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Wednesday, April 24, 2024
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Chronique littéraire : « Le chien de l’empereur » lu par Bawam Peketi

« Le chien de l’empereur  », c’est le roman du togolais Alabassa Worou sorti aux éditions L’Harmattan-Togo. Dans cette chronique littéraire, l’écrivain Bawam Peketi dresse un compte rendu de lecture du roman d’Alabassa Worou. Lecture.

Il faut simplement dire qu’Alabassa Worou est un excellent conteur qui peut animer des contes au clair de lune, ou a déjà animé des soirées de conte puisqu’il naît à Sokodé, une ville islamisée certes, mais qui garde encore la tradition orale.

Chaque romancier a sa façon particulière de produire son texte et il revient au lecteur de déceler les facettes et la technique narrative de celui-ci. Ce qui attire aussi l’attention du lecteur averti, c’est cette invite que “Le chien de l’empereur” fait à d’autres texte plus anciens que lui ; ce que Sophie Rabau ou Michael Bakhtine ont  appelé l’intertextualité.

-Les interférences textuelles dans “Le chien de l’empereur”

La lecture de ce roman permet au lecteur averti de relever tant d’interférences textuelles : le texte fait appel, de façon implicite à beaucoup d’autres textes. Nous comprenons que dès qu’on raconte l’histoire d’un peuple, il ne manque pas que cela touche celle d’autres peuples aussi comme pour dire que tous les hommes sont les mêmes et pour parler comme dans la Bible, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil ».

On constate dans ce roman des passages qui se rapportent aux histoires de la Bible. D’abord, c’est l’image du Pharaon d’Egypte en conflit avec Dieu à propos des enfants d’Israël en captivité sur cette terre qui surprend. Dieu aurait envoyé au Pharaon dix plaies afin qu’il libérât son peuple. Dans ce roman, curieusement cette réalité revient avec une accumulation de dégâts : au cours du voyage, Kpassimila tue un des négriers par la morsure d’un serpent, ensuite tue deux autres dans leur sommeil, ordonne à la rivière d’emporter un négrier et son interprète, fait tomber un arbre sur un autre.

Ensuite, c’est l’histoire de Jonas envoyé par Dieu à Ninive qui revient avec le négrier et son interprète qu’on jette à l’eau et celle-ci se calme :

Kpassimila enclencha ses génies et leur demanda de s’occuper d’eux (…) Kpassimila le vit se battre contre le torrent en compagnie de son interprète qui l’accompagna la veille (…) Au fur et à mesure qu’ils se battaient, le torrent devenait  subitement plus fort, plus dévastateur, ingérable. (…) Ils se battirent contre le torrent anormal (…) Ils furent emportés par les eaux. Kpassimila les vit morts, coincés sous un arbre. Quand ils furent hors de vue, le silence se fit pendant quelques secondes et la pluie cessa tout d’un coup comme elle n’attendait que leur mort.

De même, on constate la présence de l’histoire du mythe de Phèdre qui prend le mari de sa sœur Ariane,  Thésée et qui, une fois chez ce dernier, tombe amoureuse de son fils Hyppolite. Refusant cet amour incestueux, Hyppolite subit la colère de son père qui le confie au dieu de la foudre et sera foudroyé. Cette même histoire qui se retrouve dans la Bible avec la femme de Potiphar qui demande à Joseph de coucher avec elle se retrouve aussi dans “Le chien de l’empereur”. En effet, un esclave serait vendu par son père parce que la dernière épouse de celui-ci qui fut l’ex-fiancée de l’esclave aurait dit que le fils voulait coucher avec elle.

Quand elle devint la femme de son père, elle insista pour continuer cette relation. Il refusa et la femme mentit à son mari que son fils voulait entretenir des relations extraconjugales avec elle, sa belle-mère. Celui-ci se sentant menacé par son propre fils, décida de prendre contact avec les soldats chasseurs d’esclaves pour le trahir. Le jour de sa capture, son père l’envoya chercher quelques vivres aux champs et c’est sur les lieux que les soldats le capturèrent.

Cette même histoire rappelle celle racontée par Alex Halley dans son roman Racines, la scène de la capture de Kunta Kinté. Le convoi de la mariée Alimotou rappelle le mariage de Ramla qu’on conduit chez son mari dans Munial, les larmes de la patience d’Amadou Djaïli Amal. Beaucoup d’interférences à n’en pas finir ! Et en quoi le fils d’Alimotou est-il différent de Moïse qui serait retrouver par la fille du Pharaon et retourné à sa mère biologique ? C’est une des preuves pour dire qu’aucun texte ne peut se vanter de se passer des autres car tout texte est un intertexte.

Ce roman dont la lecture a été si intéressante regorge des richesses que d’autres lecteurs pourraient mettre en exergue. Une histoire pleine de rebondissements dont la lecture est une aventure. Ce roman peut être mis au programme dans nos lycées au Togo car il comporte des richesses littéraires et stylistiques que les élèves doivent impérativement savoir.

Cependant, un passage nous révèle une réalité : les négriers ne reviendront plus sur le sol africain acheter les noirs africains certes, mais l’Afrique n’est pas au bout du tunnel. Sans trop y réfléchir, on pense déjà à la colonisation et au néocolonialisme qui font des Africains des exilés sur leurs propres terres, mais aussi à ces bourses d’études à l’étranger après lesquelles tout parent court, mais qui, en réalité, ne sont qu’une forme cachée et pernicieuse, une suite logique de la traite négrière sous la forme intellectualisée.

C’est en tout cela que réside le cri d’Alabassa Worou qui voit une Afrique subir des épreuves à rebondissements : traite négrière, colonisation, néocolonialisme, bourse d’études. Et on se demande : l’indépendance de l’Afrique c’est quand ? Mais cette œuvre est une invitation à tout African à faire chemin retour vers la terre natale, et à exploiter ses richesses physiques mais surtout spirituelles comme le recommandait bien Mutt-Lon dans son roman “Ceux qui sortent dans la nuit”.

Source: L’Alternative

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