants, il dit qu’il a une décision. Cette décision serait tantôt à Notsè, tantôt à Lomé, mais jamais, nous ne l’avons vue. Il ne la présente à personne », confie un autre membre de la collectivité Kétika. Et d’ajouter : « Nous voulons récupérer tous nos terrains qu’il a vendu et occupé. C’est notre patrimoine et nous ne pouvons pas le laisser gérer ça comme il le veut ».
Dans nos efforts de recoupements, nous avons rencontré Togbui Pierre Yao Kétika, en présence d’autres membres de la collectivité. Durant les échanges, le chef traditionnel a reconnu que les parcelles querellées appartiennent de droit à tous les membres de la collectivité Kétika formée par les six familles. Le problème réside alors dans la gestion de ce patrimoine riche de plusieurs milliers d’hectares. Pour sa part, Togbui Kétika estime que ce sont ses autres frères qui se livrent à la vente des terrains. Contrairement à ce que nous ont raconté les cultivateurs, la tête couronnée soutient que ce sont ses détracteurs qui pourrissent la vie aux cultivateurs et peste une diffamation. Il a toutefois admis que « lorsque les éléphants se battent, les fourmis en pâtissent ».
Ces pauvres cultivateurs n’étant toujours pas au bout de leur peine, manifestent un instinct de survie contre toute invasion des terres qu’ils occupent et entendent faire tout pour le tout pour garder leurs terres. Une situation qui risque de transformer le village de Lalekpé en un brasier si rien n’est fait.